La nouvelle Politique européenne de voisinage, colosse aux pieds d’argile ?

par Marie Garcia, CDRE

 

« Tenir les engagements de la nouvelle PEV », tel est l’intitulé de la dernière communication conjointe de la Commission européenne et de la Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la sécurité commune. Publiée le 15 mai 2012,  elle présente un  bilan général des avancées de la politique européenne de voisinage (PEV) pour l’année 2011.

Ce premier document est accompagné dune série de rapport par pays, de deux rapports de suivi régionaux (évaluation du partenariat oriental et du partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée) et d’une annexe statistique.

Ce bilan s’inscrit dans une période particulière, faite de changements dont certains constituent de véritables bouleversements.  Il va de soi que les élans de démocratisation et les espoirs de transition autour du bassin Méditerranéen ne seront pas sans effet sur la politique externe de l’Union en matière JAI.

Sans doute est-il bon de rappeler que, depuis 2004 et en parallèle de l’élargissement de l’Union, la PEV constitue un axe majeur des développements externes de l’Espace de liberté (http://ec.europa.eu/world/enp/index_fr.htm). S’appliquant aux voisins immédiats de l’Union, terrestres ou maritimes, elle vise à construire avec eux des relations privilégiées, à travers un engagement mutuel en faveur de valeurs communes. Des « plans d’action » la concrétisent, malgré les difficultés souvent nées de l’asymétrie des attentes des partenaires : là où l’Union raisonne en termes de régulation des flux migratoires et de sécurité intérieure, ses interlocuteurs mettent en avant leurs besoins économiques et la crise de leur développement.

La nouvelle politique de voisinage transmet « un message clair de solidarité et de soutien aux populations du sud de la Méditerranée ». Dès 2011, deux communications conjointes illustrent cette volonté politique, en proposant une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation et un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud de la méditerranée. Des programmes particuliers sont instaurés, des fonds supplémentaires débloqués, des aides techniques et des suivis plus adaptés, élaborés.

Mais cette nouvelle stratégie a surtout pour objet non dissimulé de contenir un mouvement migratoire incontrôlé qui inquiète les européens. Il s’agit pour l’UE de freiner et « gérer les nouveaux afflux éventuels » des populations fuyant ces contestations,  en faisant notamment appel à Frontex. L’objectif principal reste celui du « renforcement des capacités dans les pays méditerranéens en ce qui concerne les frontières, la migration et l’asile ainsi que l’instauration d’une coopération plus efficace entre les services répressifs afin d’améliorer la sécurité dans tout le bassin méditerranéen ».

Ces aspirations sécuritaires obligent cependant l’UE à affronter cette nouvelle réalité géopolitique et ont débouché sur des innovations dont on peut se féliciter :

– la nomination d’un représentant spécial pour le sud de la méditerranée, chargé de développer le dialogue avec les pays en transition,

– l’élaboration de programmes-cadres financiers afin de mettre plus rapidement à disposition les fonds supplémentaires annoncés en 2011,

-la mise à disposition de fonds spécifiques pour la transition,

-l’instauration d’un mécanisme de financement pour la société civile,

-les prémisses d’une négociation de partenariats de mobilité avec certains Etats.

Plus globalement, c’est l’ensemble de la PEV qui va être remodelée selon quatre nouveaux principes.

Désormais la PEV se base sur le principe consistant à « donner plus pour recevoir plus ». Si le message est clair et le discours décomplexé, l’idée n’est pas en tant que telle novatrice. Dès 2003, l’Union s’emploie à créer un espace de prospérité et de bon voisinage. Sous couvert de coopération, elle propose unilatéralement à ses nouveaux voisins « des perspectives d’intégration économique en contrepartie de  leurs progrès dans le respect des valeurs communes et la mise en œuvre effective de réforme politique, économiques et institutionnelles ».

Le principe reste donc le même : l’UE est prêteuse (intégration économique, mobilité des personnes et soutien financier) avec des partenaires prouvant leur engagement dans des réformes politiques et le respect des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’Etat de droit. En revanche, son aide recule pour les mauvais élèves (relations coupées avec la Syrie et ralenties avec la Biélorussie). Le développement des partenariats avec la société civile est aussi à l’ordre du jour. Les ONG, les associations, sont autant d’interlocuteurs à considérer, surtout lorsque les relations étatiques sont coupées.

La communication insiste également sur le principe de différenciation. Si l’on s’y réfère déjà en 2003, il semble que l’UE soit cette fois encline à l’appliquer de manière plus spécifique. L’affirmation de la dimension régionale de la PEV à travers la conclusion du partenariat oriental ou encore celui pour la démocratie indique également une personnalisation de cette politique aux régions particulières qu’elle couvre.

Enfin la responsabilisation réciproque tend à rendre  plus interactif et plus franc le dialogue sur les politiques à mener, en multipliant les rencontres formelles et informelles à tous les niveaux politiques.

En fait, derrière la Communication du 15 mai, c’est la toute question de la place de l’UE sur la scène internationale qui se pose.

Le traité de Lisbonne a procédé à de nombreuses innovations en ce domaine.  La plus connue est la nomination du haut représentant qui préside le conseil des affaires étrangères et conduit la politique étrangère et de sécurité commune. Egalement vice-président de la Commission européenne, il (ou elle) veille à la cohérence et à la coordination de l’action extérieure de l’Union. Le déploiement de diplomates du SEAE renforce sur le terrain la crédibilité de l’Union et les rapports qu’elle entretient avec ses voisins.

Cette avancée institutionnelle n’a guère de sens si une mise à niveau minimale de la politique des Etats Membres sur celle de l’Union ne s’opère pas, ce que la Communication souligne clairement.

Car les partenaires de l’Union sont nombreux : étroite coopération avec le Conseil de l’Europe, coopération avec des Etats donateurs, mais aussi avec la société civile (ONG, fondations, ligue des Etats arabes). D’où l’ouverture de multiples chantiers, traduits dans les diverses négociations qui sont menées par l’Union pour la conclusion d’accords de réadmission, d’accords d’association, de partenariats de mobilité ou de zones de libre échange approfondi.

Dans ce mouvement en profondeur, la PEV joue donc un rôle primordial, permettant à à la fois une action de partenariat et un travail « sur mesure ». Les Etats membres en seront-ils conscients au point de lui donner les moyens qu’elle mérite ?