Les rencontres doctorales de Luxembourg – La fin d’un cycle, la promesse de nouveaux horizons

 Rostane Mehdi, CERIC

Organisées en partenariat avec la Faculté de droit de l’Université de Luxembourg, les rencontres doctorales de notre GDR se sont déroulées les 6 et 7 novembres derniers au Grand-Duché. Nos doctorants (et nous mêmes) étions invités à réfléchir à la place et au rôle de la Cour de justice dans l’Espace de liberté, de sécurité et de justice. Il n’était évidemment pas de lieu plus propice que la Cour elle-même pour prendre la mesure d’un tel sujet. Nous y fûmes merveilleusement accueillis. Après avoir assisté à une audience portant, par un heureux hasard du calendrier judiciaire, sur une affaire relative à la protection de données à caractère personnel, nous avons gouté au rare privilège d’une rencontre directe et informelle avec MM. les juges Bonichot et Gervasoni et M. l’Avocat général Bot. La formule consistant à demander à trois de nos doctorants de présenter à ces membres éminents de la Cour leur sujet de thèse avant que ne s’engage un débat très ouvert a manifestement porté ses fruits. Nous avons, en effet, assisté à des échanges éclairant d’une lumière bienfaisante les problématiques abordées. Les doctorants ont été confortés dans leur choix ou, au besoin, sensibilisés à la nécessité d’explorer des perspectives qu’ils n’avaient pas spontanément entrevues.

L’expérience s’est poursuivie par un exercice de réflexion collective de l’ensemble des doctorants. Lancé, le 6 en fin d’après-midi dans les locaux de la Faculté de droit de Luxembourg, le défi consistait à livrer, le lendemain matin, une synthèse la plus complète possible sur le thème de notre session. Présentées devant M. le juge E. Perillo, M. le doyen S. Braum et le conseil du GDR, leurs conclusions ont été unanimement jugées convaincantes. De la belle ouvrage façonnée dans une atmosphère d’émulation par des étudiants appartenant à des traditions académiques différentes mais portés par une réjouissante curiosité et un goût commun de la dispute. Ces concordances ont permis de surmonter les redoutables querelles théologiques que ne manque pas de susciter la comparaison des mérites supposés ou des limites congénitales du « plan à la française ».

Au delà de cette relation factuelle de ce qui restera le point d’orgue de l’entreprise initiée il y a quatre ans, je voudrais brièvement revenir, à travers quelques observations sommaires, sur le sens même du projet qui nous rassemble.

L’exigence de cohérence scientifique

À Luxembourg, nous avons manifesté une fois encore notre souci de cohérence scientifique. Le sujet retenu pour cette session s’inscrit dans la ligne de la démarche systématique construite au fil de nos rencontres successives. Il semblait logique de braquer le projecteur sur la contribution de la Cour à l’édification de l’ELSJ. Ici, comme ailleurs en droit de l’Union, le juge interprète d’un droit programmatique et lacunaire, assure la continuité de l’intégration en dépit même des blocages qui en ont parfois menacé la pérennité. Dans cette perspective, la jurisprudence apparaît bien comme l’instrument d’une cohésion indispensable et le creuset de remarquables accélérations. Un mode de développement de l’ordre juridique de l’Union dont le mérite revient à une Cour qui, depuis l’origine, a toujours su capter la nature véritable et les potentialités du projet européen.

L’audace intellectuelle

Par ailleurs, ces rencontres témoignent bien du fait que le GDR est un lieu où l’on se refuse à toute forme de conformisme intellectuel. Ainsi, nous y assumons une pluridisciplinarité apaisée tant il nous semble plus que jamais indispensable de promouvoir le décloisonnement d’une recherche juridique artificiellement segmentée. Les clivages structurant traditionnellement l’enseignement et la recherche doivent être dépassés car ils ne permettent plus de comprendre et de rendre justement compte de la complexité des phénomènes sociaux. A cet égard, nous avons clairement choisi de transgresser une frontière entre droit public et droit privé qui, s’agissant de l’ELSJ, n’a plus guère de sens. On le sait, le droit de l’Union européenne se situe ailleurs ; il revendique sa part d’exotisme. Droit sui generis (F. Picod, “Le droit de l’Union européenne est-il soluble dans la somma division droit privé-public” in B. Bonnet et P. Deumier, De l’intérêt de la Summa divisio Droit public – Droit privé ? Dalloz 2010 p. 56), il n’est pas fongible dans un ordonnancement qui lui est, en apparence, étranger. La summa divisio ne présente, en effet, aucune utilité aux fins d’éclairer l’architecture de l’ordre juridique de l’Union. Elle n’est en rien l’une de ces institutions invisibles qui organisent et structurent en profondeur un espace social et politique. De préférence à tout autre clivage, on distinguera ici le droit institutionnel dont la syntaxe et la grammaire s’inscrivent sans nul doute dans un registre de droit public, du droit matériel dont la structure sans pouvoir ignorer le partage entre matières de droit public et de droit privé répond avant tout à une logique de nature plus fonctionnelle. S’il se rattache au droit public par ses sources ou sa constitution organique, force est donc de constater que le champ du droit de l’Union européenne ne se laisse pas prendre dans les rets d’une démarche polarisante du moins au sens classique.

De même, le GDR démontre-t-il une belle capacité à explorer des pistes rarement fréquentées par la doctrine. A cet égard, il est intéressant de noter que jamais nous n’hésitons à nous interroger sur la validité de schémas peut-être périmés. En ce sens, ne ressort-il pas de nos travaux que la grille d’analyse tendant classiquement à distinguer méthode communautaire et méthode intergouvernementale est dans une large mesure démonétisée pour ce qui concerne le droit de l’ELSJ. Le fonctionnement de l’Union procède bien de la mobilisation de méthodes variant en fonction du degré d’ambition collective ou, à l’inverse, du souci que les Etats membres auraient de maîtriser les étapes amorçant un processus d’européanisation sectorielle. Ici plus qu’ailleurs s’impose l’idée que c’est de l’entrechoquement de conceptions éventuellement contradictoires que surgissent les lignes de force d’une politique publique. L’Union et ses Etats membres déploient une maïeutique qui les amène finalement à combiner les méthodes plus qu’à les opposer.

Une ambition pédagogique

Les rencontres de Luxembourg valident encore notre conviction qu’il est hautement souhaitable de cultiver un lien étroit entre l’activité de recherche proprement dite et la formation par la recherche. A cet égard, le GDR offre un cadre particulièrement adapté à la conduite de certains aspects de la formation doctorale. Aussi, sans jamais empiéter sur la relation privilégiée que chaque directeur construit avec ses doctorants, les séminaires organisés depuis 4 ans assurent un suivi de nos étudiants propre à favoriser des croisements intellectuels mais aussi un échange de bonnes pratiques et, nous l’espérons, une meilleure maîtrise des délais de réalisation.

Une recherche ouverte

Les options méthodologiques arrêtées par le GDR mettent en évidence, si besoin était, l’utilité d’une recherche pleinement en prise avec le monde de la pratique juridique et judiciaire. Nous ne pouvions le faire plus éloquemment qu’en permettant à nos doctorants de rencontrer et d’échanger avec des membres de la Cour et des tribunaux de l’Union. Des contacts mutuellement bénéfiques tant ils nous préservent de la tentation guettant trop d’universitaires de bâtir des théories hors sol. A l’inverse, on peut espérer que le monde de la pratique tire quelques bénéfices de contacts réguliers avec une doctrine confirmée ou en devenir.

Les défis de l’internationalisation

Enfin, cette session luxembourgeoise souligne les mérites d’une stratégie d’internationalisation. Il ne saurait y avoir de recherche pertinente dans le domaine de l’ELSJ qui ne s’adosse à de solides partenariats européens. Tout y incite. La nature des questions appréhendées autant que l’impérieuse nécessité d’assurer à notre production scientifique une visibilité dépassant le cadre de frontières étroitement nationales.

Par sa richesse ce bilan laisse décidément entrevoir de nouveaux horizons.