Le placement en rétention des demandeurs d’asile, précisions utiles de la Cour de justice dans l’arrêt J.N.

Le 15 février 2016, la Cour de justice, réunie en grande chambre, s’est prononcée dans l’affaire J.N (C‑601/15 PPU). Rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle d’urgence (PPU), l’arrêt s’attèle à la délicate question du placement en rétention des demandeurs d’asile, comme le prévoit désormais la directive 2013/33/UE.

L’occasion était donc donnée au juge de l’Union, d’interroger le bien-fondé d’une telle mesure, alors qu’en principe, l’examen de la demande d’asile garantit le droit pour le demandeur de demeurer librement dans le pays d’accueil et que le placement en rétention ne se justifie qu’à des fins d’éloignement.

1. Le caractère exceptionnel du placement en rétention des demandeurs d’asile.

Confronté au cas d’un demandeur d’asile, dont la rétention avait été ordonnée sur la base de l’article 8§3 e) de la directive 2013/33/UE relatif à la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, le Raad van State (Conseil d’Etat des Pays-Bas) s’interrogeait quant à la validité d’une telle disposition avec le droit à la liberté et à la sûreté consacré par l’article 6 de la Charte.

Classique en droit, la question consistait à déterminer si l’exigence de protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public constituait une limitation assez raisonnable pour qu’un droit aussi sacré que celui du droit à la liberté puisse souffrir d’exception. En d’autres termes, bien que l’ingérence soit juridiquement autorisée (article 52§1 de la Charte) et que le texte de la directive 2013/33 la prévoie formellement (article 8§3 e)), encore fallait-il, que le juge s’assure de la proportionnalité de la mesure, ici le placement en rétention, à l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette même mesure, la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public.

Si la réponse de la Cour ne fait état d’aucune ambigüité, l’article 8§3 e) procède selon elle d’une « pondération équilibrée » entre la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public et l’ingérence dans le droit à la liberté occasionnée par la mesure de rétention, elle saisit cependant l’opportunité de rappeler que la rétention des demandeurs d’asile demeure une mesure d’une exceptionnelle gravité, dont la mise en œuvre, par les Etats membres doit s’opérer dans les limites du strict nécessaire.

Il en va tout d’abord de la logique générale du texte de la directive 2013/33/UE. Si la disposition selon laquelle, « les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national », avait à juste titre inquiété certains de ses détracteurs, une lecture attentive des autres dispositions de la directive et de ses travaux préparatoires, démontre que les intentions du législateur de l’Union sont bien celles de faire de la rétention une mesure de dernier ressort, au profit d’alternatives garantissant le droit à la liberté des candidats à une protection internationale.

Ainsi, la marge de manœuvre dont dispose les Etats membres se réduit-elle, en principe au moins, au respect d’une procédure exigeante et rigoureuse, selon laquelle les autorités nationales doivent se livrer à un examen individuel de la situation de chaque demandeur, vérifier l’existence de mesures moins coercitives, s’assurer de la durée la plus brève possible de la rétention et de la permanence des motifs la justifiant, le tout conformément au respect des garanties procédurales et juridictionnelles prévues par le texte.

Dans ce contexte, le motif tiré de la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public ne pouvait échapper à un cadre d’interprétation exigeant et restreint, en sus des principes dégagés ci-dessus. En application de sa jurisprudence traditionnelle, relative aux notions de sécurité nationale et d’ordre public, la Cour déclare que l’atteinte à la sécurité nationale ou l’ordre public ne justifie un placement en rétention que lorsque le comportement du demandeur en question « représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ou de la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat membre concerné ». Il incombe ainsi aux autorités nationales de démontrer que le danger incarné par le demandeur d’asile justifie le placement en rétention, et pour reprendre l’expression de la Cour, correspond au moins à la gravité de l’ingérence que constitue la rétention dans le droit à la liberté du demandeur.

Si ces rappels sont les bienvenus, notamment parce que la crise migratoire actuelle fait la lumière sur des situations de violations flagrantes des droits des réfugiés (en témoigne le récent projet du gouvernement grec de banaliser l’enfermement systématique des primo-arrivants pour une durée de trois jours), l’intérêt de l’arrêt se trouvait peut-être là où on ne l’attendait pas.

La particularité de la situation du requérant (il avait été condamné à diverses peines d’emprisonnement pour une vingtaine d’infractions de vol constatées et avait fait l’objet avant d’introduire sa quatrième demande d’asile, d’une décision de retour et d’une interdiction d’entrée de plus de dix ans), amène en effet la Cour à préciser le régime de la rétention des demandeurs d’asile, au regard notamment des exigences de la procédure de retour et de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en la matière.

2. Vers un régime européen de la rétention ?

Si le statut particulier du requérant, à la fois demandeur d’asile et ressortissant de pays tiers en situation irrégulière visé par une décision de retour, illustre la complémentarité qu’entretiennent discrètement la procédure d’asile et de retour, il est surtout l’occasion pour le juge de régler des situations que le droit n’a pas au préalable organisé.

A l’occasion tout d’abord, de l’appréciation du placement en rétention du requérant, la Cour qui s’attache à rechercher les indices d’un comportement menaçant et dangereux, tisse les premiers liens entre le texte de la directive 2008/115/CE et celui de la directive 2013/33/UE.

En effet, l’article 11§2 de la directive 2008/115/CE autorise l’allongement de la durée de l’interdiction d’entrée (qui est en principe de cinq ans), lorsque la personne concernée constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. Si donc, dans le cadre de la procédure de retour qui le visait, le requérant était identifié comme présentant un danger pour les intérêts de la société, cette circonstance devait également être prise en compte dans le cadre de l’article 8§3 e) de la directive 2013/33/UE. A charge des autorités compétentes de contrôler que ces circonstances soient toujours valables au moment d’ordonner la rétention, ce qui est visiblement le cas en l’espèce.

La juridiction de renvoi mentionnait également que la demande de protection internationale avait été introduite postérieurement à la décision de retour et de l’interdiction d’entrée. La question de l’articulation entre ces différentes procédures devait être précisée, exercice auquel la Cour se livre, en démontrant que la procédure de retour et d’asile ont vocation à coexister.

Selon les textes en vigueur, le principe qui prévaut est bien celui pour le demandeur d’asile, de se maintenir sur le territoire de l’Etat membre, le temps de l’examen de sa demande de protection internationale. Cependant, le placement en rétention du requérant, fondé sur les exigences de protection de sécurité nationale ou de l’ordre public, ne compromet pas son droit de demeurer sur le territoire de l’Etat membre concerné, dans la mesure où elle ne vise pas à préparer son éloignement, mais à protéger la société du danger que ce dernier représente. Il n’y a donc aucun risque, de ce point de vue, que le requérant soit éloigné avant que les autorités nationales ne se prononcent en première instance, sur sa situation.

Parallèlement, l’introduction de la demande d’asile de l’intéressé ne peut pas réduire à néant les effets de la décision de retour dont il fait l’objet, du simple fait que la législation nationale le prévoie. Sur ce point la Cour est très claire. L’effet utile de la directive 2008/115/CE, dont l’objectif est bien celui d’instaurer une politique efficace d’éloignement, n’autorise pas qu’une procédure d’asile postérieure à la procédure de retour, retarde voire compromette l’éloignement de l’individu concerné.

En effet, comme elle a déjà eu l’occasion de le rappeler dans la jurisprudence Arslan, l’introduction d’une demande d’asile peut suspendre les effets de la procédure de retour engagée, le temps seulement, de l’examen de cette demande. Ceci s’explique aisément, par l’idée d’un éventuel rejet de la demande d’asile, lequel impliquerait alors que les autorités nationales se remettent à l’œuvre le plus vite possible, afin de s’acquitter de leur obligation d’éloigner tout ressortissant en situation irrégulière de leur territoire.

Enfin, face aux inquiétudes de la juridiction de renvoi, selon laquelle la rétention organisée dans le cadre de la procédure d’asile contreviendrait aux exigences de la jurisprudence de la CourEDH, le juge de l’Union en rappelle son contenu. Si la finalité de la rétention est bien l’éloignement, la Cour strasbourgeoise considère néanmoins que « l’existence d’une procédure d’asile en cours n’implique pas par elle-même que la rétention d’une personne ayant introduit une demande d’asile n’est plus mise en œuvre « en vue d’une expulsion », puisqu’un éventuel rejet de cette demande peut ouvrir la voie à l’exécution des mesures d’éloignement déjà décidées » (voir l’arrêt Nabil e.a c. Hongrie).

Ainsi, la rétention du requérant ne méconnait pas en l’espèce la ligne défendue par la CourEDH, la procédure de retour en cours, légitimant en quelque sorte la mesure de rétention ordonnée dans le cadre de l’examen de la procédure d’asile.

Tout en veillant à une application uniforme du droit de l’Union, le juge jette ici les bases d’un régime européen de la rétention, dont l’actualité de la situation migratoire en Europe se chargera vraisemblablement d’en préciser le contenu.