La circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé : quelle circulation ?

Les 11 et 12 octobre 2018 est organisé à Lyon un important colloque international sur “La circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé” (*) (Dir. scientifique : Pr H. Fulchiron, U. Lyon, IUF). Dans une table ronde introductive, la question est notamment posée de savoir de “quelle circulation” on parle ?

Ce thème ne peut laisser indifférent tous ceux qui s’intéressent à l’ELSJ et au droit européen de manière générale ! Explications au terme d’une présentation ci-après du canevas d’intervention.

La circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé est susceptible de plusieurs approches :

  • approche par la définition du statut – Evolution historique (renvoi intervention de B. Ancel) et fragilisation de cette approche à l’époque contemporaine (éclatement de la catégorie et diversification des rattachements, etc. – v. not. I. Fadlallah (et les auteurs cités), V° Statut personnel, Répertoire Dalloz).
  • approche par la circulation (pour les personnes on parlera au premier degré de mobilité mais le terme circulation demeure intéressant : permet de décrire le phénomène de manière plus holistique : circulation des situations, des actes, des décisions, etc.) – une approche marginale assumée (i.e. à la marge des grandes constructions du DIP notamment).

Le basculement de l’un (statut) vers l’autre (circulation) n’a rien d’anodin. Il projette un regard nécessairement différent sur l’objet étudié. C’est en tout cas notre hypothèse.

L’objectif : traiter les situations de circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé qui sortent d’une approche de type « statut ». La circulation n’est pas mise en opposition frontale du statut (on le verra plus loin). Les deux notions entrent dans un jeu dialectique avec la question de savoir si une typologie de la circulation peut être de nature à guider la recherche de certaines solutions notamment dans les hypothèses de circulation les plus extrêmes. En un mot : dans cette approche marginale, il faut partir de la circulation quitte au final à se poser la question de son intégration au statut !

Partir de la circulation

Traiter la circulation des personnes en droit : qu’est-ce que cela veut dire ?

Deux grandes manières de faire :

  • le droit traite la circulation « par voie de conséquence » : c’est-à-dire par ses causes ou ses effets ; c’est ce que font la très (très) grande majorité des règles juridiques qui traitent de la cause (l’origine) d’une mobilité ou de ses effets (une fois qu’elle a eu lieu) ; l’approche de la mobilité des personnes par la définition du statut est le plus souvent un traitement de la circulation « par voie de conséquence » (voir en prolongement ci-après);
  • le droit traite de la circulation « en tant que telle » : c’est-à-dire qu’il appréhende de bout en bout le fait même de circulation, ce qui, dans les situations transnationales notamment, implique une approche totale du phénomène sur plusieurs territoires et parfois sur plusieurs espaces ; ce type d’approche est beaucoup plus rare et quand il existe (voir ci-après), il est soumis à un taux d’échec important (quand il n’est pas purement et simplement fantasmé par le discours des juristes – ce point fait l’objet de différents travaux en cours, on ne cherchera pas à s’en expliquer ici).

Reboucler au statut

Partir de la circulation « en tant que telle » et essayer de reboucler au statut requiert une opération délicate : faire entrer ni plus ni moins la circulation dans le statut ! On imagine alors que le droit à circuler puisse faire partie des attributs essentiels de la personne (de sa famille, etc.) de sorte qu’il devient littéralement le véhicule juridique du statut de la personne.

Qu’en est-il en droit positif ?

Il y a (notamment) deux manières d’approcher la question :

  • première manière : on s’interroge sur capacité du droit à poser le droit à circuler comme un élément du statut de la personne ; le résultat n’est pas glorieux : l’art. 13 DUDH est foulé aux pieds (de tous, tout spécialement à notre époque) ; la CEDH ne pose pas un véritable droit à circuler dans un espace transnational et esquisse au mieux, ce que l’on a proposé d’appeler une « liberté de second rang » (M.-A. Hermitte – Rapport recherche GIP GPA à l’étranger, 2016) ; les libertés de l’UE en matière de circulation des personnes et des familles sont des libertés conditionnelles, non absolues, soumises, pour les points les plus discutés (c-à-d les plus intéressants), à une appréciation in casu incompatible avec l’affirmation ex ante d’un statut circulant ; l’essor spécialement en Europe de la reconnaissance des situations qui favorise incontestablement les processus de circulation et la proposition récente intéressante de consacrer un « impératif de reconnaissance » (S. Fulli-Lemaire) sont soumis au débat : ampleur du phénomène que le droit chercherait (ou pas) à promouvoir, fondement théorique de cette reconnaissance (pas seulement dans une discipline du droit (le DIP… par exemple) mais de manière plus générale, spécialement dans la dimension la plus contraignante de la reconnaissance (la fameuse et controversée « présomption de confiance mutuelle ») ;
  • seconde manière : inverser la perspective – partir de l’étude du phénomène de circulation – dresser une typologie – la caractériser dans sa dimension extrême (notre projet IFITIS (IUF) – Circulation totale au-delà du contrôle : http://www.universitates.eu/jsberge/?p=21027) – s’interroger sur la capacité de droit à construire des solutions autour du phénomène et de sa typologie saisis « en tant que tels » – un exemple parmi d’autres : la GPA à l’étranger (Rapport recherche GIP, préc.) – des constructions de type « statut » (essentiellement : reconnaissance ou création du lien de filiation) largement débordées en pratique par des approches décentrées (circulaire Taubira, délivrance des documents de voyage qui provoque (sous l’influence CEDH) un basculement de la jurisprudence de la Cour de cassation qui ne traite plus la GPA de bout en bout) et empiriques (installation de l’enfant (inscription à la crèche, à l’école…) dans le pays retour sans passer par les formalités les plus officielles (notamment l’état civil) du phénomène de circulation – question centrale de la possibilité ou de l’impossibilité juridique, théorique et pratique, de traiter un fait total de circulation de l’enfant né sous GPA – réorganisation des constructions à l’aune de la capacité ou incapacité du droit à organiser le retour de l’enfant dans le pays de la mère porteuse (ou plus modestement sa séparation avec les parents d’intention) avec un travail autour d’une typologie des situations de circulation : celles considérées comme réversibles et celles considérées comme irréversibles.

Au final

Quand on parle de « circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé » de quoi parle-t-on ? De « statut », de « circulation » ou de « circulation et statut » ? On parle certainement des trois… mais rarement en même temps !

Accepter de parler d’abord de circulation (au terme d’une approche du sujet… qui demeure marginale… voir intro.), c’est ouvrir la voie d’un traitement juridique du phénomène saisi « en tant que tel » au départ d’une typologie des circulations.

Est-ce à dire qu’il faut aller plus loin (on s’aventure ici au-delà de notre sujet…) et intégrer ces éléments à la définition même du statut ? Oui probablement, en posant, pour l’approche de certains phénomènes de circulation, spécialement les plus extrêmes (« les cas rares »), c’est-à-dire ceux qui échappent au traitement ordinaire par la règle de droit, d’un statut circulant, mosaïque, pour ne pas dire caméléon, capable de capitaliser les expériences de circulation, de se modifier en conséquence, tout en conservant une unité conceptuelle (« le statut »… « circulant »). Cette unité conceptuelle passe notamment par une capacité à intégrer à l’analyse juridique l’existence  « d’espace de flux » (un peu de publicité : voir le séminaire à venir… à Nice… sur le sujet : http://conflictoflaws.net/2018/space-of-flows-and-the-law-a-seminar-in-nice/).

A suivre…

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(*) Programme du colloque