L’Avis 1/13, ou comment la Cour de justice confirme une conception traditionnellement extensive de sa compétence et privilégie l’efficacité des règlements de l’Union sur l’unité des conventions internationales

par Rostane Mehdi (CERIC) et Cyril Nourrissat (EDIEC)

L’article 218, § 11, TFUE aménage une procédure préventive de consultation de la CJUE dont l’usage reste peu fréquent. La jurisprudence consultative se résume à une quinzaine d’avis dont chacun a contribué à préserver l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union et, le cas échéant, à accélérer le rythme d’expansion des compétences externes de l’Union. Il n’en va pas différemment de l’avis 1/13 rendu le 14 octobre 2014. En l’espèce, la Cour était saisie d’une demande par la Commission visant à ce qu’elle se prononce sur la question de savoir si «l’acceptation de l’adhésion d’un pays tiers à la [convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980] relevait de la compétence exclusive de l’Union européenne ».

Une affaire qui met en évidence, une fois encore, le souci qui porte la Cour a toujours retenir de l’article 218, § 11, TFUE l’interprétation la plus à même d’en assurer l’effet utile le plus large. Par ailleurs, on prend ici de nouveau la mesure du fait que cette procédure poursuit une double vocation. Elle contribue d’abord à doter l’Union de cette « cuirasse de souveraineté » qui permet de la protéger des influences extérieures négatives. Pour absolument essentielle, cette fonction n’en pas moins rarement sollicitée. Ne représentant qu’un tiers des avis rendus, le contrôle de compatibilité pur est, si l’on se situe dans une perspective longue, réduit à la portion congrue. Il est vrai que les avis rendus sur ce terrain ont profondément marqué les esprits tant ils ont contribué à renforcer l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union par rapport à l’ordre juridique international. La Cour a élaboré ici une jurisprudence puissamment adossée à l’idée qu’aucun engagement international ne pourrait saper les bases mêmes de l’édifice « constitutionnel » de l’Union (par ex., avis 1/91 et 1/09).

Le recours à la procédure d’avis s’inscrit le plus souvent dans un autre registre. Il apparaît alors comme un instrument permettant de dénouer un différend opposant les institutions les unes aux autres ou, comme ici, la Commission au Conseil et aux Etats membres sur l’interprétation qu’il convient de retenir, notamment, des règles en matière de compétences. A cet égard, la procédure d’avis a rapidement été conçue particulièrement par les Etats membres comme un moyen de contraindre l’Union à ne pas sortir du cadre, qu’ils se plaisaient à imaginer étroit, de ses compétences.

En l’espèce, la question soumise à la Cour portait moins sur la compétence de l’Union à conclure un accord externe que sur le point de savoir si l’acceptation de l’adhésion d’un Etat tiers à la Convention de La Haye relevait ou non d’une compétence exclusive de l’Union. L’affaire se corsait dans la mesure où l’Union n’est pas elle-même formellement partie à cet instrument. Toutefois, un réglement 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de responsabilité parentale disposait, en son article 60, qu’il prévalait dans les relations entre Etats membres sur les conventions dès lors que celles-ci concernent des matières réglées par le règlement. Considérant que le domaine de l’enlèvement d’enfant relève de la seule compétence de l’Union, la Commission a adopté, en toute logique, autant de propositions de décisions au Conseil qu’il y avait d’Etats tiers désireux d’adhérer à la Convention de La Haye. La plupart des représentants d’Etats membres ont estimé qu’il n’y avait pas d’obligation juridique pour le Conseil d’adopter ces propositions puisque l’Union ne disposerait ici d’aucune compétence. Aussi, le Conseil s’est-il abstenu d’y donner suite.

C’est précisément pour dénouer les fils de cet écheveau que la Cour a été sollicitée par la Commission. Il fallait aux juges de Luxembourg d’abord se prononcer sur la recevabilité de la demande avant que de se pencher sur le fond de la question soumise à leur examen.

1. Une conception classiquement compréhensive de la recevabilité des demandes d’avis

Les Etats membres intervenant à l’instance ont développé leur démonstration en campant sur trois lignes de défense successives : la demande ne porte pas sur un accord entendu au sens strict du terme ; la Cour est sollicitée alors même qu’il n’est pas possible d’établir l’existence d’un accord envisagé ; la Commission aurait habilement essayé de contourner les contraintes inhérentes au recours en constatation de manquement pour obtenir de la Cour qu’elle conduisent ceux-ci à mettre fin à des pratiques hétérodoxes. Ils ne seront suivis sur aucun de ces points. La Cour a, en effet, retenu une interprétation traditionnellement extensive de la notion d’accord international et une conception compréhensive de sa propre compétence consultative.

A – La Cour estime être en présence d’un « accord » au sens de l’article 218 § 11 TFUE

Les Etats ont assez classiquement concentré leur démonstration sur le fait que la demande d’avis portait non pas sur la conclusion proprement dite d’un accord international mais sur la répartition des compétences entre l’Union et ses Etats membres en matière d’exécution de la convention de La Haye. Pour ces gouvernements un « accord désignerait toujours un acte conventionnel ce qui présuppose deux expressions de volonté. Or, l’adhésion et l’acceptation de cette adhésion par un Etat contractant ne constitueraient pas deux expressions concordantes de volonté puisqu’elle ne s’inscrirait pas dans un rapport contractuel de réciprocité. Il ne s’agirait ni de déclarations concordantes dans le cadre d’un traité d’adhésion ni d’une modification d’un traité. Cette déclaration serait simplement un instrument interne à la Convention de la Haye visant à étendre le champ territorial de celle-ci » (pt. 32).

L’argument soulève ainsi le problème de la qualification d’une déclaration d’acceptation. Est-ce un acte s’inscrivant par essence autant que par fonction dans le processus d’extension du champ d’application personnelle de la convention ? Autrement dit, un acte peut-il au-delà de son apparence unilatérale constituer un rouage essentiel au déploiement d’une logique fondamentalement consensuelle ?

S’appuyant sur les prescriptions de la Convention de Vienne du 23 mai 1969, la Cour souligne que les volontés exprimées successivement dans l’instrument d’adhésion et dans la déclaration d’acceptation sont concordantes. Les parties s’engagent ainsi réciproquement les unes envers les autres à appliquer la même convention dans leurs relations mutuelles. Ce faisant, l’enchaînement de ces actes compose une figure conventionnelle. La combinaison d’instruments distincts forme donc un concours de volontés des sujets concernés et constitue de ce fait un accord international (pt. 41).

On peut rappeler à cet égard que l’article 2 § 1 a) de la Convention de Vienne complète la définition coutumière du traité, en stipulant que « l’expression ‘traité’ s’entend d’un accord international conclu par écrit et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière ». Cette définition (non exhaustive) rend compte d’une réalité complexe résultant soit de la structure de l’accord (un même traité peut contenir deux ou plusieurs instruments, sans que cela affecte sa qualification) soit du manque d’unité terminologique. Il est vrai que la CIJ elle-même a considéré que la « terminologie n’est pas un élément déterminant quant au caractère d’un accord ou d’un engagement international. Dans la pratique des Etats et des organisations internationales, comme dans la jurisprudence des tribunaux internationaux, on trouve des usages très varié s; le caractère de dispositions conventionnelles a été attribué à de nombreux types d’actes différents » (Affaire du Sud-Ouest africain [Éthiopie c/ Afrique du Sud, Libéria c/ Afrique du Sud], exceptions préliminaires, arrêt du 21 décembre 1962, CIJ, Rec. 1962, p. 331. [http://www.icj-cij.org]).

Dans son avis 1/13, la Cour de Luxembourg confirme ainsi sa volonté de dynamiser au moyen d’une lecture constructive de ses propres prérogatives la procédure consultative. Elle refuse, à l’instar de son homologue de La Haye, de se laisser enfermer dans des définitions étroites qui seraient de nature à affecter l’efficacité du dispositif aménagé par l’article 218, § 11, TFUE. Aussi, considère-t-elle, sans jamais dévier d’une ligne fixé en 1975, qu’en se référant à « un accord », le traité entend utiliser ce terme dans un sens général, pour désigner tout engagement pris par des sujets de droit international et ayant force obligatoire (v. Avis du 24 mars 1995, 2/92 Compétence de la Communauté ou de l’une de ses institutions pour participer à la troisième décision révisée du Conseil de l’OCDE relative au traitement national, Rec. p. I-521). Dans le fil de son avis 1/75 (CJCE, avis du 11 novembre 1975, 1/75, Rec. p. 1355), elle s’en est toujours tenue sur ce point à une perception large et dénuée de tout formalisme. Il est donc satisfait à la première condition requise pour que la demande d’avis soit déclarée recevable.

B – Une conception compréhensive de la compétence consultative

La Cour considère traditionnellement que la demande d’avis peut, au-delà de la compatibilité de l’accord envisagé avec les traités, porter également sur le choix de la base juridique de l’acte de conclusion ou sur l’existence dans le chef de l’Union des compétences requises. En refusant de souscrire à une analyse byzantine consistant à distinguer le contrôle exercé sur l’accord proprement dit de celui qui pourrait porter sur d’autres aspects, la Cour a constamment confirmé une vision compréhensive de sa compétence consultative. Ses avis peuvent être, en effet, recueillis sur « toute question susceptible d’être soumise à l’appréciation judiciaire pour autant que ces questions seraient de nature à provoquer des doutes quant à la validité matérielle et formelle de l’accord au regard du traité » (Avis 1/94). Il n’est donc aucun inconvénient à ce que la Cour se prononce sur des questions concernant la répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres pour conclure un accord avec des Etats tiers. Une perception que corroborent, du reste, les termes de l’article 196 § 2 du règlement de procédure de la Cour dont on sait qu’il dispose qu’une « demande d’avis peut porter tant sur la compatibilité de l’accord envisagé avec les dispositions des traités que sur la compétence de l’Union ou de l’une de ses institutions pour conclure cet accord ».

En l’espèce, la demande introduite par la Commission soulève la question de la compétence de l’Union au regard des règles de droit de cette dernière aux fins de la conclusion d’accords internationaux au moyen de déclarations d’acceptation. Le problème qui est soumis à l’examen de la Cour est donc de nature avant tout constitutionnelle. La procédure établie par l’article 218, § 11, TFUE, constitue ainsi un mécanisme de prévention de crises institutionnelles potentielles. L’intervention de la Cour permet d’encadrer l’action des institutions en charge du pouvoir de décision et, ce faisant, de sauvegarder, contre les comportements déviants imputables aux institutions elles-mêmes ou aux Etats membres, les principes au fondement d’une Union dont elle a largement contribué à définir la substance.

Dans cette perspective, elle dénie toute pertinence au moyen tiré de l’impossibilité pour l’Union de devenir partie à la convention dans la mesure où même dans cette hypothèse, dès lors qu’un accord relève matériellement de la compétence externe de l’Union, celle-ci peut être exercé par l’intermédiaire des Etats membres agissant ici dans l’intérêt commun. Elle se refuse donc à conditionner l’existence d’une compétence aux modalités, fussent-elles particulières, de son exercice. Il est vrai que la jurisprudence ne rejette pas l’idée que l’Union puisse être liée par des conventions conclues par les Etats membres, et auxquelles elles ne sont pas formellement parties. C’est ainsi que la Cour a considéré qu’en transférant leur compétence en matière douanière à la Communauté, les Etats ont manifesté leur volonté de la lier par les obligations qu’ils avaient contractées en vertu du GATT (CJCE, 12 décembre 1972, International fruit company, 21 à 24 /72). La situation n’est finalement pas très différente en l’espèce. La Cour est avant tout préoccupée d’assurer ici l’exclusivité de la compétence externe de l’Union afin d’éviter que ne se développent des stratégies nationales divergentes et par essence inconciliables avec l’exigence d’uniformité posée par le traité.

Contrairement à ce qu’estiment les Etats membres intervenant à l’instance, il ne fait aucun doute, aux yeux de la Cour, qu’elle est bien saisie en l’espèce d’une demande portant sur un élément constitutif d’un accord « envisagé » au moment de l’introduction de la demande d’avis.

A ce titre, elle entend d’abord rappeler qu’elle peut être saisie d’une demande d’avis lorsque l’accord est envisagé par l’Union c’est-à-dire par l’une ou l’autre de ses institutions. A cet égard, le fait que la Commission ne soit pas investie du pouvoir de décision d’engager ultimement l’Union est sans effet. Les juges tiennent ensuite la demande pour recevable dès lors que la proposition soumise au Conseil n’a pas été retirée au moment de la saisine de la Cour. Par cette formule « euphémistique », elle neutralise le fait que le Conseil ait décidé de ne pas entériner les déclarations d’acceptation que la Commission lui proposait d’adopter. Les réserves du Conseil trahissent les doutes qu’il nourrit à l’idée que l’Union puisse être compétente. Une question qui devait être tranchée prioritairement dans l’intérêt de toutes les parties concernées. L’intervention de la Cour doit éviter à l’Union d’être exposée à des « complications juridiques » liées au fait que les Etats membres souscriraient des engagements internationaux sans l’habilitation requise alors qu’ils ne disposent plus au regard du droit de l’Union européenne de la compétence législative nécessaire pour les mettre en œuvre (pt. 47). Ce faisant, il s’agit de réduire les risques de perturbations résultant immanquablement d’une éventuelle « décision judiciaire qui constaterait, après la conclusion d’un accord international engageant les États membres, que celui-ci est incompatible avec la répartition des compétences entre l’Union et ces États serait susceptible de créer, non seulement sur le plan interne de l’Union, mais également sur celui des relations internationales, des difficultés sérieuses et risquerait de porter préjudice à toutes les parties intéressées, y compris aux États tiers » (pt. 48).

Entendant prévenir les conséquences d’une situation qu’elle a parfois contribué à créer, la Cour n’hésite pas à manier ici le paradoxe. On sait, en effet qu’au fil d’une jurisprudence continue (CJCE, 10 mars 1998, République fédérale d’Allemagne soutenue Royaume de Belgique c. Conseil de l’Union, C-122/95, Rec. p. I-973), elle s’est délibérément affranchie d’une loi structurant la société internationale. En acceptant d’exercer un contrôle a posteriori, elle a clairement choisi de faire primer la nécessité de préserver le cadre constitutionnel crée par le traité sur celle de respecter les obligations incombant à l’Union en vertu du droit international.

La recevabilité de la demande ne saurait ensuite être subordonnée à un accord préalable des institutions. Dit autrement, la saisine vise moins à exprimer un consensus, ce qui en réduirait sans doute l’intérêt, qu’à mettre la Cour en mesure de dénouer une dispute. Du reste, telle est la raison pour laquelle l’article 218 § 11 TFUE ouvre aux Etats, au Conseil, au Parlement ou à la Commission un droit qui peut évidemment être exercé de manière individuelle. En l’espèce, la Commission a envisagé la conclusion des accords par l’intermédiaire des Etats membres agissant dans l’intérêt de l’Union. Le fait que le Conseil se soit opposé à ses propositions repose uniquement sur sa conviction que l’Union ne dispose pas de la compétence externe exclusive en matière d’enlèvement d’enfants. La conclusion à laquelle parvient la Cour n’est pas infirmée par la circonstance que certains Etats membres ont déjà déposé des déclarations d’acceptation d’adhésion. A ce stade, on peut considérer que ces Etats ont pris une option qui les placera éventuellement dans l’illégalité mais qui n’a nullement pour conséquence nécessaire l’effacement de la compétence (potentielle) de l’Union.

C – Une concurrence entre voies de droit ?

Les Etats membres dénonçaient enfin une « manœuvre » de la Commission dont l’objectif aurait été de mettre fin à la pratique d’Etats membres qui ont individuellement accepté l’adhésion de certains Etats tiers sans que le collège ne les poursuive dans le cadre de procédures en constatation de manquement.

Il est vrai que la situation est troublante, plus de 300 déclarations d’acceptation ayant été déposées depuis l’entrée en vigueur du règlement 2201/2003. La Cour ne souhaite manifestement pas lier la recevabilité de la demande d’avis au fait que d’autres voies de droit qui auraient pu être actionnées ne l’ont pas été. Ce faisant, elle réaffirme son souci d’assurer l’autonomie de ce mécanisme consultatif par rapport aux voies de recours aménagées par les articles 258 TFUE ou même 263 TFUE (CJCE, avis 3/94, 13 décembre 1995). En effet, l’article 218, § 11, TFUE n’a pas pour objet de sauvegarder les intérêts et les droits des requérants, pas même de la Commission, lesquels disposent à cette fin des recours adéquats, mais seulement de prévenir des difficultés tenant à une éventuelle incompatibilité entre un accord engageant la Communauté et le traité ou à une incertitude d’ordre constitutionnelle.

 2 – Une construction audacieuse d’un « ensemble normatif indivisible »

L’analyse de l’examen au fond réalisé par la Cour de justice est riche de plusieurs enseignements qui méritent mention et suscitent observations. Après avoir caractérisée l’existence d’un « ensemble normatif indivisible » né de la conjonction de la convention de La Haye et du règlement 2201/2003 (A), elle n’en estime pas moins – et sans réelle surprise – devoir consacrer la primauté du règlement sur la convention au nom de la portée et de l’efficacité du mécanisme de retour instauré (B).

 A – L’affirmation de l’existence d’un « ensemble normatif indivisible » au soutien du retour des enfants illicitement déplacés

En premier lieu, la Cour relève que les « dispositions du règlement n° 2201/2003 […] soit sont fondées sur les règles de la convention de La Haye de 1980, soit prévoient des conséquences qu’il y a lieu de tirer de l’application de ces dernières. Ces deux catégories de dispositions constituent un ensemble normatif indivisible qui s’applique aux procédures de retour des enfants illicitement déplacés au sein de l’Union » (pt. 78 de l’avis). On ne peut que suivre la Cour sur ce point.

D’une part, la lecture attentive du règlement « Bruxelles II bis » suffit à s’en convaincre en ce qu’à plusieurs reprises des références explicites à la Convention de La Haye sont opérées dans le corps du texte européen. Mais, le règlement va beaucoup plus loin qu’une simple référence. Par exemple, en matière de retour de l’enfant, l’article 11 du règlement organise un renvoi pur et simple aux dispositions de la Convention de La Haye non sans, le cas échéant, appeler la juridiction de l’Etat membre concerné à une attitude propre tirée des exigences du règlement. Ainsi, en cas d’application des articles 11 et 12 de la convention, la juridiction doit « veiller à ce que l’enfant ait la possibilité d’être entendu au cours de la procédure, à moins que cela n’apparaisse inapproprié eu égard à son âge ou à son degré de maturité ». Cette juridiction doit aussi « agir rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national ». Ou encore, « une juridiction ne peut pas refuser le retour de l’enfant en vertu de l’article 13, point b), de la convention de La Haye de 1980 s’il est établi que des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protection de l’enfant après son retour ».

On l’aura compris, le règlement fait bien corps avec la convention – l’indivisibilité évoquée par l’avis – dont il emporte une application spécifiquement européenne. Force est alors de rappeler que cette proposition d’« ensemble normatif indivisible » convention – règlement a aussi sens pour d’autres instruments. Tel est par exemple le cas du règlement 4/2009 sur les obligations alimentaires dont le chapitre III relatif à la loi applicable se résume à un article 15 qui se borne purement et simplement à indiquer que « la loi applicable en matière d’obligations alimentaires est déterminée conformément au protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires (ci-après dénommé «le protocole de La Haye de 2007») pour les États membres liés par cet instrument ». Tel sera aussi le cas, dans quelques semaines, du règlement « Bruxelles I bis » qui entretient des relations d’autant plus étroites avec la Convention de La Haye de 2005 sur les accords d’élection de for que la « refonte » dont il procède a, en matière de clauses attributives, été présentée par la Commission européenne comme largement justifiée par la nécessité de se concilier avec cette convention.

En ce sens, le droit forgé à « Bruxelles » apparait bien comme le complément, la suite logique du droit créé à « La Haye », dans une sorte de jeu de miroir – peut être un peu déformant – mais dont l’enjeu se mesure en définitive à l’aune des objectifs assignés, ici le retour immédiat des enfants illicitement déplacés.

B – La consécration de la « primauté » du règlement sur la Convention de La Haye au nom de la portée de l’efficacité des mécanismes de retour immédiat.

En second lieu, la Cour de justice va alors renverser la donne lui permettant de considérer, d’une part, que « les dispositions du règlement n° 2201/2003 couvrent en grande partie les deux procédures régies par la convention de La Haye de 1980, à savoir celle portant sur le retour des enfants illicitement déplacés et celle visant à assurer l’exercice du droit de visite.

Ainsi l’ensemble de cette convention doit être considéré comme couvert par les règles de l’Union » (pt. 83 de l’avis), d’autre part, que « malgré cette primauté accordée au règlement n° 2201/2003, la portée et l’efficacité des règles communes établies par ce règlement risquent d’être affectées par des acceptations hétérogènes, de la part des Etats membres, d’adhésions d’Etats tiers à la convention de La Haye de 1980 » (pt. 88 de l’avis).

Et de développer alors un ultime argument utilitariste si ce n’est logique tenant au fait que si les Etats membres restaient maitres de l’acceptation de l’adhésion des Etats tiers, « il existerait un risque d’atteinte à l’application uniforme et cohérente du règlement n° 2201/2003 et, en particulier, aux règles de coopération entre les autorités des Etats membres, chaque fois qu’une situation d’enlèvement international d’enfant concerne un Etats tiers et deux Etats membres dont l’un aurait accepté l’adhésion de cet Etat tiers à cette convention, mais l’autre pas » (pt. 89 de l’avis).

De manière rapide, on concèdera bien volontiers peiner à être totalement convaincu par le raisonnement suivi, en particulier par la bascule fondée sur la « primauté » du règlement sur la convention internationale dont les conséquences techniques sont innombrables au-delà de la seule uniformité d’application du règlement dans l’Union européenne qui pourrait à elle seule apparaitre comme un motif suffisant. En « phagocytant » pleinement la Convention de La Haye de 1980 par le biais de cet avis – même si la considération finale tenant à l’application uniforme doit naturellement être prise en considération avec intérêt –, la Cour de justice retient une solution extrême dont l’aune sera désormais et systématiquement « la portée et l’efficacité des règles communes établies par le règlement ». Avec ce dernier argument appelé à être brandi comme un leitmotiv par la Commission européenne, il devient clair que les Etats membres de l’Union européenne ont définitivement perdu la bataille de La Haye engagée depuis de nombreuses années et dont certains ont pu mesurer très directement les manifestations pas toujours très diplomatiques du triumvirat Conseil – Commission – Parlement…

Espérons simplement que la conférence de La Haye n’en sortira pas elle-même défaite, alors que cette institution a joué et continue à jouer un rôle majeur dans la coordination au niveau international, animée qu’elle est par le souci de rechercher et construire – et le paradoxe n’est qu’apparent – cette « harmonie des solutions » qui reste l’essence même de la science de conflits (de lois et de juridictions) !