Conseil des ministres JAI des 7 et 8 juin 2012 – Quel bilan pour la coopération judiciaire en matière civile ?

par Claire Debourg, Laurence Sinopoli et Marjolaine Roccati, CEJEC

Si les conclusions du Conseil des ministres JAI les 7 et 8 juin 2012 révèlent les préoccupations migratoires des différents États membres (voir le mot de MM. Labayle et Bergé), la coopération judiciaire en matière civile n’a pas pour autant été absente des débats.
Ce Conseil a ainsi notamment permis l’adoption du règlement relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ainsi que l’adoption d’une « orientation générale » règlement concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (le règlement « Bruxelles I »).

Successions :

La proposition de la Commission visant à simplifier le règlement des successions internationales a reçu le 7 juin 2012 l’approbation finale du Conseil des ministres de la justice de l’UE, le texte définitif étant publié le 27 juillet. Cet acte était politiquement attendu pour mettre enfin un terme à dix ans de discussions. En effet, l’adoption d’un instrument européen en matière de successions figurait déjà au rang des priorités du Plan d’action de Vienne de 1998.

Proposition édictée sur le fondement de l’article 67 § 5 du traité selon la procédure de codécision, elle a été considérée comme ne relevant pas d’« aspects touchant le droit de la famille ». Afin de justifier la mise à l’écart de la règle de l’unanimité, la Commission européenne s’appuie sur l’idée selon laquelle le droit de la famille a pour objet de régir surtout les rapports juridiques liés au mariage et à la vie de couple, à la filiation et à l’état civil des personnes. Sa fonction sociale essentielle est de protéger les liens familiaux. À l’inverse, la finalité principale du droit successoral est de définir les règles de dévolution de la succession ainsi que de régler la transmission de la succession elle-même. En outre, le droit successoral reste une matière où la volonté du titulaire des droits occupe une place importante. L’exclusion est sans doute un peu rapide, « le droit des transferts intra et intergénérationnels est, avant tout, un droit de la famille » (D. Guével, Droit des successions et des libéralités, Paris, L.G.D.J., 2010, p. 21), mais il semble que l’avancée de la coopération judiciaire en matière civile se fasse au prix d’une conception très restrictive du droit de la famille.

Ce règlement vise à améliorer le sort des héritiers et créanciers et à accélérer les procédures transfrontalières. À cet effet, il prévoit notamment la création d’un certificat successoral européen, qui permettra à chacun d’invoquer le cas échéant sa qualité ou exercer ses droits en tant qu’héritier ou légataire, et/ou ses pouvoirs en tant qu’exécuteur testamentaire ou administrateur de la succession.

Le règlement opte pour un système unitaire, soumettant l’ensemble de la succession mobilière et immobilière à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt, sauf jeu de la clause de proximité. C’est également le critère choisi pour désigner la compétence des juridictions d’un État membre. Cependant, le règlement ne donne pas de définition de cette résidence habituelle (voir à ce sujet le mot de M. Da Lozzo sur ce même site). Par ailleurs, une personne peut toujours choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité, y compris le cas échéant la loi d’un État tiers, même si elle entretenait très peu de liens avec son État d’origine (voir l’article 20 sur l’application universelle du règlement).

Instrument de droit international privé, le règlement n’en est pas pour autant dénué de toute règle matérielle, telle celle régissant la situation des « comourants » (article 32). Quant aux règles de conflit, elles n’empêcheront pas le cumul de plusieurs lois et les difficultés subséquentes de frontières qui se poseront. Illustration caractéristique, la fiscalité demeure toujours régie par le droit national (article premier, 1.), ce qui pourra susciter des difficultés d’application. Par ailleurs, le doute nait sur la portée de la loi désignée par le règlement. Le règlement normalement exclut de son domaine d’application « la nature des droits réels ; et […] toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers » (article premier, 2. k et l). L’appréciation d’un droit de propriété est pourtant intimement liée aux questions de successions.

Une fois identifiée la loi désignée par le règlement, le débat se tournera vers l’éventuelle contrariété de ladite loi à l’ordre public international de l’État membre requis, dans un domaine où les susceptibilités nationales ne manqueront pas de s’exprimer. La réserve héréditaire en droit français, que certains États membres ignorent, trouverait peut-être ici le moyen d’être toujours respectée. Même si la C.J.U.E. ne manquera probablement pas de contrôler l’usage que les juridictions internes feront de l’exception d’ordre public international, encore loin d’être véritablement européen.

Refonte de Bruxelles I :

Le processus de refonte du règlement Bruxelles I est quant à lui propice aux rebondissements, puisque c’est finalement une version très édulcorée de la proposition de la Commission européenne de décembre 2010 qui a fait l’objet d’une orientation générale, petit pas supplémentaire vers une adoption future.

Le slogan promotionnel auquel était attaché la Commission, la suppression de l’exequatur issue d’une volonté d’accélérer la circulation des décisions en matière civile et commerciale au sein de l’Union, conformément au sacro-saint principe de la reconnaissance mutuelle, demeure. Cependant, un contrôle bienvenu subsiste et sera désormais effectué au stade de l’exécution de la décision (articles 48, 50-1 et 51).

A ses côtés, l’arbitrage reste exclu (articles premier et 84 § 2). Toutefois, un considérant (note de bas de page sous l’article 84 § 2) est inséré pour préciser les modalités de cette exclusion et tenter de répondre à certaines des interrogations suscitées par la jurisprudence Allianz c/ West Tankers. L’exclusion y est largement conçue, puisqu’elle s’étend aux procédures accessoires d’appui et de contrôle de l’arbitrage, reprenant ainsi l’état de la jurisprudence existante (cons., al. 4). En outre, il est expressément renvoyé à la loi nationale s’agissant des questions liées à la convention d’arbitrage, permettant ainsi au juge saisi d’une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage de renvoyer les parties à l’arbitrage –  comme le prévoit le droit français –, de surseoir à statuer, de mettre fin à l’instance, ou encore d’examiner si la convention d’arbitrage est efficace. Par ailleurs, sont précisées les modalités de circulation des décisions rendues par les juridictions des États membres dans le cadre de l’examen de la compétence arbitrale, distinguant entre la décision sur la compétence, y compris à titre incident, et la décision au fond.

La compétence de principe du domicile du défendeur subsiste (article 3), également pré-requis de l’application des compétences spéciales ou protectrices de la partie faible (sections 2 à 5), ce qui ruine la proposition d’extension générale des règles de compétence de l’Union aux hypothèses de conflits où le défendeur est domicilié dans un État tiers. Celle-ci fait néanmoins son apparition par petites touches, lorsque le demandeur est un consommateur (article 16 § 1) ou un travailleur (article 19 § 2). En ce qui concerne l’assuré, il peut considérer toute succursale, agence ou établissement d’un assureur dans un État membre comme son domicile (article 9 § 2). L’extension des compétences de l’Union a ainsi pour principal objectif la protection des parties faibles.

En parallèle toutefois, la compétence fondée sur une clause attributive de juridiction s’étend également aux situations dans lesquelles aucune des parties n’a son domicile dans un État membre (article 23). Le législateur européen tient ainsi tête aux rédacteurs de la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for, qui souhaitaient limiter l’application du règlement européen aux rapports intra-européens (voir l’article 26 § 6 de la convention : « [l]a présente Convention n’affecte pas l’application des règles d’une Organisation régionale d’intégration économique partie à cette Convention, que ces règles aient été adoptées avant ou après cette Convention […] lorsque aucune des parties ne réside dans un État contractant qui n’est pas un État membre de l’Organisation régionale d’intégration économique »).

En revanche, la compétence subsidiaire fondée sur les biens mobiliers et le forum necessitatis « si le droit à un procès équitable ou le droit d’accès à la justice l’exigent » sont abandonnés (articles 25 et 26 de la proposition). Seule une compétence en matière de biens culturels est envisagée (article 5 § 2).

Toujours pour garantir une meilleure protection d’une partie faible, le législateur européen ajoute une règle obligeant le juge à s’assurer que le défendeur partie faible, qui comparait devant lui alors qu’il n’est pas compétent en vertu du règlement, est informé de son droit de contester la compétence (article 24 § 2).

Au rang des autres modifications, le législateur met fin de façon attendue à la jurisprudence Gasser, en faisant prévaloir le juge élu et non pas le juge premier saisi en matière de litispendance ou de connexité internationales (article 32 § 2), sauf lorsque le demandeur – exclusivement, de façon surprenante – est une partie faible et que la convention déroge aux compétences posées par le règlement en la matière (article 32 § 4). En outre, peut être relevée l’introduction de règles dans ce même domaine qui permettront aux juridictions d’un État membre, à titre facultatif, de surseoir à statuer et, ultérieurement, de mettre un terme à la procédure dans des situations où une juridiction d’un État tiers a déjà été saisie d’une action entre les mêmes parties ou d’une action connexe au moment où la juridiction de l’UE est saisie (articles 34 et 34-0). Toutefois, il ne s’agit que d’une faculté, dont le juge de l’État membre peut s’affranchir pour des considérations tenant à la bonne administration de la justice, ce qui laisse présager des difficultés d’interprétation.

Ces quelques modifications, non exhaustives, sont révélatrices d’une avancée par petits pas du législateur européen, sans bouleversement du domaine de la coopération civile et commerciale, une réalité à laquelle il nous avait jusqu’à présent peu habitués.