Suite des aventures jurisprudentielles de la directive “retour” : l’exécution de l’éloignement par le biais d’une sanction pénale.

par Marie Garcia, CDRE

Après quelques temps de répit pour la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, plus connue sous le nom de directive “retour”, les juges du Luxembourg, ont eu à  nouveau à préciser le sens de certaines de ses dispositions, à l’occasion d’une nouvelle question préjudicielle posée par le juge italien en juillet 2011.

Utilisant cette fois la procédure préjudicielle classique, prévue à l’article 267 du TFUE, la CJUE rend le 6 décembre 2012 un nouvel arrêt (CJUE, 6 décembre 2012, Sagor, C-430/11) dans la lignée, semble-t-il, des jurisprudences El Dridi et Achughbabian, commentées sur ce site. Si les affaires précitées avaient marqué les esprits (une PPU et une procédure accélérée à l’occasion desquelles la Cour s’était livrée à une véritable explication de texte de la directive « retour ») il n’est pas certain cependant que l’arrêt Sagor soit promu au même rang.

A sa décharge, le changement contextuel et factuel de l’affaire a sans aucun doute eu un impact sur l’issue de l’arrêt. On se rappelle en effet qu’à l’époque des affaires El Dridi et Achughbabian la directive « retour » n’était pas encore transposée, ni en Italie ni en France, créant pour l’occasion une véritable confusion juridique sur la portée à donner à la jurisprudence de la Cour. Peut-être cela explique-t-il l’insistance avec laquelle le juge de l’UE avait jugé utile de guider les Etats Membres dans leur compréhension de la procédure de retour telle que prévue par la directive.

Il s’agissait, de plus, dans les deux affaires précitées, pour les ressortissants étrangers en cause de purger une peine d’emprisonnement faisant suite au non-respect de l’ordre de quitter le territoire italien ou français. L’urgence était plus ou moins caractérisée, M.El Dridi déjà emprisonné, et M.Achughbabian sur le point de l’être, et la question juridique cruciale : la directive « retour » s’opposait-elle à une réglementation nationale qui prévoit l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers au motif de l’irrégularité de son séjour (point 29 arrêt El Dridi ; point 25 arrêt Achughbabian) ? En d’autres termes, les juges luxembourgeois devaient se prononcer sur la pénalisation du séjour irrégulier, et plus précisément s’interroger sur la compatibilité d’une telle mesure avec la procédure de retour, en raison de sa contrariété avec l’objectif premier de la directive « retour » : l’effectivité de l’éloignement des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire d’un Etat membre.

L’arrêt Sagor, intervient après la transposition de la directive « retour » en Italie. Le décret 286/1998, intitulé « Testo unico sull’immigrazione » et modifié en juin 2011 afin d’opérer cette transposition, était l’objet des incertitudes du Tribunale di Rovigo. Il qualifie de délit le séjour irrégulier et le sanctionne pénalement par une peine d’amende, convertible sous certaines conditions, en peine d’expulsion immédiatement exécutoire ou en peine d’assignation à résidence.

A l’origine de l’affaire, M.Sagor, ressortissant originaire du Bangladesh, entré illégalement sur le territoire italien en 2009, est vendeur ambulant, sans domicile fixe. Interpellé par la police quelques mois après son arrivée en août 2009, il ne possède pas le droit de séjourner sur le territoire italien et il est assigné devant le Tribunale di Rovigo pour répondre du délit d’entrée et de séjour irrégulier. Le séjour irrégulier ne faisant aucun doute, le juge italien doit infliger à M.Sagor la sanction pénale correspondant à ce délit. Cependant, « nourrissant des doutes sur la compatibilité de cette règlementation nationale avec le droit de l’Union » il se tourne pour la seconde fois vers la Cour avant toute condamnation.

La question posée en substance au juge luxembourgeois consistait donc dans un premier temps à savoir si l’interprétation de la directive « retour » s’opposait à une règlementation d’un Etat membre qui réprime le séjour irrégulier par une peine d’amende pouvant être remplacée par une peine d’expulsion ou par une peine d’assignation à résidence. Mais le juge italien ne s’arrête pas là et demande frontalement au juge de l’UE ce qu’il doit penser de l’application d’une règle de droit national adoptée pendant le délai de transposition de la directive en vue de contourner celle-ci ou en tout cas de limiter son champ d’application.

La protection de l’effet utile de la directive « retour »

Préalablement, la CJUE cadre les termes du débat et rappelle les lignes de sa jurisprudence développée précédemment dans les affaires El Dridi et Achughbabian : la directive « retour », « ne porte que sur le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » et elle n’a pas vocation à harmoniser les règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers (point 31). Par conséquent les Etats membres peuvent qualifier le séjour irrégulier de délit et le sanctionner pénalement.

Elle confirme donc ici la compétence pénale des Etat membre, notamment en matière d’immigration clandestine où cette compétence pénale n’est pas exclue. Les Etats membres peuvent « adopter des mesures, même de caractère pénal, permettant notamment de dissuader (les) ressortissants de demeurer illégalement » sur leur territoire » (point 52, El Dridi) mais la réglementation pénale de l’Etat membre ne doit pas compromettre l’application du droit de l’UE, ni « mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile » (point 55 arrêt El Dridi). La Cour avait longuement expliqué dans sa jurisprudence précitée que l’objectif de la directive retour étant l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants en séjour irrégulier, les Etats membres avaient l’obligation de prendre une décision de retour mais surtout de l’exécuter dans les meilleurs délais et le respect de la procédure établie par la directive (point 59 arrêt El Dridi).

La question sous jacente, en l’espèce, n’était donc pas de s’interroger sur l’opportunité de la qualification pénale du séjour irrégulier, mais de savoir si les procédures pénales qui en résultent ainsi que les sanctions applicables ne s’opposent pas à l’objectif d’efficacité de la directive. La sanction italienne du séjour irrégulier par une peine d’amende était de loin l’aspect le moins problématique de la question.

Selon le juge de l’Union, les effets de la sanction pécuniaire ne peuvent aucunement ralentir ou entraver la procédure de retour. De plus, la législation italienne prévoit la suspension de la procédure pénale si le retour peut-être effectué. La législation italienne répond de ce point de vue à tous les critères posés par la CJUE : la procédure de retour prévaut sur la procédure pénale (point 35). Les effets de la sanction qui découle de cette procédure pénale ne viennent pas non plus entraver la procédure de retour en cours (point 36).

Qu’en est-il alors si la peine d’amende est convertible en peine d’assignation à résidence ? Le juge luxembourgeois, fidèle à sa ligne de pensée, constate que l’assignation à résidence ne permet pas de « procéder à l’éloignement dans les meilleurs délais » (point 43). Il précise par la suite que l’assignation à résidence ne peut pas être entendue comme une « mesure » au sens de l’article 8 de la directive 2008/115, qui contribuerait efficacement à la réalisation de l’éloignement « à savoir le transfert physique de l’intéressé hors de l’EM concerné ». Cette peine s’opposerait même aux mesures prévues par la directive afin de réaliser le retour : la reconduite à la frontière, le retour forcé par voie aérienne par exemple (point 45).

La CJUE renvoie alors au juge italien la mission de trouver dans son ordre juridique interne une disposition faisant prévaloir l’éloignement sur l’exécution de la peine d’assignation à résidence. Autrement dit, si le droit interne permet de mettre fin à l’exécution de la peine d’assignation à résidence dès qu’il est possible de réaliser l’éloignement, le droit national n’amoindrit pas l’effet utile de la directive retour (point 46). Dans le cas contraire, il pose problème.

La relativisation du principe du retour volontaire

Une fois ce point élucidé, le juge devait se prononcer sur la convertibilité de la peine d’amende en peine d’expulsion immédiatement exécutoire, assortie d’une interdiction d’entrée d’au moins cinq ans. L’analyse pouvait conduire à priver de tout son sens la procédure et les droits des ressortissants garantis par la directive « retour ».

La Cour constate dans un premier temps que la directive « retour » autorise la réalisation de l’éloignement dans le cadre d’une procédure pénale. En effet, la décision de retour peut être prise par le biais d’une décision judiciaire à caractère pénal (article 3 point 4 de la directive), la décision portant sur la fin du séjour, la décision de retour et/ou la décision d’interdiction d’entrée peuvent être prises dans une seule et unique décision, et les Etats membres sont autorisés « à prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour si aucun délai volontaire n’a été accordé » (article 8§1).

Le fait que la législation italienne puisse prévoir la réalisation de l’éloignement par l’exécution d’une sanction pénale, n’est donc pas incompatible avec les dispositions de la directive.

Cependant, le vrai problème ne se trouvait-t-il pas dans l’impossibilité pour l’intéressé de demander l’octroi d’un délai de départ volontaire comme le prévoit l’article 7 de la directive retour ? La réponse du juge de l’Union laisse dubitatif.

N’hésitant pas dans l’affaire El Dridi à souligner que priorité doit -être accordée, sauf exceptions, à l’exécution volontaire de l’obligation de retour, et que ce n’est que dans des circonstances particulières (telle que l’existence d’un risque de fuite) que les Etats membres peuvent notamment s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire (points 36 et 37 de l’arrêt), la Cour balaye ici d’un revers de manche les interrogations légitimes du juge italien et la remarque pertinente de la Commission européenne (point 40).

Rappelant que la directive « retour » permet aux Etats membres, au paragraphe 4 de son article 7, « de s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire, notamment lorsqu’il existe un risque que l’intéressé s’enfuie pour se soustraire à la procédure de retour », le juge de l’Union renvoie le soin aux autorités nationales d’apprécier cette circonstance en se fondant « sur un examen individuel du cas de l’intéressé » (point 41).

Il est regrettable que la Cour ne saisisse pas l’occasion de préciser les contours de cette notion de « risque de fuite », potentiellement capable de mettre à mal le principe du retour volontaire si les Etats membres peuvent s’y référer en toutes circonstances. L’absence de critères d’appréciation de ce risque permettrait en effet aux Etats membres de considérer qu’il y a toujours un risque de fuite, et de priver le ressortissant visé par l’obligation de retour, de l’octroi d’un délai de départ volontaire.

Plus généralement, le juge, qui jusqu’alors, avait fourni un véritable mode d’emploi de la directive « retour » aux Etats membres, aurait pu poursuivre dans cette voie. Il semble que la rédaction de la directive elle-même l’exigeait. L’article 7§3, donne en effet  la possibilité aux Etats membres d’imposer pendant le délai de départ volontaire, « certaines obligations visant à éviter le risque de fuite, comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé ». Cependant l’article 7§4 permet également aux Etats membres de s’abstenir d’accorder ce délai volontaire, « s’il existe un risque de fuite ».

La notion de risque de fuite permettrait donc à la fois d’octroyer le délai de départ volontaire sous conditions, mais aussi de refuser d’accorder ce délai de départ volontaire, déclenchant alors la procédure de retour forcé.

Une réponse du juge de l’Union sur ce point aurait vraisemblablement participé à préciser de nouveau le déroulement de la procédure de retour instaurée par la directive « retour », la question en suspend étant celle de savoir si le risque de fuite entraîne automatiquement le retour forcé de l’étranger en situation irrégulière.

Concernant enfin l’interdiction d’entrée conséquente à l’expulsion, le juge ne décèle pas d’incompatibilité de cette mesure, pourvu que la durée de cette dernière « corresponde à celle prévue à l’article 11§2 de la directive retour » (point 42).

Le refus du contrôle du texte national de transposition

La troisième question préjudicielle demandait en substance au juge de contrôler la compatibilité du décret à la directive « retour », le juge national indiquant clairement que l’objectif visé par le texte italien était bien celui de contourner la procédure de retour prévue par la directive.

Ces accusations ne sont pas dénuées de fondement. La jurisprudence El Dridi était déjà venue couper l’herbe sous les pieds des autorités italiennes, qui à l’époque avaient pensé écarter l’application de la directive retour grâce à la pénalisation du séjour irrégulier.

Cependant, le renvoi préjudiciel n’a pas pour fonction de contrôler de manière générale la transposition d’un texte européen en droit interne. Le Traité de Lisbonne confie, comme ses prédécesseurs, cette mission à la Commission européenne, qui veille à l’application uniforme de la législation de l’UE dans les Etats membres. L’article 258 TFUE lui permet d’engager une procédure contre un Etat membre ayant adopté ou maintenu des dispositions législatives ou des pratiques administratives contraires au droit européen.

L’article 20 de la directive « retour » prévoit également que les « Etats membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent (…) ».

C’est donc l’application du décret italien par le juge italien qui permettra à l’avenir de déterminer les dispositions incompatibles avec la directive « retour », le juge italien étant, ne l’oublions pas, le juge de droit commun du droit de l’Union et visiblement bien disposé à utiliser le renvoi préjudiciel lorsqu’un doute l’envahit.