Une directive relative à l’aide juridictionnelle dans l’Union, enfin ?

« Il ne faut pas seulement que justice soit faite ; il faut encore qu’elle soit vue comme telle ». Cette déclaration de 2013 prononcée par Viviane Reding, alors commissaire, aura mis longtemps à se concrétiser, avec l’adoption lors du dernier Conseil de la directive relative à l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen. En attente de signature et non encore publiée au Journal Officiel, l’objectif est de garantir à l’échelle de l’Union, dans le champ d’application du texte, la fourniture d’une aide juridictionnelle aux personnes qui n’ont pas les ressources nécessaires pour pouvoir assumer les frais engendrés par une procédure pénale.

La question de la protection du droit à l’aide juridictionnelle à l’échelle européenne est ancienne. Elle avait d’ailleurs déjà fait l’objet de réflexions ici. Si l’on peut entrevoir, dans les conclusions du Conseil européen de Tampere, un intérêt pour cette problématique, ce n’est véritablement qu’en 2009 que ce droit fera l’objet d’une proposition.

En effet, conformément au Programme de Stockholm, une feuille de route présentée par la Présidence du Conseil et relative au renforcement des droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, l’évoquait déjà en son point « C ». En 2013, la majorité des mesures mentionnées dans l’acte programmatique avait fait l’objet de directives, toutes fondées sur l’article 82§2 TFUE, et progressivement adoptées. Il s’agissait des directives relatives au droit à l’interprétation et à la traduction (2010/64/UE), au droit à l’information (2012/13/UE) et de celle garantissant l’accès à un avocat (2013/48/UE).

Ce constat demeurant insuffisant au regard des ambitions de la Commission au sujet du droit à un procès équitable en matière pénale, l’a conduit à présenter de nouvelles propositions le 27 novembre 2013. Le train de mesures prévoyait l’adoption d’une directive 2016/343/UE visant à renforcer la présomption d’innocence et le droit d’assister à son procès, adoptée le 9 mars 2016, d’une directive 2016/800/UE portant sur les garanties procédurales des enfants impliqués dans une procédure pénale, adoptée le 11 mai 2016 et enfin d’une directive relative au droit à l’aide juridictionnelle. Adoubé avec une large majorité au Parlement européen le 4 octobre dernier, la proposition, avec ses 33 considérants et 14 articles, a définitivement été adoptée par le Conseil JAI le 13 octobre 2016.

C’est ainsi que ce sixième texte vient compléter ce socle de garanties procédurales minimales, renforçant la confiance mutuelle entre les Etats membres, la reconnaissance mutuelle des décisions pénales et l’effectivité de la justice. Elle sera transposée dans les 30 mois suivant sa publication au JO.

Si des avancées certaines sont à souligner quant à la garantie d’un droit à l’aide juridictionnelle (I), de nombreuses insuffisances peuvent malgré tout être relevées (II), conférant au lecteur l’impression d’un texte inachevé, ne répondant qu’imparfaitement aux attentes en la matière, c’est particulièrement le cas au regard de son articulation avec la directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat à qui elle est étroitement liée.

1. Une volonté affirmée : « que justice soit faite »

Le droit à l’aide juridictionnelle était déjà garanti par un certain nombre de textes. Il peut être identifié à l’article 47 §3 de la Charte des droits fondamentaux, à l’article 6 §3 point c) de la Convention EDH et à l’article 14§3 point d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il fait également l’objet de principes et lignes directrices sur l’accès à l’assistance juridique dans le système de justice pénale, votées le 20 décembre 2012 par l’assemblée générale de l’ONU. Cependant les systèmes nationaux étaient trop éclectiques à ce sujet et cela pouvait nuire à la bonne coopération des Etats membres à l’échelle de l’Union européenne, particulièrement en ce qui concerne leur confiance réciproque et l’efficacité des instruments reposant sur le principe de reconnaissance mutuelle à l’image du mandat d’arrêt européen.

La directive apporte une réponse concrète à ce constat et vient consacrer un droit minimum à l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire à la rémunération par les Etats membres d’un avocat. Elle traduit également la volonté des législateurs de la lier dans son contenu et son interprétation à la directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat et dans une moindre mesure à la directive 2016/800 relative aux garanties procédurales pour les enfants, en matière pénale.

Cinq points retiennent l’attention.

Premièrement le droit à l’aide juridictionnelle dont il est question s’applique aux suspects, aux personnes poursuivies et aux personnes dont la remise est demandée, indifféremment de leur statut juridique, de leur citoyenneté ou de leur nationalité. Ils doivent bénéficier du droit d’accès à un avocat en vertu de la directive 2013/48/UE, ne pas y avoir renoncé, et être soit privés de liberté, soit tenus d’être assistés par un avocat conformément au droit de l’Union ou au droit national, soit tenus d’assister à une mesure d’enquête ou de collecte de preuves ou autorisés à y assister. Ces mesures concernent au moins les séances d’identification des suspects, les confrontations et les reconstitutions de scènes de crimes. Lorsque cela est possible, les autorités des Etats membres compétentes en la matière peuvent exiger que ces personnes contribuent à hauteur de leurs moyens aux coûts engendrés par les procédures pénales.

Le second apport de ce texte se trouve dans le développement de règles minimales, permettant d’encadrer les critères d’octroi de l’aide juridictionnelle. En essayant de les faire converger, la directive met de l’ordre dans leur interprétation. En effet, la CEDH a dégagé dans sa jurisprudence deux critères cumulatifs, l’un relatif aux ressources et l’autre au bien-fondé de la demande. Mais les Etats membres n’ont pas tous la même approche de ces critères et ils n’en appliquent parfois qu’un seul là où d’autres appliquent les deux.

La directive évite que leur interprétation demeure trop restrictive et engendre une négation du droit à l’aide juridictionnelle. La pire hypothèse étant celle où la personne, n’ayant pas de ressources suffisantes, serait déboutée de sa demande pour non satisfaction du critère du bien-fondé. Pour pallier cela, elle prévoit au sujet de ce critère, qu’il doit être réputé satisfait dès l’instant où la personne est traduite en justice en vue d’une décision de placement en détention ou si elle est en détention.

La directive opère ensuite plus particulièrement une distinction entre les personnes concernées. Il convient en effet de différencier les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, des personnes dont la remise est demandée dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen (MAE).

Dans la première hypothèse les personnes concernées par cette disposition peuvent exercer leur droit à l’aide juridictionnelle et donc leur droit d’accès à un avocat « sans retard indu » et au plus tard avant tout interrogatoire ou exécution de mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves identifiées dans le corps de la directive. Ce droit est conditionné par la satisfaction des critères d’attribution. S’il n’est pas possible de répondre rapidement à la question de l’octroi de l’aide juridique, une aide juridique provisoire doit être allouée aux personnes concernées.

La seconde hypothèse concerne les individus visés par un MAE. La Commission a montré que les Etats membres ne garantissaient pas tous l’accès à une aide juridictionnelle aux personnes concernées par une procédure de remise dans le cadre d’un MAE. Ce constat pose clairement un problème au regard du principe de reconnaissance mutuelle. Cela est également révélateur d’une insuffisance de garantie des droits fondamentaux, car l’article 6 de la Convention EDH ne s’applique pas aux procédures d’extradition. C’est que les procédures d’extradition et celles relatives au MAE ne constituent pas à proprement parler des procédures pénales. Aucune garantie minimale uniforme de pouvoir se défendre n’était donc assurée. D’ailleurs au moment de l’étude d’impact de la proposition de directive en question, la Commission relevait qu’aucun Etat membre n’avait mis en place l’aide juridictionnelle dans l’Etat d’émission. Il était nécessaire d’agir et, sur ce point, il faut se réjouir de l’initiative de la Commission.

La directive consacre enfin un droit pour la personne dont la remise est demandée, à l’aide juridictionnelle dans l’Etat membre d’exécution dès son arrestation. Une fois accordée, si les critères sont satisfaits, elle doit l’être jusqu’à la remise ou jusqu’à que la décision de non remise soit devenue définitive. Mais cette aide est consacrée également dans l’Etat membre d’émission, sous réserve de satisfaction des conditions régissant son attribution. Cela révèle encore une fois l’impossible dissociation de cette problématique de celle portant sur le droit d’accès à un avocat. La directive 2013/48/UE consacrant, en effet, un droit à la double défense, tout en restant silencieuse sur la question de l’aide juridictionnelle.

Par ailleurs, il faut remarquer que trois situations particulières ont été prises en compte par le législateur européen. La première veut que des personnes non suspectes ou non poursuivies initialement peuvent, alors qu’elles le deviennent au cours de leur interrogatoire par la police ou par une autre autorité chargée de l’application de la loi, se prévaloir des dispositions de la directive. La deuxième situation concerne des infractions pénales mineures, pour lesquelles les dispositions de la directive peuvent être écartées à condition que la sanction encourue ne soit pas privative de liberté et qu’un droit de recours existe devant une juridiction pénale. En l’espèce, le lien étroit entre le droit d’accès à un avocat et le droit à l’aide juridictionnelle est particulièrement clair : l’article 2 §4 de la directive 2013/48/UE consacre des dispositions identiques. Les Etats membres demeurent cependant toujours liés, dans ces deux situations, à leurs obligations au titre de la Convention EDH et de la Charte des droits fondamentaux. La troisième situation enfin, répond au souhait du législateur d’écarter du champ d’application de la directive les restrictions temporaires de liberté. Il s’agit des restrictions imputables à l’identification d’une personne, ou encore à des contrôles routiers par exemple. Là encore, un lien étroit entre ce texte et celui relatif au droit d’accès à un avocat peut être fait tant il correspond au considérant 20 de la directive 2013/48/UE.

Enfin, la directive souligne l’importance de la qualité de l’aide apportée par l’aide juridictionnelle. La Cour EDH dans sa jurisprudence a consacré cela en relevant qu’il ne suffisait pas de permettre la représentation par un avocat, encore fallait-il qu’elle soit de qualité, effective et dispensée par quelqu’un de formé pour répondre à ces situations. Ce texte encourage la continuité dans la représentation des individus concernés, l’effectivité et la qualité de l’aide. Il précise qu’il est nécessaire que les personnes inquiétées disposent d’une voie de recours effectif contre la violation de ces garanties. Pour mesurer l’impact de ces mesures, les législateurs encouragent le recueil de données.

Bien que les dispositions étudiées n’écartent pas la possibilité d’une protection plus poussée de la part des Etats membres, force est cependant de constater que le texte contient de nombreuses carences. Il s’agit de l’un des effets induit par la séparation de la question du droit d’accès à un avocat de celle du droit à l’aide juridictionnelle. La France avait d’ailleurs critiqué ce choix à plusieurs reprises. Une résolution européenne adoptée par le Sénat en 2012 condamnait cette approche et rappelait que « le droit d’accès à un avocat est un droit essentiel dans le cadre des procédures pénales : [elle rappelait également] que, comme l’avait prévu la « feuille de route », l’harmonisation des règles qui lui sont applicables est indissociable d’une harmonisation des règles relatives à l’aide juridictionnelle afin d’assurer l’effectivité des droits ».

2. Une réalité réservée : une justice « vue comme telle » ?

La proposition initiale de la Commission se fondait sur un constat : il existait de véritables lacunes en matière d’aide juridictionnelle, particulièrement dans les phases initiales des procédures pénales. Dans son résumé de l’analyse d’impact au sujet de la directive, elle indiquait déjà en 2013 : « il est de la plus haute importance d’ouvrir l’accès à un avocat dès que possible au stade de l’enquête, pour protéger les droits constitutifs du procès équitable dont jouissent les personnes soupçonnées, pour assurer la qualité des preuves et pour protéger les justiciables contre les intimidations et les mauvais traitements ».

Or c’est à ce stade que les personnes concernées étaient les plus exposées. Si la directive reconnait effectivement un droit à l’aide juridictionnelle, la rapidité de son octroi pose question.

Bien sûr, il existe une procédure d’aide provisoire pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales. Mais le texte n’en fait pas mention en ce qui concerne les personnes faisant l’objet d’un MAE. Pourtant s’il y a urgence c’est bien en la matière. Dans les projets précédents, l’aide juridictionnelle provisoire avait été proposée au sein de l’Etat d’émission et d’exécution jusqu’à ce que la demande soit traitée par l’autorité compétente. Cette proposition n’est plus présente dans la version définitive. Cela s’explique certainement par le fait que durant les négociations, des Etats membres, qui disposaient de systèmes d’aide juridictionnelle pouvant décider de l’octroi ou non de l’aide immédiatement, ont fait valoir qu’ils ne souhaitaient pas se voir imposer un système d’aide provisoire.

L’absence de cette procédure pourrait être compensée par des délais plus courts et un effort particuliers des autorités compétentes. Le texte prévoit que la personne est informée par écrit et rapidement, ce qui laisse perplexe quant à la rapidité du processus.

Mieux, la directive précise que la décision d’octroyer l’aide juridictionnelle doit être prise par une autorité compétente, indépendante, ou une juridiction. Mais elle ajoute que « dans des situations urgentes, la participation temporaire de la police et du ministère public devrait toutefois être également possible, dans la mesure où cette participation est nécessaire pour octroyer l’aide juridictionnelle en temps utile ». Le député français Louis Michel lors des débats à l’occasion du vote en plénière en octobre s’était indigné, précisant qu’« il est inacceptable que la police puisse à la fois enquêter sur une personne et, en même temps, prendre des décisions quant à sa défense ».

De plus, l’octroi de l’aide dans l’Etat d’émission est à présent conditionnée au fait de savoir si « [elle] est nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice ». Cela revient à autoriser l’Etat émetteur à juger de la pertinence ou non du droit d’accès à un avocat, lui-même consacré par la directive 2013/48/UE relative à ce sujet. Sans compter que la directive ne précise pas, en cas d’octroi de l’aide dans l’Etat d’émission, si elle doit demeurer jusqu’à la remise ou jusqu’à ce que la décision de non remise soit devenue définitive. De la même manière, quid de l’aide juridictionnelle dans les Etats membres d’émission et d’exécution si la personne est remise en liberté en attendant une décision définitive concernant sa remise ?

Le fait qu’il soit imposé de passer par le système de demande d’aide juridictionnelle à la fois dans l’Etat d’émission et dans l’Etat d’exécution risque, à terme, de décourager les avocats dans l’Etat membre d’exécution, « d’exercer le droit à la double représentation », vidant la disposition de sa substance.

En outre, l’aide juridictionnelle, dans l’hypothèse où elle est accordée dans l’Etat membre d’exécution, l’est à partir de l’arrestation de la personne, ce qui est contraire aux dispositions de la directive de 2013/48/UE qui prévoit que le droit d’accès à un avocat dès que la personne est informé qu’elle est soupçonnée ou accusée d’avoir commis une infraction pénale. In fine, cela risque de poser des problèmes au regard des délais d’exécution prévus pour un MAE, puisque tout ceci devra se dérouler avant le délai de 10 jours si la personne consent à sa remise et de 60 jours si elle refuse….

Cela étant, le texte commenté insiste en son considérant 27 sur le fait que les Etats doivent prévoir une voie de recours effective permettant de faire reconnaître que le droit à l’aide juridictionnelle « a été retardé ou refusé, en tout ou partie ». Les juridictions devraient bientôt connaître de ces questions.

Ensuite se pose la question de l’articulation entre l’aide provisoire et l’aide « ordinaire » lorsqu’elles existent. Ceci concerne directement les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales. Initialement, le projet de la Commission prévoyait la subsistance de l’aide juridictionnelle provisoire jusqu’à ce que l’autorité compétente ait définitivement statué sur la question du droit à l’aide juridictionnelle « normale ». Le texte définitif est silencieux sur ce point.

Ce constat n’empêche pas les Etats membres d’augmenter le niveau de protection du droit à l’aide juridictionnelle, ce qui est d’ores et déjà le cas. Ainsi, seule une partie de l’aide juridictionnelle fait l’objet de dispositions européennes garantissant une application minimale commune. L’opt-out du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark sur la directive participe également de cela.

A ceci s’ajoute le fait que le législateur est demeuré silencieux quant à l’articulation de cette directive avec d’autres textes. Ainsi quelle procédure suivre dans l’hypothèse où le demandeur dispose d’une assurance et d’un contrat de protection juridique ? Bien qu’il soit permis de penser que le critère des ressources insuffisantes ne sera pas rempli, quid dans l’hypothèse d’un pays où seul le critère du bien-fondé est appliqué ?

De la même manière, bien que le projet ne soit pas adopté, la question du parquet européen est brûlante au vu de l’actualité. Quelle sera la protection juridique offerte aux personnes concernées par les procédures engagées par le Parquet ? Une résolution du parlement européen du 29 avril 2015, sur la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen, indique en son point 27 « […] que la future directive relative à l’aide juridique devrait s’appliquer de la même manière à l’ensemble des suspects et des personnes poursuivies visés par une enquête ou poursuivis par le Parquet européen ».

Enfin, il est difficile d’imaginer que l’argument des coûts devant être supportés par les Etats membres fut au centre des débats. Des dispositions plus claires auraient permis d’éviter le placement en détention, même provisoire et donc des coûts de procédure additionnels. D’ailleurs, « lorsqu’une assistance effective est disponible depuis le début [cela permet une] réduction des coûts lorsqu’une remise officielle n’est pas nécessaire car l’affaire peut être réglée sans peine privative ou par le biais d’un autre arrangement » comme le relève le Conseil des barreaux européens. Nous rappellerons simplement que le coût de l’aide juridictionnelle pour les 28 Etats a été estimé par la Commission comme se situant entre 247 et 382 millions d’euro par an.

Au vu de ce développement il semble qu’il vaille mieux que « justice soit faite » plutôt « qu’elle soit vue comme telle ».