Derniers développements concernant le mandat d’arrêt européen : la Cour de justice au secours de la construction répressive européenne

L’activité judiciaire relative à l’instrument répressif le plus emblématique de l’Union, le mandat d’arrêt européen, a été dense ces derniers mois. La coupure estivale n’y aura rien changé. Au contraire, la Cour de justice de l’Union européenne s’est montrée particulièrement pro-active face à des questions préjudicielles nouvelles ou, à tout le moins, impliquant un haut niveau d’interactions entre les juges de la coopération pénale européenne.

Le 25 juillet 2018, la Cour de justice rend trois arrêts (C-216/18 PPU ; C-268/17 ; C-220/18 PPU) auxquels s’ajoute un arrêt du 19 septembre 2018 (C-327/18 PPU). En cette période de crises profondes traversée par l’Union, chacune de ces décisions présente une importance pour l’avenir de la construction de l’espace pénal européen (v. ég. sur ce site : Henri Labayle, Winter is coming : la Hongrie, la Pologne, l’Union européenne et les valeurs de l’État de droit). Lire la suite

L’affaire Carles Puigdemont : le droit pénal européen en crise de confiance

Le 21 mars 2018, la justice espagnole a émis un mandat d’arrêt européen à l’encontre du président du gouvernement régional catalan, Carles Puigdemont. Les autorités espagnoles ont demandé qu’il soit poursuivi et remis à ces dernières pour des faits de « rébellion » et de « corruption » prenant la forme de détournement de fonds publics. Les allégations sont fondées sur les activités de M. Puigdemont dans le conflit de longue date entre la Catalogne et le gouvernement central espagnol au sujet de l’indépendance de la Catalogne. Le prévenu aurait, entre autres, appelé à un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, alors que celui- ci avait été précédemment reconnu comme illégal par la Cour constitutionnelle espagnole. La mise en œuvre du référendum, le matériel, les documents nécessaires pour le vote et les autres mesures mises en place dans ce cadre ont entraîné une dépense de 1,6 millions d’euros mais aussi des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Lire la suite

Taricco, M.A.S ou l’art délicat de la retraite en bon ordre …

Les rapports de systèmes ont souvent été inscrits, par la doctrine, dans le registre sémantique de la polémologie ou de l’art militaire. Il convient, pourtant, de garder à l’esprit que les interactions entre ordres juridiques sont passées au filtre d’une approche faisant de la pacification des relations intra-européennes une fin politique et du juge l’un des instruments de celle-ci. Pour autant, nous accepterons, pour les besoins de la cause, de filer à notre tour la métaphore guerrière.

De toutes les manœuvres qu’une armée en campagne peut conduire, la retraite est probablement l’une des plus délicates à exécuter. L’histoire enseigne qu’elle doit être parfaitement maîtrisée au risque de se transformer en débâcle. Or, c’est bien la question que pose l’arrêt rendu le 5 décembre 2017, dans l’affaire C 42/17, M.A.S. En effet, interrogée sur les conséquences à tirer de sa décision Taricco, la Cour y opère un repli sur une position dont on peine à imaginer qu’elle fût « sûre et préparée à l’avance ». Lire la suite

Réflexions sur la consécration de la notion européenne d’autorité judiciaire, à propos de la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne

Le droit pénal de l’Union européenne connaît un tel développement depuis 1999 qu’il serait incorrect de le considérer encore comme une branche émergente du droit européen. Pour autant, nul ne peut nier que la construction de l’espace pénal européen, composante répressive de l’Espace de liberté de sécurité et de justice (ELSJ), est dépendante de la consolidation des principes, des instruments, ainsi que des concepts juridiques de droit pénal de l’Union. Le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, a fait avancer ce processus en donnant les moyens institutionnels et juridiques à l’Union européenne de renforcer la matière pénale, en vue d’une coopération judiciaire et policière efficace mais aussi d’une protection effective des droits fondamentaux. Tel que cela ressort des orientations stratégiques pour l’ELSJ de 2014 (Conclusions du Conseil, 27 juin 2014, EUCO 79/14), l’âge atteint est celui de la maturité, de la responsabilité. Ce qui implique un travail de fond, délicat, consistant à approfondir la théorisation du droit pénal de l’Union européenne. Lire la suite

La transposition de la décision d’enquête européenne par l’ordonnance du 1er décembre 2016 : une surprise attendue …

Un oxymore … Cette alliance de deux termes que leur sens devrait en principe opposer pour traduire ce qui est stupéfiant, inconcevable parfois absurde, semble bien décrire la situation créée par l’ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale. L’ordonnance, prise selon la procédure de l’article 38 de la Constitution française, vient transposer dans le Code de procédure pénale français, aux articles 694-15 et suivants, la directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 relative à la Décision d’enquête européenne. Or, ce texte national représente autant une attente remplie d’espérances qu’une surprise décevante pour le droit pénal de l’Union européenne. Lire la suite

L’arrêt Ognyanov de la Cour de justice : quand la confiance réciproque se fait le révélateur des déficiences de l’espace de liberté

Les conclusions de l’avocat général Yves Bot, dans l’affaire Ognyanov (aff. C-554/14) tranchée en grande chambre par la Cour de justice le 8 novembre 2016, concernant le transfèrement entre deux États membres d’un condamné pour l’exécution de sa peine, pouvaient laisser croire au prononcé d’un grand arrêt relatif au principe de confiance mutuelle. Pourtant, de manière surprenante, alors même que la Cour reprend la solution suggérée par les conclusions et qu’un communiqué de presse proclame l’importance de l’arrêt, la notion de « principe de confiance mutuelle » en tant que telle brille par l’absence de toute référence explicite à ce principe cardinal de l’espace judiciaire européen. La Cour de justice lui préfère sagement celle de « confiance réciproque », visée par les auteurs de la décision-cadre qu’elle interprète. Lire la suite

Une directive relative à l’aide juridictionnelle dans l’Union, enfin ?

« Il ne faut pas seulement que justice soit faite ; il faut encore qu’elle soit vue comme telle ». Cette déclaration de 2013 prononcée par Viviane Reding, alors commissaire, aura mis longtemps à se concrétiser, avec l’adoption lors du dernier Conseil de la directive relative à l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen. En attente de signature et non encore publiée au Journal Officiel, l’objectif est de garantir à l’échelle de l’Union, dans le champ d’application du texte, la fourniture d’une aide juridictionnelle aux personnes qui n’ont pas les ressources nécessaires pour pouvoir assumer les frais engendrés par une procédure pénale.

La question de la protection du droit à l’aide juridictionnelle à l’échelle européenne est ancienne. Elle avait d’ailleurs déjà fait l’objet de réflexions ici. Si l’on peut entrevoir, dans les conclusions du Conseil européen de Tampere, un intérêt pour cette problématique, ce n’est véritablement qu’en 2009 que ce droit fera l’objet d’une proposition. Lire la suite

Le terrorisme, une “catégorie spéciale” du droit, vraiment ?

par Henri Labayle, CDRE

A en croire la traduction juridique des discours ambiants, une page semble se tourner. Celle où les démocraties prétendaient encore répondre au terrorisme par l’usage du droit commun et l’intervention du juge ordinaire.

Législation d’exception et régime d’urgence sont désormais présentés comme une réponse normale à la violence aveugle qui cible la société. Il n’y a là rien de nouveau. Du Royaume Uni aux Etats Unis d’après le 11 septembre, les grandes démocraties ont souvent cédé à cette propension, sans pour autant que le balancier reprenne exactement depuis la place qu’il avait quittée.

La surprise vient donc d’ailleurs. Du juge suprême vers lequel le juriste se tourne d’ordinaire pour garantir l’essentiel. Sans (encore …) de procès d’intention à l’encontre du juge constitutionnel interne, la lecture d’un arrêt de chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme, le 20 octobre dernier, dans l’affaire Sher et autres c. Royaume Uni, interpelle. La chambre y énonce benoîtement que « terrorist crime falls into a special category » (§149). Son affirmation invite à la réflexion, sur le jeu des mots comme celui des acteurs en cause. Lire la suite

The Paris Terrorist Attacks : Failure of the EU’s Area of Freedom, Security and Justice?

by P. de Bruycker et D. Watt (Odysseus Omnia), H. Labayle (CDRE), A. Weyembergh et C. Brière (Eclan)

In the immediate aftermath of the terrorist attacks in Paris on Friday 13th November, the French President declared a state of emergency and announced the introduction of a number of measures to “mobilise all possible forces in order to neutralise the terrorists and to guarantee the security of all the areas which could be concerned”. These measures included the reintroduction of controls by France at its internal borders with other Schengen States in the interest of preventing both the entry into the territory of dangerous individuals seeking to carry out terrorist attacks, and to thwart the escape of the attackers. Lire la suite