L’affaire Alpenrind, un nouvel épisode de la saga des certificats A1 devant la Cour de justice

La question de l’assujettissement des travailleurs mobiles à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre que celui sur le territoire duquel ils exécutent leur prestation de travail continue de faire l’objet d’un contentieux important devant la Cour de justice. Après les affaires A-Rosa (27 avril 2017, C-620/15) et Altun (6 février 2018, C-359/16), l’affaire Alpenrind vient de faire l’objet d’un arrêt de la Cour de justice (6 septembre 2018, C-527/16).

Avant de voir le détail de l’affaire Alpenrind, rappelons que par principe, les travailleurs mobiles dans l’Union européenne sont assujettis à la législation de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel ils travaillent (lex loci laboris, art. 11 du Règlement 883/2004). Cependant, lorsque les travailleurs sont détachés par leur employeur sur le territoire d’un autre État membre, ils restent assujettis à la législation de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel leur employeur est établi tant que la durée du détachement n’excède par vingt-quatre mois et que le travailleur n’est pas envoyé en remplacement d’un autre travailleur (art. 12§1 du règlement 883/2004). Cette question est particulièrement sensible car les États membres accueillant des travailleurs détachés sur leur territoire souhaiteraient que ceux-ci soient assujettis à leur législation de sécurité sociale pour bénéficier du paiement de leurs cotisations. D’un autre côté, les États membres à partir desquels les travailleurs sont détachés, et les employeurs de ceux-ci, tiennent à cette exception car elle permet à ces travailleurs d’être bien plus compétitifs sur le plan du coût du travail, et les cotisations entrent dans les caisses de l’État membre d’envoi. Lire la suite

L’affaire Altun : fraude et absence de coopération loyale, les conditions d’une non prise en compte des certificats E 101 des travailleurs détachés

Dans l’arrêt Altun (C-359/16) rendu par la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne le 6 février dernier, les juges de Luxembourg ont eu une nouvelle fois l’occasion de se prononcer sur l’épineuse question de la compétence des institutions d’un État membre accueillant des travailleurs détachés de soumettre ces travailleurs à leur législation de sécurité sociale lorsqu’elles estiment qu’il serait légitime et légal de le faire. Ils l’ont fait avec un certain retentissement. Lire la suite

La modification en cours du « Code frontières Schengen », la libre circulation comme exception ?

Été 2018, c’est le nouvel horizon que s’est fixée la Commission dans une communication du 7 décembre 2017, afin de parvenir à la suppression définitive des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen, un espace qui, en principe, en est dépourvu. Suite à la crise migratoire de 2015, le Conseil européen des 18 et 19 février 2016 s’était donné comme objectif celui d’endiguer rapidement les flux migratoires et de préserver l’intégrité de l’espace Schengen. Dans une communication du 4 mars 2016, la Commission, désireuse d’obtenir la levée de l’ensemble des contrôles aux frontières intérieures, entendait « revenir à l’esprit de Schengen ».

Pourtant, ces contrôles ont été maintenus et l’échéance d’un retour à un espace décloisonné n’a cessé d’être reportée. Si l’on en croit cette communication de décembre 2017, l’échéance annoncée serait la bonne. Pourtant, et c’est le paradoxe qu’il importe de mettre en évidence, le retour à un espace sans frontières intérieures, à supposer qu’il se concrétise effectivement à ladite échéance, se réalise dans le cadre d’un mouvement tendanciel selon lequel la libre circulation, mentionnée à l’article 3§2 du traité UE, tend à devenir, non plus le principe, mais au contraire, l’exception. Lire la suite

Les crises de l’ELSJ / Las crisis del ELSJ – dir. H. Labayle, J. I. Ugartemendia Eceizabarrena – EUi 12/2017

 

 

Les crises de l’espace de liberté, sécurité, justice / Las crisis del espacio de libertad, seguridad y justicia

dir. H. Labayle, J. I. Ugartemendia Eceizabarrena

EUi 12/2017, 390 p.

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Brexit : la fin du commencement ? (suite et fin)

3. Un financement sans chiffrage ? La question du règlement financier

Les données financières relatives au départ du Royaume Uni ont focalisé initialement l’attention de tous. Si le principe de la contribution britannique n’était pas vraiment discuté sérieusement, en revanche, l’inconnue de son calcul précis avait nourri nombre de déclarations à l’emporte-pièce de certains Brexiters. Durant la campagne référendaire, ils avaient ainsi imprudemment avancé que le gain financier découlant du départ permettrait d’abonder le service de santé britannique à hauteur de 350 millions de livres hebdomadaires (!!!) tandis qu’au mois de juillet encore, Boris Johnson indiquait que l’Union pouvait « toujours courir » pour voir la facture être réglée.

Le Conseil européen avait pourtant été très clair dès le début : il exigeait « un règlement financier unique » devant « permettre de faire en sorte que l’Union comme le Royaume-Uni respectent les obligations découlant de toute la période pendant laquelle le Royaume-Uni aura été membre de l’Union. Ce règlement devrait couvrir l’ensemble des engagements ainsi que le passif, y compris le passif éventuel ».

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Brexit : la fin du commencement ? (1ère partie)

Jeu, set et match … La formule attribuée à John Major au lendemain du traité de Maastricht a été largement reprise par la presse à propos du Brexit, après que les lignes directrices d’un compromis entre la Commission et le Royaume Uni aient été arrêtées sous la forme d’un « join report » (TF50 (2017)19). Ici, cependant, et sans qu’aucun tie-break ait laissé entrevoir un brin d’espoir aux négociateurs britanniques, peu de doutes sont permis quant à l’issue de ce bras de fer et l’identité de son vainqueur.

On se souvient que, le Royaume Uni ayant notifié le 29 mars 2017 son intention de se retirer de l’Union européenne, conformément à l’article 50 TUE, le Conseil européen avait dessiné le cadre de la procédure à suivre. Le 29 avril 2017, il avait adopté une série d’orientations politiques à partir desquelles, le 22 mai 2017, le Conseil Affaires générales avait fixé les directives de négociation imposées à la Commission.

Ces dernières dessinaient fermement un processus graduel et ordonné. Sa première étape s’est achevée avec la publication de la communication (COM (2017) 784) recommandant au Conseil européen de constater que « des progrès suffisants » avaient été réalisés pour passer à une phase ultérieure destinée à fixer précisément les conditions de l’accord mentionné par l’article 50 TUE dans les deux ans prévus c’est-à-dire avant le 29 mars 2019. Lire la suite

La révision de la directive relative au détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services : texte et contexte

Entre libertés de circulation et protection du marché national de l’emploi, la question du détachement transnational de travailleurs dans le cadre d’une prestation de services pose le problème de l’équilibre à trouver entre plusieurs objectifs contradictoires. Les exigences du droit de l’Union d’une part, spécialement concernant le caractère fondamental de la libre prestation de services qui ne peut subir d’entraves que dans des cas strictement limités et proportionnés. Les intérêts des entreprises ensuite, qui, grâce à la libre prestation de services, peuvent par exemple remporter des marchés publics dans des pays à forte protection sociale, pour un coût plus faible que les entreprises nationales. Lire la suite

L’affaire A-Rosa (C-620/15) : dumping social ou occasion manquée par la France de soumettre des travailleurs navigants à sa législation de sécurité sociale ?

L’affaire A-Rosa (C-620/15), dans laquelle la Cour a rendu un arrêt attendu, le 27 avril dernier, concerne l’épineuse question des travailleurs qui exécutent l’intégralité de leur prestation de travail dans un État membre mais sont soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre. En effet, l’État membre dans lequel les prestations de travail sont accomplies voit dans cette situation un manque à gagner important en termes de cotisations sociales. Dans un contexte où l’euroscepticisme prend une place non négligeable dans le débat public, cette affaire représentait donc un enjeu important. Lire la suite

Terrorisme et droit des réfugiés, des liaisons dangereuses ? Libres propos sur le « Muslim Ban » et la jurisprudence Lounani de la Cour de justice

Les polémiques entourant l’application de l’Executive Order signé le 25 janvier 2017 par Donald Trump, président des Etats Unis nouvellement élu, interdisant temporairement l’entrée aux Etats-Unis aux ressortissants de sept pays et suspendant le jeu de la protection internationale, ont quitté les colonnes médiatiques pour pénétrer les prétoires. Motivé par le désir de lutter préventivement contre le terrorisme, selon ses auteurs, et par une volonté discriminatoire envers les musulmans, selon ses détracteurs, le texte pose de graves problèmes juridiques.

L’attention qu’on lui porte ne doit pas masquer qu’au même moment, le 31 janvier 2017, la Cour de justice de l’Union prononçait un arrêt important sur les liens qui peuvent être établis entre la nécessité de lutter contre le terrorisme et le dispositif protecteur des réfugiés politiques (CJUE, 31 janvier 2017, Lounani, C-573/16). Lire la suite

Trois ans après la votation suisse « Contre l’immigration de masse » : où en est-on ?

Ce début d’année 2017 est décisif pour la construction européenne. En mars 2017, le Royaume-Uni devrait vraisemblablement notifier sa décision de quitter une Union censée fêter au même moment les 60 ans d’efforts inédits pour regrouper des peuples et des Etats au sein d’une communauté pacifique et prospère. Si l’on peut craindre que le sommet qui sera organisé à Rome ne soit pas à la hauteur des défis auxquels est confrontée l’Union européenne, celle-ci a su trouver au quotidien certaines occasions de réaffirmer ses valeurs fondamentales, y compris à l’égard d’Etats ayant décidé de ne participer qu’à certains aspects de cette unification. En témoignent les  négociations consécutives au référendum « Contre l’immigration de masse » du 9 février 2014 en Suisse, Etat avec lequel l’UE entretient une relation aussi étroite que singulière.

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