Dans ou hors l’ELSJ ? Comment le Conseil « Justice et affaires intérieures » remet la question à plus tard (droit commun européen de la vente)

par Jean-Sylvestre Bergé, EDIEC

Les ministres des 27 Etats membres de l’UE se sont réunis en Conseil « Justice et affaires intérieures » les 7 et 8 juin 2012. S’agissant de la proposition de règlement UE pour un droit commun européen de la vente, ils ont décidé de repousser à plus tard l’examen de la question débattue de la base juridique de l’instrument et de privilégier la discussion sur le droit de la vente proprement dit, énoncé en annexe (voir communiqué de presse, p. 20).

Ce choix est critiquable, en ce qu’il relègue à l’arrière-plan les questions de politique juridique tenant à l’articulation (et donc à la nature juridique) de ce droit européen avec le droit international et les droits nationaux existants.La Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente (Com (2011) 635 final, voir notamment dans la Revue des contrats 2012, p. 191 s., l’étude de Martine Behar-Touchais, Bénédicte Fauvarque-Cosson Et Zoé Jacquemin) est, on le sait, l’une des concrétisations envisagée par la Commission pour promouvoir un droit européen des contrats (voir sur ce blog, le billet proposé par Marie Collard) .

Le processus législatif est engagé (sur l’état de la procédure : http://ec.europa.eu/prelex/). La proposition a été transmise au Conseil de l’UE, au Parlement européen et au Conseil économique et social européen. Le Conseil de l’UE, dans sa formation « Justice et affaires intérieures » (JAI), s’est penché à trois reprises sur la proposition. Lors de la dernière réunion qui s’est tenue les 7 et 8 juin 2012, les ministres des 27 Etats membres de l’Union européenne ont décidé de repousser à plus tard l’examen de la question débattue de la base juridique de l’instrument et de privilégier la discussion sur le droit de la vente proprement dit, énoncé en annexe (pour un premier compte rendu public de cette réunion : http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/jha/130836.pdf).

Ce choix est critiquable, en ce qu’il relègue à l’arrière-plan les questions de politique juridique tenant à l’articulation (et donc à la nature juridique) de ce droit européen avec le droit international et les droits nationaux existants.

Décider de privilégier l’examen de l’annexe à la proposition de règlement (notamment l’annexe I : « Droit commun européen de la vente », soit 88 pages et 186 articles de réglementation du contrat de vente) sur le texte du règlement proprement dit (16 pages, 37 considérants, 16 articles), c’est tout simplement décider de terminer par le début !

L’Union européenne n’a pas, on le sait, de compétence générale à l’image de la compétence reconnue aux Etats. Elle n’a que des compétences d’attribution qui sont conférées par les traités européens. Le choix de la base juridique est déterminant. C’est lui qui ouvre une perspective législative européenne et qui conditionne la marche à suivre.

Dans l’actuelle proposition de règlement, la base juridique envisagée est l’article 114 du TFUE, c’est-à-dire la procédure ordinaire de rapprochement des législations nationales qui a « pour objet l’établissement du marché intérieur ». Ce choix, comme n’importe quel choix de ce type, est sujet à discussion. On peut notamment se demander si l’instauration d’un droit commun européen de la vente est bien de nature à « établir » le marché intérieur, c’est-à-dire à faciliter les échanges, dans le respect des principes de subsidiarité et proportionnalité applicables en présence d’une compétence partagée en l’UE et ses Etats membres, ce qui est le lot du marché intérieur (article 3 TFUE). On peut s’interroger sur l’impact de cet instrument sur des actions européennes qui relèvent d’autres bases juridiques : dans le domaine de l’ELSJ, en matière d’harmonisation des règles de conflit de lois (article 81 TFUE) ou de protection des consommateurs (article 169 TFUE). On peut, enfin, se demander si une autre base juridique ne devrait pas lui être préférée (article 352 TFUE), laquelle implique, néanmoins, un vote à l’unanimité.

Ces discussions sur la base juridique sont un préalable, non pas seulement institutionnel, mais également matériel. Le choix de la base juridique marque, en effet, l’empreinte que le système juridique de l’Union européenne entend exercer sur un droit de la vente qu’elle déciderait d’adopter au niveau régional. De multiples alternatives sont, en effet, envisageables. On n’écrit pas un droit commun européen de la vente de la même manière s’il s’agit : 1° de faciliter des échanges économiques transfrontières par l’émergence d’un droit de portée internationale, concurrent de textes existants (art. 114 TFUE), 2° de promouvoir un niveau élevé de protection des consommateurs qui suppose, le cas échéant, une remise en cause de certaines politiques d’harmonisation dite « maximale » (article 169 TFUE), 3° de définir un droit équivalent à un droit de niveau national qui soulève dans l’ELSJ de difficiles questions en droit international privé (article 81 TFUE) ou 4° de construire un modèle véritablement européen de la vente, détaché de telle ou telle politique ou action européenne particulière (article 352 TFUE).

Or ces discussions sont reportées à la fin du processus précise le Conseil « Justice et affaires intérieures ». Faute d’accord sur le sujet, l’étude du droit commun européen de la vente proprement dit est devenue une étape préalable.

Commencer par la fin (l’annexe) et finir par le début (le règlement) est une méthode de travail comme une autre. Mais ça n’est pas la plus facile. Elle suppose un effort très grand d’anticipation et, en l’occurrence, le maniement subtil de deux cultures juridiques : l’une en droit des contrats, l’autre en droit européen lequel met sous tension deux espaces très différents l’un de l’autre : l’ELSJ d’un côté, le marché intérieur, de l’autre.