Le contentieux de la 2ème génération en matière de coopération judiciaire civile : le cas “Goldbet Sportwetten”

Par Cyril Nourissat, EDIEC 

L’arrêt Goldbet Sportwetten GmbH (CJUE, 13 juin 2013, Goldbet Sportwetten GmbH, C-144/12) confirme l’existence progressive de ce que nous appelons un contentieux de la 2ème génération en matière de coopération judiciaire civile.

Si, depuis plus de 10 ans, la Cour de justice est régulièrement interrogée à titre préjudiciel en interprétation de tel ou tel règlement édicté au titre du volet civil de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, plus rares sont les arrêts où elle est amenée à répondre à des questions tenant à l’articulation de ces règlements les uns avec les autres, dessinant ainsi par touches successives le substrat de cet espace judiciaire civil européen en construction.

Observation doit être faite que ces questions d’articulation sont délicates car si la lettre et l’esprit de l’ensemble des règlements semblent bien s’attacher à une logique de complémentarité, il n’en demeure pas moins que chaque règlement poursuit un objet et des finalités qui lui sont propres et que l’échelonnement dans le temps de l’entrée en application de ces textes est aussi révélateur d’une intégration différenciée par rapport aux droits procéduraux nationaux. L’exercice est donc assurément délicat et permet de conclure – à titre provisoire – que le règlement « Bruxelles I » occupe bien la place de règlement général, de règlement de droit commun, les autres règlements – et notamment le règlement « IPE » ici en cause – apparaissant comme autant de lex specialis.

L’affaire est on ne peut plus classique. A la faveur d’une relation contractuelle nouée entre un ressortissant demeurant en Italie et une société de paris sportifs dont le siège est en Autriche, des difficultés d’exécution du contrat se font jour. La société va alors saisir la juridiction autrichienne compétente pour obtenir la délivrance d’une injonction de payer européenne. Le débiteur va, conformément au règlement, former opposition à cette injonction, notamment au motif que la somme réclamée est non fondée et non exigible. Auquel cas, et fort logiquement comme le prévoit le règlement « IPE » (art. 17), il est renvoyé à la juridiction civile autrichienne de droit commun pour trancher le litige. Devant cette dernière juridiction, le défendeur à l’injonction va alors – et pour la première fois – soutenir qu’en réalité seul le juge italien était compétent en tant que juge du lieu de l’exécution du contrat au sens de l’article 5 § 1 du règlement « Bruxelles I ». Pour sa part, la société de droit autrichien va arguer du fait qu’en se présentant pour s’opposer à l’IPE, et en n’ayant pas contesté dans son opposition la compétence internationale du tribunal autrichien, le défendeur à l’injonction se trouvait dans la situation d’avoir comparu volontairement au sens de l’article 24 du règlement « Bruxelles I », ce qui était de nature à fonder définitivement la compétence internationale du tribunal d’Innsbruck.

En substance, la question revient à savoir si, comme l’a synthétisé l’avocat général Bot, « une opposition formée à l’encontre d’une d’injonction de payer européenne vaut comparution, au sens de l’article 24 du règlement n° 44/2001, et donc acceptation de la compétence de la juridiction chargée de la procédure civile ordinaire qui suit la procédure prévue par le règlement n° 1896/2006 ». Au surplus, le fait qu’à l’occasion de l’opposition, il ait été présenté des arguments de fond a-t-il une quelconque incidence ?

La Cour de justice répond par la négative à ces deux questions, s’appuyant sur les conclusions en même sens de l’avocat général. Une telle solution doit être approuvée. Et, ce, à plusieurs titres.

Le premier tient au fait que le règlement « IPE » s’applique dans le respect du règlement « Bruxelles I ». Il ne saurait donc être question de contourner les règles de compétence de droit commun édictées par ce dernier par le jeu du premier. C’est confirmer que le maillage subtil des compétences directes s’impose en toute situation. En d’autres termes, l’article 6 § 1 du règlement « IPE » qui rappelle que « la compétence est déterminée conformément aux règles de droit communautaire applicables en la matière, notamment au règlement […] n° 44/2001 » contient un adverbe de trop : « notamment ». A bien comprendre la Cour de justice, la compétence, si elle intéresse la matière civile et commerciale, sera toujours déterminée par application du seul règlement « Bruxelles I » et de ses différents chefs de compétence (au cas précis le chef de compétence contractuelle de l’article 5 § 1).

Le second tient à la manière dont il convient d’apprécier la comparution qui est, on le sait, une forme de prorogation volontaire de compétence. S’appuyant sur un précédent célèbre (CJCE, 24 juin 1981, Elefanten Schuh, 150/80) mais en oubliant d’autres peut-être plus pertinents au regard de l’espèce (CJCE, 22 octobre 1981, Rohr, 27/81 ; CJCE, 31 mars 1982, CHW, 25/81 ; CJCE, 14 juillet 1983, Gerling, 201/82), la Cour peut rappeler que le bénéfice de l’article 24 tombe lorsque le défendeur conteste non seulement la compétence mais conclut en outre sur le fond du litige, sauf à préciser immédiatement que cet article permet au défendeur de contester non seulement la compétence « mais de présenter en même temps, à titre subsidiaire, une défense au fond, sans pour autant perdre le droit de soulever l’exception d’incompétence ». C’est dans cette ligne déjà acquise sous l’empire du règlement « Bruxelles I » que la Cour peut ici considérer que le fait que le défendeur présente des moyens de fond dans le cadre de son opposition à l’IPE ne saurait pour autant signifier qu’il a comparu au sens de l’article 24. Mais, et c’est surtout cela qui mérite attention, cette analyse trouve aussi sa confirmation au regard du règlement « IPE » dont la Cour estime qu’ « aucune disposition […] et, notamment pas l’article 16, paragraphe 3, de ce règlement, n’exige du défendeur qu’il précise les motifs de son opposition, de sorte que cette dernière est destinée non pas à servir de cadre en vue d’une défense au fond, mais […] à permettre au défendeur de contester la créance ».

En définitive, l’on est, avec l’arrêt Goldbet Sportwetten GmbH, en présence d’une décision majeure de nature à bien éclairer ces outils originaux (le TEE ou l’IPE) de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Elle démontre qu’il est possible de concilier l’efficacité et la rapidité qu’emporte l’unilatéralité voulue par le règlement « IPE » et le respect du contradictoire – principe cardinal des procédures transfrontières de l’Union dont l’assise trouve d’ailleurs renfort dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE –, même si c’est à ce stade ultérieur de la procédure qu’est l’opposition où la figure de l’IPE perd sa raison d’être en ce que la créance incontestée (qui est à la condition de base du mécanisme instauré par le règlement) ne l’est plus, tout simplement…