La directive retour à nouveau dans le prétoire de la CJUE : précisions quant à son applicabilité à un ressortissant d’Etat tiers ayant introduit une demande de protection internationale au cours de sa rétention.

par Marie Garcia, CDRE

C’est par le biais d’une demande de décision préjudicielle introduite sur le fondement de l’article 267 TFUE, que la Cour de justice a pu répondre le 30 mai 2013, aux interrogations soulevées par la juridiction administrative suprême Tchèque, concernant l’applicabilité de la directive 2008/115 à un demandeur d’asile turc, M.Arslan.

Succédant aux  jurisprudences El Dridi, Achughbabian et Sagor, relatives à la question de la pénalisation du séjour irrégulier, l’affaire C-534/11 explicite un point brièvement soulevé dans l’affaire Kadzoev. Dans cette première jurisprudence, la question de l’applicabilité de la directive « retour » à un demandeur d’asile avait été rapidement élucidée au détour de la question du calcul  de la durée de la rétention. A cette occasion la Cour avait affirmé que le régime de la rétention à des fins d’éloignement et celui de la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, relèvent de régimes juridiques distincts. Ici, elle est amenée à préciser cette affirmation.  

M.Arslan est un ressortissant turc entré clandestinement dans l’espace Schengen, éloigné une première fois vers son pays d’origine et destinataire d’une interdiction d’entrée sur le territoire de l’espace Schengen pour une durée de trois ans. Lorsqu’il est à nouveau interpellé par les forces de police tchèques, il est immédiatement placé en rétention et fait l’objet dès le lendemain d’une décision d’éloignement. Cependant alors que sa rétention est prolongée, M.Arslan conteste cette décision devant le juge national au motif qu’il n’existe pas de perspective raisonnable d’éloignement, puisque la demande de protection internationale qu’il a déposé pendant sa première période de rétention doit-être examinée et faire l’objet d’éventuels recours. Pour les autorités tchèques, cette décision de prolongation est au contraire motivée par le passé du requérant et son intention avouée d’introduire une demande d’asile pour retarder son éloignement, voire le tenir en échec.

M.Arslan se pourvoit alors en cassation. Bien que la demande de protection internationale ait été entre temps rejetée et M.Arslan libéré suite à l’expiration du délai maximal de rétention, la juridiction administrative suprême de République Tchèque s’interroge.

L’introduction d’une demande de protection internationale par un ressortissant d’Etat tiers, au préalable placé en rétention sur le fondement de l’article 15 de la directive « retour », exclue-t-elle automatiquement l’application de ce texte et met-elle aussitôt fin à la rétention de l’intéressé ?

Avant de se prononcer sur le fond il s’agissait préalablement pour la Cour de Justice de vérifier la recevabilité des questions posées.

1. La recevabilité des questions préjudicielles

Décidant de ne pas suivre sur ce point les conclusions de l’Avocat Général, Melchior Wathelet, la Cour décline l’argument selon lequel la demande de décision préjudicielle aurait un caractère hypothétique puisque le requérant n’a pas expressément contesté devant la juridiction de renvoi l’applicabilité de la directive « retour ». Comme elle le souligne « pour pouvoir déterminer si ladite prolongation enfreint ou non l’article 15 de la directive 2008/115, la juridiction de renvoi doit déterminer au préalable si cette directive reste applicable à la situation de M.Arslan après l’introduction de sa demande d’asile ».

Néanmoins le point 44 des conclusions de l’Avocat Général rappelle qu’effectivement, le litige devant la juridiction de renvoi avait pour objet un recours contre la décision de prolongation de la rétention et que depuis la rétention a cessé. N’en déplaise, la Cour ne semble pas considérer qu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée des dispositions du droit de l’Union visées dans les questions n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, que le problème est de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

2. L’inapplicabilité de la directive « retour » aux ressortissants d’Etats tiers ayant introduit une demande d’asile

La Cour répond aux deux questions préjudicielles qui lui étaient posées. Il s’agissait dans un premier temps de s’interroger sur l’applicabilité de la directive « retour » aux faits de l’espèce.

Préalablement la CJUE rappelle les termes mêmes de l’article 2§1 de la directive 2008/115 et du considérant 9 de son préambule. Si le premier impose l’application de la directive « retour » aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un Etat membre, le second semble par définition exclure de ce champ d’application les ressortissants de pays tiers ayant demandé l’asile dans un Etat membre conformément à la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres.

Comme le souligne la Cour, la législation européenne relative à l’asile et en particulier l’article 7§1 de la directive 2005/85 établit le droit pour les demandeurs d’asile de rester, aux seules fins de la procédure d’asile, dans l’Etat membre dans lequel leur demande a été déposée ou est examinée, et cela jusqu’à ce que l’autorité responsable pour cet examen se soit prononcée en premier ressort sur cette demande. Si ce droit peur souffrir de certaines exceptions (article 7§2 de la directive 2005/85), l’article 39§3 de la même directive permet cependant aux Etats membres de l’étendre aux demandeurs qui seraient dans l’attente de l’issue d’un recours contre la décision de l’autorité responsable en premier ressort.

A contrario le constat du séjour irrégulier d’un ressortissant d’Etat tiers, oblige, selon les objectifs de la directive retour, chaque Etat membre à effectivement éloigner le ressortissant visé par une décision de retour. La CJUE le rappelle d’ailleurs à titre liminaire lorsqu’elle cite le point 31 de la jurisprudence El Dridi selon lequel, « la directive 2008/115 poursuit la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement […] et ainsi qu’il résulte tant de son intitulé que de son article 1er, la directive 2008/115 établit à cette fin des normes et procédures communes qui doivent être appliquées par chaque Etat membre ».

C’est pourquoi la réponse de la Cour à la première question préjudicielle ne surprend pas lorsqu’elle conclut « qu’il ressort clairement des termes, de l’économie et de la finalité des directives 2005/85 et 2008/115 qu’un demandeur d’asile a le droit de demeurer sur le territoire de l’Etat membre concerné à tout le moins jusqu’à ce que sa demande ait été rejetée en premier ressort et ne saurait être considéré comme étant en séjour irrégulier au sens de la directive 2008/115 celle-ci visant à l’éloigner dudit territoire ».

En accord sur ce point avec les conclusions de l’Avocat Général, ce dernier n’avait cependant pas manqué d’annoncer qu’il tempèrerait sa position s’il « existe des indices clairs et concordants d’instrumentalisation du cadre règlementaire relatif à l’octroi d’asile dans le but de rendre inopérante l’application de la directive « retour » au point de créer un abus de droit d’asile ». Faisant échos aux arguments de certains Etats membres, et notamment de la France, qui craignaient que le simple fait d’introduire une demande d’asile puisse faire échouer la procédure d’éloignement en libérant sur le champ le ressortissant, ces éléments circonstanciels obligeaient la Cour à aller plus loin.

Il s’agissait donc pour la Cour de s’interroger dans un second temps sur le maintien en rétention d’un ressortissant d’Etat tiers ayant préalablement été détenu sur le fondement de l’article 15 de la directive « retour », parce que remplissant les critères de ce dernier, mais ayant pendant la durée de la rétention introduit une demande de protection internationale.

3. La possibilité de maintenir en rétention le ressortissant d’Etat tiers ayant introduit une demande d’asile

En se référant à la jurisprudence Kadzoev (point 45), la Cour distingue deux types de rétention. La rétention à des fins d’éloignement régie par la directive 2008/115 et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile conformément aux directives 2005/85 et 2003/9. Si la Cour ne précise pas les caractéristiques de la rétention à des fins d’éloignement, le point 60 des conclusions de l’Avocat Général rappelle en substance les conditions autorisant le recours à la rétention selon les principes éclaircis notamment par la jurisprudence El Dridi. La rétention doit intervenir en dernier lieu si d’autres mesures moins coercitives sont inadéquates, si l’intéressé présente un risque de fuite ou évite ou empêche la préparation du retour, et elle doit-être aussi brève que possible. De plus, seuls les ressortissants faisant l’objet d’une procédure de retour peuvent-être placés et maintenus aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

Concernant la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, la Cour rappelle que le principe est celui de la libre circulation des demandeurs d’asile sur le territoire de l’Etat membre d’accueil (article 7§1 de la directive 2003/9). En effet, le seul fait pour un ressortissant de déposer une demande d’asile ne peut justifier son placement en rétention (article 18 de la directive 2005/85). Il s’agit donc d’un placement qui reste selon les textes exceptionnels, « les Etats membres veill[ant] à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide » (article 18§2 de la directive 2005/85).

Cependant, la législation relative à l’asile ne prévoit pas actuellement une harmonisation des motifs pour lesquels la rétention d’un demandeur d’asile peut-être ordonnée, les Etats membres étant libres de déterminer les circonstances justifiant un tel placement.  Bien qu’ils soient dans l’obligation de respecter leurs obligations découlant du droit international et du droit de l’Union,  la directive « retour » offre pour les ressortissants d’Etats tiers en situation irrégulière de plus grandes garanties concernant les motifs de placement en rétention. Gageons que la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l’accueil des demandeurs d’asile (COM(2011) 320 final du 1er juin 2011) qui introduit un nouvel article 8 « Placement en rétention » et des motifs harmonisés de placement en rétention, soit au plus vite adoptée.

4. Le contrôle de l’opportunité de la rétention

La législation autorise le placement en rétention du demandeur d’asile. Il restait cependant à la Cour à déterminer si les faits de l’espèce justifiaient une telle solution. En effet, l’exigence d’une appréciation au cas par cas des circonstances est de mise et « le seul fait qu’un demandeur d’asile, au moment de l’introduction de sa demande, fasse l’objet d’une décision de retour et qu’il soit placé en rétention sur la base de l’article 15 de la directive 2008/115 » ne permet pas de légitimer le maintien de la rétention.

Selon la Cour deux circonstances justifient la prolongation de la rétention de M.Arslan.

Tout d’abord les raisons ayant conduit les autorités à le placer dès son interpellation en rétention sur le fondement de l’article 15 de la directive « retour ». Le risque de fuite et l’échec de son éloignement se présumaient amplement au vue du parcourt du ressortissant. Dès lors, même si le régime de la rétention diffère à l’occasion de l’introduction de la demande de protection internationale et que la directive 2008/115 est inapplicable pendant l’examen de la demande d’asile, la procédure d’éloignement n’est pas pour autant annulée, et la remise en liberté du ressortissant pourrait compromettre la poursuite de l’éloignement dans l’hypothèse du rejet de la demande d’asile.

Ensuite, la Cour, sensible à l’argument de l’abus de droit soulevé par l’Avocat général, souligne le caractère incertain de la demande d’asile introduite dans le seul but de retarder voire de tenir en échec l’éloignement. En ce cas l’impossibilité de maintenir le ressortissant en rétention porterait atteinte à l’objectif de la directive, « à savoir le retour efficace des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » et ne permettrait pas aux Etats d’éviter que « l’intéressé puisse, par l’introduction d’une demande d’asile, obtenir automatiquement sa remise en liberté ».

La complémentarité de la législation relative à l’asile et de la législation relative au retour s’exprime au travers notamment de l’article 23§4 j) de la directive 2005/85 qui prévoit l’examen accéléré ou prioritaire des demandes de protection internationale lorsque l’on soupçonne le demandeur de ne déposer une demande que dans le but de retarder ou d’empêcher l’exécution du retour. Comme le souligne la Cour « la directive 2005/85 veille ainsi à ce que les Etats membres aient les instruments nécessaires à leur disposition pour pouvoir assurer l’efficacité de la procédure de retour ».

En définitive, le considérant 8 du préambule de la directive 2008/115, selon lequel « la légitimité de la pratique du retour par les Etats membres des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier est reconnue, à condition que soient en place des régimes d’asile justes et efficaces qui respectent pleinement le principe de non-refoulement » résume à lui seul la portée de cette nouvelle jurisprudence.