Frontex et la question des droits de l’homme dans son rapport d’analyse des risques de 2013 : omission ou dépréciation?

par Francisco Sanchez-Rodriguez, CDRE

Cache misère des déboires de la politique migratoire actuelle, garde frontières de l’Europe, homme de main de la coalition européenne… Telles sont les circonlocutions dévolues à l’Agence Frontex (ci-après Agence ou Frontex), qui pointée du doigt sur la scène européenne, est aussi la grande spectatrice des drames humains qui jonchent les routes de l’immigration irrégulière en Méditerranée.

Le rapport annuel des risques publié en cette année 2013 propose un bilan statistique déconcertant quant aux contrôles opérationnels des flux migratoires des activités sous-jacentes dites illégales qui frappent aux portes de l’Espace Schengen. Il n’empêche que cette méthode d’évaluation présente certaines limites, notamment dans l’appréciation des activités  de contrôles et de surveillance de l’Agence, au regard des droits de l’homme.

Omission ou dépréciation, il n’empêche que la garantie du respect des principes de l’état de droit et des droits fondamentaux fait partie intégrante du Code de conduite défini à l’article 2 bis du Règlement modifié portant création de l’Agence.

Absence manifeste de la Stratégie en matière de droits fondamentaux dans l’analyse des risques pour l’année 2012.

Le cadre stratégique de l’Union Européenne en matière de droits de l’homme et de démocratie est clair : l’intégration des droits de l’homme dans les dimensions extérieures de l’Espace Liberté Sécurité Justice s’effectuera sans aucune exception.

Elément déterminant  de l’ELSJ et de la politique migratoire européenne, les activités de contrôles et de surveillance aux frontières extérieures de l’Union par l’Agence Frontex doivent donc s’effectuer dans le respect des droits fondamentaux.

Cependant, force est de constater que nombre d’acteurs européens, propres à l’Union ou pas, le médiateur européen ou l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne partagent pas cet avis.

La  Stratégie en matière de droits fondamentaux  qui figure à l’article 26 Bis du Règlement modifié portant création de l’Agence Frontex a permis de revoir au fond le règlement initial par la création d’un forum consultatif et d’un officier aux droits fondamentaux, corrélat nécessaire au mécanisme de contrôle du respect des droits de l’homme dans toutes les activités de Frontex. Cette transparence effective qui anime la version modifiée du Règlement doit être saluée et encouragée. Elle n’est pas anodine certes, mais elle ne transparaît pas véritablement dans l’analyse de 2013.

Qu’en est-il des opérations Xenios ou Aspidia à la frontière gréco-turque, des activités de contrôle près des îles grecques de Samos, de Symi ? Le déploiement de milliers de policiers dans la région de l’Evros renforcée par une assise technique de l’Agence, a facilité l’identification et le retour des ressortissants afghans, pakistanais, bangladeshis et syriens dépourvus de documents. De même, à propos de l’augmentation inquiétante des détections en Mer Egée ou dans les Balkans, aucune donnée significative sur l’identification et le retour des ressortissants afghans, pakistanais, bangladeshis et syriens dépourvus de documents n’apparait dans l’évaluation de 2012.

 Cette analyse vaut aussi pour l’ensemble des activités opérationnelles couvrant l’ouest de la Méditerranée. De la Mauritanie en passant par le Sénégal ou le Maroc, les rouages de la diplomatie espagnole se sont fait entendre, forçant certains à penser que le principe de non-refoulement peut prévaloir sur le cœur des obligations contenues dans l’arsenal juridique  de l’Union. L’article 78 TFUE, et l’article 18 de la Charte en sont les plus belles illustrations.

L’absence de données de l’Agence quant à l’effectivité et la prise en considération des garanties en matière de droits de l’homme lors des opérations de surveillance et de contrôles aux frontières extérieures de l’Union, suscite donc assez logiquement inquiétude et appréhension : la relativité de l’aspect contraignant des instruments de l’article 26bis  du Règlement modifié n’en serait-elle pas la source ?

Interceptions et sauvetages en mer : vers une responsabilisation de Frontex ?

Ces émois quant à l’effectivité du respect des droits fondamentaux par l’Agence Frontex ne se cantonnent pas seulement aux activités précitées. L’obligation de prêter assistance aux personnes en détresse en mer et les modalités de débarquement des personnes interceptées ou secourues a fait l’objet d’un contentieux devant la CJUE dans l’affaire Parlement Européen c/ Conseil de l’Union Européenne du 5 septembre 2012, et d’une longue « pléiade » de la Commission.

L’arrêt Hirsi Jamaa rendue par la CEDH ainsi que les modifications apportées au Règlement portant création de l’Agence ont eux aussi permis de clarifier ce que l’on entend par « surveillance des frontières ». L’urgence humanitaire et ou le sauvetage en mer font partie des missions de Frontex au même titre que le contrôle et l’assistance technique des Etats membres aux frontières extérieures de l’Union, au regard du droit international de la mer et des obligations qui en découlent.

 Il est évident que les instruments internationaux pertinents en matière d’immigration clandestine par voie maritime et l’implication de Frontex dans toutes les activités que le Règlement prévoit, sont intrinsèquement liés. Toutefois, le caractère multinational des opérations quant à la détermination des responsabilités engagées lors d’une interception et ou d’un sauvetage, interroge sur l’effectivité du droit à demander l’asile et sur le principe de non refoulement.

Qu’en serait-il de  l’article 2 du protocole n°4 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, et des préoccupations dégagées de l’article 6 du Code Frontières Schengen ou de l’arrêt Stamose c. Bulgarie du 27 novembre 2012 ?

 Pointer, l’Agence Frontex comme seule responsable des présumées atteintes aux droits fondamentaux qui rongent les frontières extérieures de l’Union, n’est qu’hyperbole. N’est-il pas ici question de la responsabilité des Etats membres dans la gestion des frontières extérieures, compétences qu’ils ont su défendre à de maintes occasions ? La charge du fardeau serait-elle partagée ou mauvaisement attribuée ?

 La gestion des frontières extérieures revient à la puissance étatique ainsi que la garantie du respect du droit d’asile et du principe international de non refoulement.

Surveillance des frontières et Bienveillance des migrants…Tels sont les enjeux qui conditionnent les activités de l’Agence, mais à quel prix ?