L’arrêt Ognyanov de la Cour de justice : quand la confiance réciproque se fait le révélateur des déficiences de l’espace de liberté

Les conclusions de l’avocat général Yves Bot, dans l’affaire Ognyanov (aff. C-554/14) tranchée en grande chambre par la Cour de justice le 8 novembre 2016, concernant le transfèrement entre deux États membres d’un condamné pour l’exécution de sa peine, pouvaient laisser croire au prononcé d’un grand arrêt relatif au principe de confiance mutuelle. Pourtant, de manière surprenante, alors même que la Cour reprend la solution suggérée par les conclusions et qu’un communiqué de presse proclame l’importance de l’arrêt, la notion de « principe de confiance mutuelle » en tant que telle brille par l’absence de toute référence explicite à ce principe cardinal de l’espace judiciaire européen. La Cour de justice lui préfère sagement celle de « confiance réciproque », visée par les auteurs de la décision-cadre qu’elle interprète.

L’arrêt n’en est pas moins passionnant, surtout lorsqu’il est lu dans son contexte, par les enseignements qu’il délivre quant aux rapports des juges nationaux en matière de transfèrement des détenus (I). Au delà, deux traits importants attirent particulièrement l’attention. L’arrêt pointe en effet du doigt les failles existant dans l’espace judiciaire européen, sous la forme d’une critique implicite de cet espace tel qu’il fonctionne actuellement (III). Auparavant, au coeur du raisonnement de la Cour, la notion de « confiance réciproque entre États membres» valorisée par l’arrêt apporte un nouvel éclairage sur ce que serait cette confiance réciproque (II). La précision est d’autant plus intéressante que cette clarification est indispensable à la recherche entourant le « mystère » du principe de confiance mutuelle.

1. Les enseignements de l’affaire Ognyanov

L’affaire est simple : Monsieur O., ressortissant bulgare placé en détention provisoire au Danemark, y est condamné à quinze ans de prison pour vol aggravé et meurtre. Il travaille durant presque toute la durée de sa détention, et finalement, au bout d’un an et demi, il est transféré afin d’exécuter le reste de sa peine en Bulgarie, son pays d’origine. Se pose alors un problème de principe concernant la durée de détention lui restant à exécuter.En effet, ici, les autorités judiciaires danoises ont adressé aux autorités bulgares une demande d’information concernant la peine qu’elles prévoyaient d’exécuter et les règles relatives à la libération anticipée applicables en Bulgarie, indiquant en outre expressément que la loi danoise ne permettait pas de réduire la peine privative de liberté en raison du travail accompli au cours de son exécution.

Or, le droit bulgare prévoit une réduction de peine pour tout travail effectué pendant sa détention, si ce n’est pas le cas du droit danois. La Cour de Cassation bulgare rend un arrêt interprétatif (n° 3/13, le 12 novembre 2013) des dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale bulgare selon lequel le Tribunal de Sofia doit prendre en compte le temps de travail effectué sur le territoire danois pour déterminer la durée de détention que Monsieur O. doit encore exécuter en Bulgarie. Fin 2014, le tribunal de Sofia va pourtant saisir la Cour de justice sur le fondement de l’article 267 TFUE afin de l’interroger à titre préjudiciel dans des conditions sur lesquelles on reviendra.

D’abord, comment lire les dispositions de la décision-cadre 2008/2009 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de la surveillance des mesures de probation et des peines de substitution et, plus particulièrement son article 17 §§ 1 et 2 concernant les obligations des autorités concernées lorsque les décisions ultérieures relèvent de la compétence de l’Etat d’émission ? Ces dispositions autorisent-elles ou s’opposent-elles à une règle nationale interprétée de manière à ce que l’État d’exécution accorde à la personne condamnée, une réduction de peine en raison du travail effectué pendant sa détention dans l’État d’émission, alors que les autorités compétentes de ce dernier n’ont pas, conformément à leur droit, accordé une telle réduction ?

En fonction de la réponse, quelles sont alors les conditions procédurales à respecter ? Par exemple faut-il informer (et jusqu’à quel point) l’État d’émission de la réduction de peine ? Toujours en fonction de cette réponse, le tribunal de Sofia, lié par l’arrêt interprétatif de la Cour de Cassation bulgare, peut-il quand même procéder à une réduction de peine au motif que la loi nationale est plus douce ?

Suivant les conclusions de son avocat général, la réponse de la Cour de Justice est sans appel. Les dispositions de la décision-cadre 2008/909, interprétées à l’appui du contexte et des objectifs que celle-ci poursuit, impliquent que « la peine de prison d’un détenu ne peut pas être réduite, lors de son transfèrement d’un État membre vers un autre, en fonction du temps de travail effectué en prison dans le premier État membre, si ce dernier État n’a pas, en application de son droit national, accordé une telle réduction de peine. ».

Elle en donne les raisons avec une logique implacable. En effet, accepter qu’une juridiction nationale de l’État d’exécution puisse accorder une réduction de peine en vertu de son droit national après avoir reconnu le jugement de condamnation prononcé par une juridiction de l’État d’émission et une fois la personne condamnée transférée aux autorités de l’État d’exécution, alors que les autorités compétentes du premier Etat n’ont, sur la base de leur droit national, pas accordé une telle réduction de peine, compromettrait la confiance réciproque particulière des États membres envers leurs systèmes judiciaires respectifs. D’autant que, dans ce cas, la juridiction nationale de l’État d’exécution appliquerait alors, de manière rétroactive, son droit national à la partie de la peine purgée sur le territoire relevant de la juridiction de l’État d’émission : « elle procéderait ainsi à un réexamen de la période de détention accomplie sur le territoire dudit État, ce qui serait contraire au principe de reconnaissance mutuelle » (point 49).

A compter de cette réponse, la CJUE répond ensuite à la dernière difficulté soulevée, à savoir si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale applique une règle nationale, telle que celle en cause au principal, bien qu’elle soit contraire à l’article 17 §§ 1 et 2, de la décision-cadre 2008/909, au motif que cette règle nationale serait plus douce que ladite disposition du droit de l’Union. L’interrogation est classique en matière  de reconnaissance mutuelle.

En vertu d’une jurisprudence constante (CJCE, 16 juin 2005, Pupino, aff. C-105/03 ; CJUE, 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge, aff. C-42/11), les juridictions nationales sont en effet soumises à une obligation d’interprétation conforme du droit national par rapport aux décisions-cadre. Néanmoins, comme la Cour le rappelle, cette obligation « connaît certaines limites » (point 62). Ainsi, « l’obligation d’interprétation conforme cesse également lorsque le droit national ne peut pas recevoir une application telle qu’il aboutisse à un résultat compatible avec celui visé par la décision-cadre. En d’autres termes, le principe d’interprétation conforme ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national » (point 66).

En l’espèce, cette limite ne constitue pas un obstacle infranchissable et ne laisse pas le juge national sans ressources. L’obligation d’interprétation conforme inclut en effet, y compris pour les juridictions nationales statuant en dernier ressort, « l’obligation de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie s’il s’agit d’une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une décision-cadre (CJUE, 19 avril 2016, DI, aff. C-441/14, point 33 ; CJUE, 5 juillet 2016, Ognyanov, aff. C-614/14, point 35) » (point 66).

Là est l’échappatoire permettant de sortir de l’impasse. La règle nationale en cause, qui permet de prendre en cause le travail d’intérêt général accompli dans l’Etat d’émission par le condamné transféré, résulte en effet d’une interprétation de la Cour suprême de Cassation bulgare. Le juge national de renvoi n’est donc pas dans l’impossibilité de délivrer une interprétation conforme avec le droit de l’Union. Aussi, le principe de primauté vient à sa rescousse dans des conditions connues : « il appartient à la juridiction de renvoi d’assurer le plein effet de la décision-cadre 2008/909 en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, l’interprétation retenue par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation), dès lors que cette interprétation n’est pas compatible avec le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 36) » (point 70).

2. La confiance réciproque entre États membres, un éclairage bienvenu

Au delà, dans l’arrêt du 8 novembre, le silence assourdissant entourant le principe de « confiance mutuelle » entre États membres doit être relevé. Il contraste avec l’utilisation surprenante, car bien plus rare, de la notion de « confiance réciproque ». Cette absence ne peut être un hasard alors que, comme c’est souvent le cas dans les affaires portant sur le principe de reconnaissance mutuelle, l’avocat général Bot évoquait largement le principe dans ses conclusions (points 119, 126, 155 et 159.1). On est donc amené à penser que c’est délibérément que les juges de la CJUE l’écartent au profit de la notion de « confiance réciproque ». À défaut d’apporter des informations révolutionnaires, ce choix rédactionnel confirme quelques données et offre de nouvelles pistes de réflexion quant au principe de confiance mutuelle entre États membres.

La confiance réciproque serait le fondement de la coopération judiciaire en matière pénale au sein de l’UE et donc, par extension, le fondement du principe de reconnaissance mutuelle (points 46-47). L’idée n’est pas nouvelle. L’arrêt maintenant célèbre Aranyosi- Caldararu l’affirmait déjà lui aussi (point 77). Une interprétation a contrario permet également d’affirmer que ce n’est pas là un objectif du droit de l’UE, comme peut l’être le principe de reconnaissance mutuelle (Ognyanov, point 46) ou comme pourrait l’être le degré élevé de confiance qui doit exister entre les États membres (Caldararu, point 76). Finalement, à la lecture de l’arrêt, il semble que, dans l’esprit de la CJUE, la confiance réciproque entre États membres serait plutôt un simple état de fait, une réalité constatée.

Celle-ci serait assurée en grande partie par les droits procéduraux dans le cadre des procédures pénales, le point 4 de l’arrêt du 8 novembre citant à cet effet le cinquième considérant de la décision-cadre 2008/909 selon lequel « les droits procéduraux dans le cadre des procédures pénales constituent un élément fondamental pour assurer la confiance réciproque entre les États membres en matière de coopération judiciaire. Dans leurs relations, qui sont marquées par une confiance réciproque particulière envers leurs systèmes judiciaires respectifs, les États membres autorisent l’État d’exécution à reconnaître les décisions rendues par les autorités de l’État d’émission. En conséquence, il convient d’envisager le renforcement de la coopération prévue par les instruments du Conseil de l’Europe en ce qui concerne l’exécution des jugements en matière pénale, en particulier lorsque les citoyens de l’Union ont fait l’objet d’un jugement en matière pénale et ont été condamnés à une peine ou une mesure privative de liberté dans un autre État membre ».

Au premier abord, la parallèle entre la « confiance réciproque » et le « principe de confiance mutuelle » est aisée à tirer. Tous deux ont pour objet les relations entre États membres, tous deux permettent la reconnaissance dans un État membre d’une décision judiciaire rendue par les autorités d’un autre État membre et, évidemment, tous deux reposent sur l’insaisissable notion de « confiance ». Mais la comparaison s’arrête là.

A lire l’arrêt, la confiance réciproque correspondrait en effet à une notion plus restreinte : elle se limite à la matière pénale, elle ne crée pas d’obligation et elle fonde l’objectif du droit de l’UE qu’est le principe de reconnaissance mutuelle. Le principe de confiance mutuelle, lui, depuis l’arrêt Caldararu (point 78) semble ne pas être réduit à être le fondement du principe de reconnaissance mutuelle mais être son égale, puisque mis au même niveau par la Cour (et donc également être un objectif de l’UE ?), permettant ensemble, « la création et le maintien d’un espace sans frontières ». Récemment, le 10 novembre 2016, trois arrêts de la CJUE (Kovalkovas, aff. C- 477/16 PPU ; Özçelik, aff. C- 453/16 PPU; Poltorak, aff. C-452/16 PPU) l’ont d’ailleurs confirmé en reprenant la formulation à l’identique (respectivement points 24 et point 26). De plus, contrairement à la confiance réciproque, le principe concernerait l’ensemble de l’UE et il créerait des obligations juridiques comme l’obligation de présomption mutuelle de respect des droits de l’UE imposée aux États membres.

Enfin, la confiance réciproque n’est pas élevée par la Cour au rang de principe. Le considérant 5 de la décision-cadre, le développement que lui consacre la CJUE et le communiqué de son greffe en sont les rappels insistants. L’absence systématique du terme « principe » avant « confiance réciproque » poursuit vraisemblablement le même objectif que l’effort évident des juges de ne pas utiliser ici le principe de confiance mutuelle. L’ensemble confirmerait alors ici, encore une fois, ce que des arrêts précédents (Aranyosi – Caldararu) annonçaient : le concept de principe de confiance mutuelle entre États membres est bien distinct de celui de confiance réciproque. Et même plus encore, contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, ces deux concepts ne vont pas nécessairement de pair.

Évidemment, une véritable définition jurisprudentielle de la « confiance mutuelle » fait encore défaut et les informations apportées ici ne sont pas toutes neuves, loin de là. Pourtant, chaque confirmation et chaque nouvelle indication, même les plus maigres, ouvrent des pistes de réflexion bienvenues pour l’étude du principe de confiance mutuelle. Ce n’est cependant pas le seul intérêt de l’arrêt Ognyanov (C- 554/14), surtout lorsqu’il est lu dans son contexte.

3. Des failles dans l’espace judiciaire européen, une mise en lumière nécessaire

L’affaire Ognyanov tire la sonnette d’alarme : l’espace judiciaire européen comporte malheureusement toujours des failles importantes. La CJUE relève expressément l’une d’elles. Une autre faille est, elle, mise en lumière par l’affaire dans son ensemble.

Le communiqué de presse n°117/16 exprime un constat qui peut surprendre l’observateur : « la décision-cadre régissant la question du transfèrement entre deux États membres d’une personne condamnée à une peine privative de liberté n’a pas d’effet direct ». En droit de l’UE, le principe de l’effet direct (CJCE, 19 août 1962, Van Gend & Loos, aff. 26-62) permet de reconnaître des droits au profit des particuliers. Un acte d’effet direct pourra être invoqué par ces derniers devant le juge. Cela signifie évidemment qu’a contrario, un acte de l’UE n’en disposant pas ne peut être invoqué directement par un particulier. Une telle situation aujourd’hui, concernant un texte pénal d’une telle importance pour les individus, paraît aberrante. Celui-ci intéresse en effet, les conditions de détention et la réinsertion sociale de détenues. Il concerne donc des individus vulnérables, ayant besoin d’une protection renforcée de leurs droits.

Semblant partager cet avis, la Cour n’hésite pas à souligner avec force cette carence. Lorsqu’elle répond à la dernière question préjudicielle, la Cour évacue en quelques lignes le débat sur le principe de la rétroactivité in mitius de la loi pénale (point 55) alors que les conclusions de l’avocat général justifiaient longuement sa non- applicabilité (points 81, 82 et 83). À l’inverse et par contraste, les juges se penchent longuement sur la nature et les effets juridiques des décisions-cadres. C’est presque étonnée que la Cour constate que, depuis le traité de Lisbonne, la décision-cadre adoptée sur le fondement de l’ancien troisième pilier, et notamment l’article 34§2 b) UE, n’a toujours pas fait l’objet d’abrogation, annulation ou modification. Elle est donc toujours dépourvue d’effet direct, conformément au traité d’Amsterdam et « à la différence de ce que semblent suggérer la juridiction de renvoi et la Commission européenne » (point 56).

Cette carence démontre le retard pris par l’espace judiciaire européen. Les textes n’ont pas suivi le rythme de la construction européenne, par mauvaise volonté des Etats membres et des institutions. Ce retard est d’autant plus important que l’effet direct constitue normalement un levier pour assurer la pénétration des normes de l’UE dans les ordres juridiques internes. La plupart des normes de l’espace judiciaire européen, adoptées sur le fondement du troisième pilier, ne bénéficieraient donc pas de ce levier. Dès lors, un décalage existerait avec les autres normes, adoptées depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.

L’arrêt, lu dans son contexte, souligne également un autre retard dans la construction de l’espace judiciaire européen : il concerne cette fois directement l’État bulgare et sa faible assimilation des contraintes induites par son appartenance à l’espace de liberté, sécurité et justice. L’affaire Ognyanov (C-554/14) a en effet donné lieu à une autre procédure (affaire Ognyanov (C-614/14), révélatrice de cette déficience. Le ministère public bulgare considérait en effet qu’en procédant au renvoi préjudiciel dans cette affaire, le juge avait émis un avis provisoire en procédant à la détermination des faits et du droit applicable. Selon le droit national applicable, il lui avait donc demandé de se dessaisir de l’affaire. Courant le risque d’être sanctionné pour avoir simplement appliqué le droit de l’UE et formulé une question préjudicielle, le juge de renvoi bulgare a dû, à nouveau, saisir la Cour de justice pour lui demander si cette règle était conforme au droit de l’UE.

Fermement, la Cour de justice est venue à son secours dans son premier arrêt, en date du 5 juillet 2016, rendu lui aussi sur conclusions d’Yves Bot. Elle y affirme à propos des obligations préjudicielles pesant sur l’Etat bulgare que « les articles 267 TFUE et 94 du règlement de procédure de la Cour, lus à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, et de l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règle nationale interprétée d’une manière telle qu’elle oblige la juridiction de renvoi à se dessaisir de l’affaire pendante au motif qu’elle a exposé, dans sa demande de décision préjudicielle, le cadre factuel et juridique de cette affaire », en raison du risque « qu’un juge national préfère s’abstenir de poser des questions préjudicielles à la Cour pour éviter soit d’être dessaisi et d’encourir des sanctions disciplinaires, soit d’introduire des demandes de décision préjudicielle irrecevables » (point 25).

Dans les deux affaires Ognyanov, relevant la non-conformité du droit bulgare au droit de l’UE, la juridiction de renvoi cherche donc manifestement à s’adresser au juge de l’Union afin d’obtenir sa caution, à chaque fois à bon droit. Il n’en reste pas moins que, confronté aux autres acteurs de son système judiciaire (ministère public et Cour de Cassation), le juge national doit surmonter l’obstacle au prix d’une lourde procédure. Si l’interprétation du droit et l’attitude courageuse du juge du fond bulgare suscitent l’optimisme, tant il se positionne ici comme un véritable juge de l’UE, celles des autres autorités judiciaires nationales ne peut qu’inquiéter.

Outre le fait que la Cour de justice relève que la décision-cadre 2008/909 n’a pas été transposée dans l’Etat membre à la date du renvoi, alors qu’elle aurait du l’être depuis 2011, l’attitude de ces autorités nationales est problématique. L’espace judiciaire européen se fonde essentiellement sur leur engagement à impulser sa construction et garantir son bon fonctionnement et elles l’affaiblissent donc en allant à l‘encontre de cette logique. Par leur attitude, elles deviennent alors des failles préoccupantes de cet espace. La possibilité de voir aujourd’hui dans l’UE, une autorité judiciaire nationale s’auto-censurer et s’empêcher de poser une question préjudicielle pour garantir la bonne application du droit de l’UE, par crainte de devoir se dessaisir, est indéniablement un grave problème. Par le passé, combien de juges nationaux ont reculé plutôt que de prendre le « risque » assumé courageusement par le tribunal de Sofia ?

Durant cette année judiciaire, la jurisprudence Aranyosi- Caldararu a pu faire craindre une mise à l’écart de la Roumanie et la Hongrie du système du mandat d’arrêt européen (MAE) en raison des conditions de détentions prévalant dans ces États. L’affaire Ognyanov nous démontre qu’un autre État membre, la Bulgarie, risque également d’être en marge de l’espace judiciaire européen, en raison cette fois de la faible « culture judiciaire européenne » de ses autorités judiciaires. Avec ce constat d’une fracture entre les États membres dans l’espace judiciaire européen, le spectre d’une UE à double vitesse ressurgit. Mais il ne faut pas désespérer et craindre une contamination générale de l’espace. Le constat n’est que la première étape du diagnostic. Il permet de passer aux étapes suivantes : la remise en question et la recherche d’un remède sans lesquels toute confiance est vouée à l’échec.