La lutte contre le financement du terrorisme : la justification du renforcement de la politique pénale européenne

« L’UE doit répondre au terrorisme par la fermeté sur le plan de la justice pénale » (communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – Le programme européen en matière de sécurité, 28 avril 2015 (Com (2015) 185). Le « train de mesures » adopté par la Commission, le 21 décembre dernier, s’inscrit dans cette volonté politique, en s’axant principalement sur la lutte contre financement du terrorisme. En réponse aux attentats perpétrés sur le sol européen, trois nouveaux textes – touchant les domaines du blanchiment de capitaux, des mouvements illicites d’argent liquide, du gel et de la confiscation – ont été adoptés afin d’affaiblir « la capacité des terroristes à financer leurs activités et, simultanément, en facilitant celle des autorités à repérer et à bloquer l’accès aux sources de financement » (Communiqué de presse de la Commission, Union de la sécurité : la Commission adopte des règles renforcées pour combattre le financement du terrorisme, le 21 décembre 2016).

Résultant des engagements pris dans le plan d’action destiné à renforcer la lutte contre le financement du terrorisme de février 2016, les textes présentés par la Commission renforcent et complètent le cadre juridique européen de captation des produits du crime, jugé comme « l’un des moyens les plus efficaces pour empêcher de potentielles attaques terroristes et activités criminelles » (ibid.).

Le durcissement de l’action répressive de l’UE s’inscrit clairement dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme, mais il bénéficiera de façon plus générale à la politique européenne de lutte contre la criminalité organisée et les formes graves de criminalité. Le financement du terrorisme permet donc à la Commission de justifier l’adoption de mesures, en suspens au niveau européen depuis plusieurs années. Depuis 2005, par exemple, la Convention de Varsovie, signée par l’UE en 2009, impose de conférer aux faits de blanchiment de capitaux le caractère d’infraction pénale. Mais, aucun texte n’a été proposé sur ce thème depuis la signature de la Convention, alors même que le cadre préventif anti-blanchiment a fait l’objet d’une modernisation en 2015.

Sous le prisme de la lutte contre le financement du terrorisme, deux approches ont été privilégiées pour renforcer la coopération judiciaire et policière dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée et la cybercriminalité (trois domaines considérés comme « interdépendants à forte dimension transfrontière dans lesquels une action de l’UE peut avoir de réels effets » (V. Le programme européen en matière de sécurité, op. cit.)) : harmoniser les incriminations de blanchiment de capitaux et renforcer la coopération entre les autorités compétentes.

  1. Une harmonisation des incriminations de blanchiment de capitaux

La proposition de directive visant à combattre le blanchiment de capitaux grâce au droit pénal a pour finalité de « doter les autorités compétentes des dispositions législatives qui leur permettront de poursuivre les criminels et les terroristes » (communiqué de presse de la Commission, op. cit.). Pour ce faire, trois objectifs sont assignés à la proposition : établir des règles minimales relatives à la définition des infractions et des sanctions pénales liées au blanchiment, éliminer les obstacles à la coopération judiciaire et policière transfrontalière en mettant en œuvre des dispositions communes pour améliorer les enquêtes et aligner les normes européennes sur les obligations internationales posées par la Convention de Varsovie, de 2005, et la recommandation 3 du GAFI, qui posent l’obligation de conférer le caractère d’infraction pénale aux faits de blanchiment de capitaux.

Dans la lignée de ces textes, la proposition de directive pose les bases des infractions de blanchiment de capitaux, en définissant ce qu’elle entend par « activités criminelles » ou infractions sous-jacentes, d’une part, et en posant les contours des éléments matériels de celles-ci, d’autre part.

La proposition de directive dresse, en premier lieu, la liste des infractions sous-jacentes. Lister de manière exhaustive les infractions sous-jacentes n’est pas quelque chose de neutre, puisque les États membres ont dans ce domaine des approches différentes. Certains listent les infractions sous-jacentes. D’autres préfèrent cibler toutes les infractions. Enfin, une partie cible les infractions en fonction des peines encourues. La Commission a pris le parti de dresser une liste d’infractions sur le modèle de la Convention de Varsovie et du GAFI. La seule originalité posée par elle est l’inclusion dans cette liste de l’incrimination de cybercriminalité, qui fait partie des trois grandes priorités du programme européen en matière de sécurité.

En second lieu, la proposition établit les règles minimales relatives à la définition des infractions de blanchiment de capitaux. Sont ainsi considérés comme des faits de blanchiment : la conversion ou le transfert de bien d’origine illicite dans le but de dissimuler ou de déguiser sa vraie nature ; la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réelle des biens ou des droits y relatifs ; l’acquisition, la détention ou l’utilisation d’un bien d’origine illicite. En outre, la proposition incrimine l’incitation, l’aide, l’encouragement et la tentative et pose deux circonstances aggravantes, qui concernent la participation à un groupe criminel organisé et l’abus d’une situation professionnelle pour commettre des faits de blanchiment.

Mais, la proposition va au-delà de la simple définition des critères matériels, puisqu’elle érige ces comportements en incriminations autonomes.

Elle pose une distinction claire entre la pénalisation de l’infraction principale et celle de blanchiment de capitaux. Il n’est donc pas nécessaire, pour que l’infraction de blanchiment soit sanctionnée, d’établir une condamnation préalable ou concomitante de l’infraction principale ou d’identifier l’auteur de celle-ci, et ce, quel que soit son lieu de commission. En rappelant le caractère autonome des infractions de blanchiment de capitaux, la proposition cherche ici à éliminer l’un des obstacles principaux à la coopération judiciaire et policière.

Enfin, la proposition de directive fixe un seuil minimal de quatre ans au moins d’emprisonnement. Là encore, la proposition ne pouvait que constater les disparités de législation, susceptibles de générer à terme un  « forum shopping ».

  2. Le renforcement de la coopération entre les autorités compétentes

Pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme et les autres formes graves de criminalité, la Commission a mis l’accent, dans un second temps, sur la coopération entre les autorités compétentes d’un même État membre ou de plusieurs États membres.

  a. La proposition de règlement relatif aux contrôles de l’argent liquide

La proposition de règlement relatif aux contrôles de l’argent liquide (COM (2016) 825) – abrogeant le règlement (CE) 1889/2005 relatif aux contrôles d’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté – vise à « fournir aux autorités compétentes les outils appropriés pour détecter les terroristes et leurs soutiens financiers » (ibid.). Elle a ainsi pour but de pallier les failles du dispositif actuel, telles que le recouvrement imparfait des mouvements d’argent liquide, l’impossibilité pour les autorités de retenir les montants inférieurs au seuil de 10 000 euros, la définition déficiente de la notion « d’argent liquide » ou encore le manque d’homogénéité des sanctions en cas de non-exécution de l’obligation de déclaration.

Face à ces difficultés, la proposition de règlement élargit et renforce le contrôle des mouvements d’argent liquide aux envois par colis postal ou par fret, non couverts actuellement par la déclaration douanière standard, ainsi qu’aux matières précieuses telles que l’or. Elle offre également la possibilité aux autorités de retenir les sommes inférieures au seuil de 10 000 euros.

Toutefois, la principale nouveauté concerne le lien créé entre les dispositifs de contrôle d’argent liquide et anti-blanchiment. L’article premier de la proposition de règlement rappelle que ce texte complète la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

Tout en renforçant l’échange d’informations entre les autorités douanières et autres autorités des États membres, ce texte renforce également l’échange d’informations entre les autorités d’un même État membre. Il renforce plus particulièrement l’échange d’informations entre autorités de douane et la CRF de l’État membre où s’est opéré le contrôle. Le système actuel prévoit uniquement que les autorités compétentes mettent à la disposition des CRF les données de déclaration, mais il n’existe aucune obligation de communiquer ces informations aux CRF. La proposition de règlement prévoit donc que les autorités compétentes doivent transmettre activement à la CRF les informations obtenues afin qu’elle en analyse les risques.

2. La proposition de règlement visant à renforcer la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation

Le renforcement de la position de l’Union dans la matière pénale se constate particulièrement dans ce texte (COM (2016) 819/2). La lutte contre le financement du terrorisme a justifié que la Commission ne propose pas ici une directive, mais un règlement européen, limitant de la sorte la marge de manœuvre des États membres. L’objectif est de geler et de confisquer rapidement les avoirs financiers transfrontières, pour empêcher les terroristes d’utiliser leurs fonds pour commettre d’autres attaques.

La Commission met en place, tout d’abord, un instrument juridique unique, immédiatement applicable et efficace.

Unique, car, actuellement, deux textes distincts réglementent cette question. Il s’agit de la décision-cadre 2003/577/JAI relative à l’exécution dans l’Union européenne des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve et de la décision-cadre 2006/783/JAI relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation. La Commission simplifie donc le cadre juridique actuel en adoptant un même et unique texte en matière de reconnaissance des décisions de gel et de confiscation.

Immédiatement applicable, car, pour la première fois, la Commission fait le choix de recourir au règlement européen pour réglementer une question de coopération judiciaire en matière pénale. Par le recours au règlement, le législateur européen souhaite limiter les faiblesses du système actuel, et notamment celles liées à la transposition des textes.

Efficace, puisque la proposition de règlement tend à améliorer la rapidité et l’efficacité des décisions de gel ou de confiscation, et ce, grâce à un certificat standardisé, à l’établissement de délais clairs et plus courts (notamment pour les décisions de gel) et à l’obligation posée aux autorités compétentes de communiquer entre elles. Le certificat standardisé ne constitue pas une nouveauté, mais aspire à pallier les failles du certificat de gel actuel, jugé peu pratique et complexe.

Elle élargit ensuite la portée des règles actuelles relatives à la reconnaissance transfrontière des décisions de confiscation à la confiscation des avoirs des tiers et à la confiscation sans condamnation pénale, prévues dans la directive 2014/42/UE concernant le gel et la confiscation des instruments et produits du crime.

Elle diminue également la marge de manœuvre des États membres en matière de reconnaissance ou de non-reconnaissance des décisions de confiscation élargie, puisqu’elle ne considère plus la confiscation élargie comme un motif de non-reconnaissance ou de non-exécution d’une décision de confiscation, contrairement à la décision-cadre 2006/783/JAI.

Enfin, les droits des victimes à réparation et à restitution sont considérablement renforcés, puisque la proposition expose explicitement que les droits des victimes priment sur ceux des États membres. Les victimes ne doivent subir aucun préjudice dans les cas d’exécution transfrontière des décisions de confiscation. La prise en compte des victimes est quelque chose de nouveau, puisque le terme même de victime n’apparaissait pas dans le corps de la décision-cadre 2006/783/JAI.