Affaire Assange : la Cour suprême britannique confirme l’extradition vers la Suède du fondateur de WikiLeaks. Un succès pour l’espace de liberté ?

par Emilie Darjo, CDRE

Les juges de la Cour suprême britannique ont confirmé, par cinq voix contre 2,( Supreme Court of the United Kingdom, Julian Assange v Swedish Prosecution Authority ) le 30 mai 2012, la livraison de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks vers la Suède où il est accusé de viol et d’agressions sexuelles. Sur fond de scandale politique et diplomatique, cette affaire aurait pu passer inaperçue, mais les questionnements juridiques entourant le mandat d’arrêt européen (MAE) délivré à l’encontre de M. Assange étaient suffisamment nombreux pour susciter l’intérêt.

Les autorités suédoises souhaitent entendre M. Assange dans le cadre d’une affaire de viol et d’agressions sexuelles sur deux femmes ayant travaillé pour WikilLeaks. Arrêté à Londres en décembre 2010, M. Assange clame son innocence depuis les débuts de l’affaire, faisant le lien entre ces accusations et celles dont il fait l’objet aux Etats-Unis. On sait en effet que le site WikiLeaks est accusé d’avoir divulgué des milliers d’informations diplomatiques et de données confidentielles américaines. En arrière-fond, planait donc l’hypothèse d’une éventuelle ré-extradition de Julian Assange de la Suède vers les Etats Unis.

La décision de la Cour suprême était, en droit britannique, la dernière possibilité de M. Assange d’échapper au MAE délivré à son encontre, avant un éventuel dernier recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Ses recours devant le juge ordinaire puis devant la High Court avaient en effet échoué. Devant cette dernière juridiction, en particulier, avait été écarté l’argument principal de la défense de Julian Assange, celui tiré de la double incrimination. Mis en cause en Suède pour le fait d’avoir eu des relations sexuelles non protégées sans le consentement de sa partenaire (le «sexe par surprise » étant considéré comme un viol dans le système juridique suédois), Assange faisait valoir que cette conception du viol n’était pas reconnue au Royaume Uni.

Etait donc en question l’impact de la règle de double incrimination qui commande depuis toujours le droit extraditionnel et qui aurait pu profiter au requérant, faute d’une harmonisation européenne en la matière. L’examen du dossier et la réalité des comportements de l’intéressé autant que la mise à l’écart de la double incrimination par la décision-cadre 2002/584 avaient convaincu le juge britannique de ne pas donner suite. Pas davantage qu’à l’argument sur la « proportionnalité » de la demande suédoise, Julian Assange ayant été convaincu de s’être soustrait à la justice suédoise.

Il restait donc la Cour suprême, celle-ci ayant accepté, pour des « raisons d’intérêt général », de trancher la question de principe soulevée par ses avocats. Ces derniers mettaient en cause la légalité du mandat d’arrêt, en se fondant essentiellement sur le fait que ce MAE avait été délivré par un procureur agissant pour le compte de l’État suédois, et non par un juge, autorité neutre et indépendante.

La décision cadre du 13 juin 2002 relative au MAE et aux procédures de remise entre États membres, prévoit en effet dans son article 6 § 1 que « l’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État ». Elle ne précise pas pour autant ce qu’il faut entendre par « autorité judiciaire ». Le législateur laisse donc aux États membres une marge de manœuvre conséquente dans le choix de cette autorité, qui peut donc être différente selon les États.

Les juges de la Cour suprême britannique constatent sur ce point que plusieurs États membres de l’Union européenne dont la Suède, État d’émission du mandat d’arrêt européen, ont désigné les procureurs comme autorité compétente pour délivrer un MAE, et ce dans le respect de la décision-cadre. La Cour suprême en conclut que le terme « autorité judiciaire » doit donc être entendu comme incluant les procureurs. Elle juge donc que la demande de remise est conforme à la législation en vigueur, même si cette demande émane d’un procureur plutôt que d’un juge.

Le flou de la décision-cadre relative au MAE transparait néanmoins au travers de cette décision. La marge de manœuvre des États membres combinée à la libre appréciation des juges de l’État d’exécution du mandat d’arrêt, peut mettre en péril un des objectifs majeur de la décision-cadre, à savoir la création d’un système uniforme d’arrestation et de remise entre États membres. La diversité des réponses apportées en l’espèce par les Etats membres démontre que cette uniformité souhaitée est inévitablement compromise, et rappelle à quel point il convient d’établir autant que possible des règles communes en matière pénale.

Un refus de la Cour suprême pour ce motif aurait causé une véritable crise dans l’espace pénal européen, remettant fortement en cause la clarté et par conséquent l’usage de la décision-cadre 2002/584. Il aurait constitué une atteinte certaine au principe de reconnaissance mutuelle, pierre angulaire de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, et plus largement au principe de confiance mutuelle entre les autorités des États membres, confiance représentant à la fois le socle et le ciment de cet espace.

L’affaire est-elle close pour autant ? Certains juges de la Cour suprême ayant évoqué la Convention de Vienne sur le droit des traités au cours de leur décision, et en particulier les règles concernant l’interprétation des traités (article 31.3 de la Convention de Vienne), et cette Convention n’ayant jamais été mentionnée auparavant, les avocats de M. Assange ont obtenu des juges de la Cour suprême un délai exceptionnel afin de pouvoir réexaminer le dossier au vu de cet élément. A son terme, si la réouverture du dossier n’est pas acceptée, la CEDH restera la dernière barrière à écarter avant la livraison.

Est-on certain qu’il s’agisse là d’une preuve de l’efficacité du MAE, célébré pour sa rapidité, et de l’autonomie du droit de l’Union ? Rien n’est moins sûr, à la lecture du calendrier comme des raisonnements du juge britannique. Ce dernier fait masse de la Convention de Vienne et du droit de l’union autant qu’il manie de façon très pragmatique droit conventionnel extraditionnel et législation unilatérale de l’Union sur le mandat d’arrêt. En tout état de cause, et au vu du retentissement médiatique de l’affaire, il est loin d’être acquis que les techniques de l’Espace de liberté, sécurité justice y aient gagné quoi que ce soit en intelligibilité et en adhésion de l’opinion publique européenne.