Non refoulement et droit à un recours effectif : le rappel des obligations conventionnelles des Etats dans l’arrêt du 10 octobre 2013, CEDH, K.K c. France, n°18913/11.

par Marie Garcia, CDRE

Dans la lignée de jurisprudences évoquées sur ce site (« Recours effectif et procédure accélérée en matière d’asile : l’écho luxembourgeois de la jurisprudence de la CEDH » par J.Pétin), la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) s’est à nouveau prononcée sur le cas d’un demandeur d’asile débouté dans le cadre d’une procédure prioritaire, en passe d’être renvoyé vers son pays d’origine (CEDH, 10 octobre 2013, K.K c. France, n°18913/11).

En l’espèce, M.K.K., ressortissant iranien, avait demandé en 2008 à être admis au séjour au titre de l’asile sur le territoire français, après avoir quitté son pays en 2006 pour avoir subis tortures et menaces par les autorités iraniennes. Examinant sa requête dans le cadre d’une procédure prioritaire, l’OFPRA puis la CNDA indiquent  que, ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance, ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées. Alors que son éloignement est imminent, le requérant saisit la Cour d’une mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement, alléguant qu’un renvoi vers l’Iran l’exposerait à être soumis à des traitements contraires à l’article 3 CEDH,  et qu’il n’a pas eu droit à un recours effectif comme le prévoit l’article 13 CEDH pour faire valoir les griefs résultant de l’article 3 CEDH.

Eloignement et évaluation du risque de mauvais traitements

Traditionnellement, la CEDH reconnait aux Etats contractants une grande marge de manœuvre en matière migratoire, puisque selon l’expression consacrée, ces derniers « ont en vertu d’un principe international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux des traités internationaux, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux ».

Cependant, les conséquences d’une éventuelle violation de l’article 3 CEDH, dans le cadre d’une procédure de retour sont telles, que la Cour, même dans ce domaine marqué du sceau de la souveraineté étatique, vérifie l’existence « d’un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention ».

En effet M.K.K étant visé par un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, il s’agissait de déterminer si l’exécution de cette mesure avait pour conséquence, comme le prétend le requérant, son interpellation dès son arrivée à l’aéroport et son emprisonnement du fait de son refus de collaborer avec le régime.

D’emblée, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation des faits à celles des juridictions internes, et souligne qu’il s’agit de  déterminer si l’Etat français a, selon les obligations qui lui incombent et découlent de l’article 3 CEDH, correctement évalué le risque de mauvais traitement dans le cadre de l’exécution de la mesure d’éloignement.

A cet effet, elle rappelle les critères traditionnellement requis pour évaluer les conséquences du renvoi du demandeur débouté dans son pays d’origine (§§47, 48 et 49 de l’arrêt, notamment la situation générale du pays de renvoi, la charge de la preuve pour le requérant,  l’obligation du Gouvernement de dissiper tout doute à propos de la véracité des déclarations du demandeur, l’examen du risque encouru à la date de l’examen de l’affaire par la Cour) et se lance dans l’analyse des motivations ayant conduit les autorités françaises à rejeter la demande de protection internationale du requérant et à décider de son éloignement.

 Pour la Cour, les arguments selon lesquels le récit du demandeur n’est pas assez circonstancié et étayé ou remettant en cause  le caractère authentique des documents et plus généralement la crédibilité des assertions du requérant, font l’objet de motivations succinctes, insuffisantes pour rejeter la demande du requérant et ordonner son éloignement.

Le constat est clair : les autorités n’ayant pas fourni d’éléments pertinents donnant des raisons de douter de la véracité des déclarations du requérant, « il ne saurait être attendu (de ce dernier) qu’il prouve plus avant ses dires et l’authenticité des éléments de preuve fournis par lui » (§ 52).

Cette approche signifie alors deux choses. La première est que, fidèle à sa jurisprudence, la Cour ne se substitue pas aux juridictions nationales en charge de l’examen des demandes d’asile afin d’apprécier les informations données par les requérants. Elle contrôle le cadre dans lequel s’effectue l’examen. En d’autres termes, elle cherche à savoir si l’Etat a mis tous les moyens en œuvre pour dissiper ou prouver les doutes entourant les déclarations du requérant.

La seconde remarque est que la Cour n’entend pas définitivement trancher quant à la situation du requérant. Les conclusions qu’elle tire à son égard sont temporaires. En effet pour la Cour, il y a violation de l’article 3 CEDH en cas de retour, « faute pour le Gouvernement de parvenir à mettre sérieusement en doute la réalité des craintes du requérant » et non pas parce que le requérant a présenté « un dossier qui, par hypothèse, serait impeccable du point de vue des exigences de la Convention ».

C’est ce que tend à préciser l’opinion concordante du Juge Lemmens.

Evoquant la violation « potentielle » de l’article 3 CEDH, il précise que cette dernière repose sur le fait « que les autorités nationales n’ont pas motivé de manière suffisamment explicite, donc concrète, leur conclusion selon laquelle le récit du requérant n’était pas crédible ». Cela signifie en premier lieu que l’exécution de l’arrêt de la Cour implique pour les autorités nationales en charge des demandes d’asile, de procéder à un nouvel examen de la situation du requérant en motivant précisément cette fois, leur décision. En second lieu le constat de la violation (« potentielle ») de l’article 3 CEDH pour le requérant n’a pas pour effet de lui accorder une protection particulière, ni d’empêcher définitivement son renvoi vers le pays de destination faisant originellement grief.

En effet comme l’explique le Juge Lemmens, à l’issue du réexamen, la solution pourrait être identique à la première solution retenue par les autorités nationales. Le requérant pourrait donc à nouveau se voir refuser une protection internationale, et être renvoyé vers le pays de destination choisi. La différence résulte cette fois de la teneur de l’analyse menée par les autorités en question. Si la motivation de la décision (quelle soit négative ou positive) est conforme aux exigences qui découlent de l’article 3 CEDH, alors il n’y a pas lieu de reconsidérer l’affaire. Dans le cas inverse, et « si le requérant estime que la nouvelle décision viole ses droits fondamentaux, il pourra introduire un recours devant les instances nationales compétentes, puis le cas échéant une nouvelle requête devant la Cour ».

De là à être certain de l’exécution de ces exigences par les autorités nationales, notamment dans des Etats réputés souffrir d’un système d’asile défaillant… la question reste en suspens.

Procédure prioritaire et droit à un recours effectif

Dans un second temps, il s’agissait pour la CEDH de déterminer si le requérant avait été privé de son droit à un recours effectif pour faire valoir son grief sous l’article 3 CEDH en raison du placement de sa demande d’asile en procédure prioritaire. En effet, selon M.K.K, les brefs délais de recours relatifs à la procédure prioritaire ne lui auraient pas permis « de faire valoir de façon complète et circonstanciée » le risque de mauvais traitement auquel il était exposé en cas de refus de la protection internationale et de renvoi vers son pays d’origine.

La réponse de la Cour s’inscrit dans la lignée des jurisprudences M.S.S c. Belgique et I.M c. France.

La Cour rappelle d’abord que la procédure prioritaire ne constitue pas en soi un motif de violation d’un droit à un recours effectif. Si cette procédure réduit les délais, la Cour ne doute pas pour autant de « la nécessité pour les Etats confrontés à un grand nombre de demandeurs d’asile de disposer de moyens nécessaires pour faire face à un tel contentieux ». Et d’ailleurs, comment le pourrait-elle puisque cette faculté d’accélérer l’examen de la demande d’asile est expressément prévue par la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, lorsque notamment la demande paraît infondée ou abusive, lorsque le ressortissant a déjà déposé une demande ou lorsqu’il a tardé à déposer sa demande.

La Cour s’attache donc à déterminer si les recours « théoriquement disponibles » dans le système de droit interne, ont pu, en pratique être exercés par le requérant.

Bien que M.K.K soit « un primo-demandeur » en France, la Cour souligne qu’il a volontairement omis de signaler aux autorités françaises qu’il avait déjà demandé l’asile en Grande-Bretagne et en Grèce et a particulièrement tardé à former sa demande en France (deux ans après sa première venue et dix mois après avoir fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière). De ce point de vue le traitement de sa demande dans le cadre d’une procédure prioritaire ne fait aucun doute, contrairement à l’affaire I.M où le requérant n’avait jamais déposé une demande d’asile puisque placé en garde à vue et détenu il n’avait pu se déplacer jusqu’à la préfecture.

La Cour vérifie alors si ce dernier a pu effectivement présenter toutes ses observations et contester les décisions qui lui ont été opposées du fait des délais de recours réduits. La Cour y répond par l’affirmative, M.K.K ayant disposé de plusieurs années pour préparer un dossier complet et n’ignorant pas les exigences documentaires de celui-ci. De plus, n’étant pas en rétention il a eu la possibilité de déposer son dossier et de se déplacer vers les autorités concernées pour faire valoir ses demandes.

Quoique l’on pense de la solution de cet arrêt, il indique néanmoins que le juge de la CEDH tente de responsabiliser les Etats vis-à-vis de leurs obligations conventionnelles, autant qu’il s’adonne à une protection optimale des droits du demandeur d’asile. Ce qui est certain c’est que la recherche du juste équilibre entre « la légitimité du retour » et « la mise en place des régimes d’asile justes et efficaces », évoquée par le considérant n°8 de la directive 2008/115, demeure une histoire sans fin.