Le rapport du Parlement européen sur la réforme du système Dublin : une proposition audacieuse mais pragmatique ?

Un nouveau chapitre est en train de s’écrire dans l’histoire mouvementée du partage des responsabilités en matière d’asile entre les Etats membres. Le système Dublin, déclaré mort (précipitamment) au sommet de la crise de 2015, a été (tardivement) jugé inadéquat par une large palette d’acteurs, y compris par la Commission et le Parlement. Une réforme fondamentale a par conséquent été mise à l’agenda en urgence.

Pourtant, la proposition de la Commission de mai 2016 (examinée précédemment sur ce blog) n’a proposé aucune réforme fondamentale du système. Au contraire, la proposition a conservé tous les éléments structurels qui vouaient le système à l’échec : son mépris pour les besoins, les souhaits et la situation personnelle des demandeurs d’asile ; ses effets de « loterie de l’asile » ; son injustice à l’encontre d’un petit nombre d’Etats membres – les Etats frontières et de « première demande » ; sa confiance naïve en la volonté des Etats membre à coopérer pour le partage des responsabilités ; et ses lourdeurs administratives relatives au partage des responsabilités. En somme, la proposition « Dublin IV » a aggravé les défauts du système en accentuant son caractère coercitif et ses effets de répartition asymétriques, tout en y attachant un irréalisable « mécanisme correcteur » (voir une étude commandée par le Parlement européen ainsi qu’une autre). Lire la suite

La solidarité n’est pas une valeur : la validation de la relocalisation temporaire des demandeurs d’asile par la Cour de justice (CJUE, 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie c. Conseil, C-643/15 et C-647/15)

La rentrée judiciaire de l’automne 2017 était attendue impatiemment et le prononcé de l’arrêt Slovaquie et Hongrie contre Conseil, le 6 septembre, s’inscrivait en première ligne de cette attente. Le contexte en est connu, celui du refus des pays du groupe de Visegrad de se plier au programme de relocalisation des réfugiés initié au plus fort de la crise migratoire par l’Union. Deux d’entre eux l’avaient porté devant la Cour de justice.

La lecture des remarquables conclusions de l’avocat général Bot laissait entrevoir la possibilité d’un « grand arrêt ». Les enjeux en cause comme la nature des principes invoqués invitaient la Cour à une hauteur de vue à la mesure inverse des arguments développés par les requérants. L’occasion lui était offerte à peu de frais, par un arrêt clair et courageux, de se joindre au concert critique affectant certains nouveaux Etats membres quant à leur comportement lors de la crise de 2015. Peut-être même de réparer l’impression mitigée laissée par sa jurisprudence relative aux visas dits humanitaires et à l’accord UE-Turquie concernant cette période. Elle n’en a pas ressenti la nécessité, dans une Union doutant pourtant de son projet et de ses valeurs, préférant ainsi le biais à l’affirmation et l’omission à la condamnation. Lire la suite

Une fois n’est pas coutume : parler vrai des propositions du Front national

L’indifférence avec laquelle un monde académique mithridatisé tolère aujourd’hui les contrevérités assénées dans une campagne électorale qui s’égare est désolante pour qui se fait une autre idée de la fonction de ceux qui se prétendent « intellectuels ». A peine sorti de l’ornière dans laquelle les « affaires » avaient ensablé le premier tour, le débat public semble désormais vrillé par la recherche obsessionnelle d’un bouc émissaire dont l’Union européenne ferait les frais. Il marque une prédilection pour les questions migratoires et sécuritaires plus rentables électoralement que les volte-face sur la monnaie unique.

On en comprend le bénéfice : contourner la réalité en la redessinant au gré de ses pulsions, le plus souvent peu avouables même si le naturel reprend souvent le dessus. De façon artificielle, l’enjeu électoral de cette fin de semaine opposerait ainsi « nationalistes » et « patriotes » au sein d’un univers fantasmé, dépourvu de toute rationalité, où le « peuple » affronterait les « élites », ceci dans la démagogie la plus complète et l’attente d’un retour à la lampe à huile et au métier à filer de nos aïeules.

La tenue d’un Blog dédié depuis plusieurs années à la construction d’un Espace de liberté, sécurité et justice et consacré bien trop souvent à en dénoncer les limites autorise les signataires de ces lignes à proposer à ses lecteurs des éléments objectifs de réflexion. Faute d’une réaction d’ampleur de la nature de celle d’avril 2002, appeler à l’intelligence des choses est sans doute le meilleur des réflexes quand la banalisation de l’intolérance et du mensonge tout autour de nous, dans nos cercles professionnels et privés, inquiète. Lire la suite

Illustration d’un dialogue de sourds : la Cour administrative d’appel de Douai renvoie au Conseil d’Etat des questions relatives à l’application du règlement “Dublin III”

Le 27 mars 2017, au cours du forum des magistrats ayant pris place dans l’enceinte du Palais de la Justice à Luxembourg, le vice-président du Conseil d’Etat faisait le constat que la mise en « réseau » des juridictions était devenue un élément « indispensable d’une justice de qualité ». Jean-Marc Sauvé rappelait qu’en conséquence « les juges doivent élargir leur raisonnement au-delà des cadres étatiques », d’une part, en s’appuyant sur une comparaison attentive des jurisprudences nationales, et, d’autre part, en se référant « de manière constante et approfondie non seulement à ce que la Cour de justice – ou la Cour européenne des droits de l’homme – a jugé, mais aussi aux questions qui sont posées à ces cours ».

Cette harangue en faveur d’une « coopération verticale » (id.) jette une lumière crue sur l’arrêt rendu quelques jours auparavant par la Cour administrative d’appel de Douai. En effet, si la décision du 14 mars 2017 n° 16DA01958 relève bien du registre du « dialogue des juges », le choix effectué par la juridiction administrative a de quoi surprendre. Alors que l’affaire qui lui était soumise paraissait soulever pour l’essentiel des questions relevant de l’interprétation du droit de l’Union européenne, c’est vers la procédure d’avis sur des questions de droit nouvelles (art. L. 113-1 Code de justice administrative) et le Conseil d’Etat que le juge douaisien s’est tourné. Lire la suite

Petit à petit la vulnérabilité fait son nid … Quelques réflexions à propos de l’arrêt C.K. du 16 février 2017

Le Professeur Labayle à la fin de son analyse de l’arrêt C.K. et autres, (C-578-16 PPU) se demandait s’il était « vraiment déraisonnable de penser que la requérante syrienne et son mari, dont l’enfant était né entre temps en Slovénie et qui était vraisemblablement éligible, pouvaient recevoir protection dans cet État en raison de leur vulnérabilité ». Une telle question n’a rien de déraisonnable. Bien au contraire. La prise en compte effective de la vulnérabilité particulière de la requérante mettait en effet à la charge des autorités et des juridictions slovènes une obligation de protection renforcée.

Avant toute chose, un rappel des faits s’impose. Mme C.K. et son mari H.F. sont entrés dans l’UE grâce à un visa délivré par les autorités croates. Après être entrés en Slovénie pour y déposer une demande de protection internationale, les époux, dont Mme C.K. enceinte, ont été placés sous le coup d’une procédure Dublin. Classiquement alors, en application du règlement Dublin, une requête de reprise en charge a été adressée à la Croatie, qui cette dernière l’a acceptée. Or, en l’espèce, en raison de son état de santé mentale fragilisé (dépression post-partum et tendances suicidaires périodiques), Mme C.K. alléguait un risque de détérioration grave de son état en cas de transfert. Se posait ainsi la question de la conformité d’un tel transfert au regard du droit de l’UE et du respect des droits fondamentaux de la requérante. Plus précisément, dans des circonstances telles que celles au principal, ce transfert conduit-il à exposer la requérante à un risque de traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 4 de la Charte ? Lire la suite

Escale à Canossa ? La protection des droits fondamentaux lors d’un transfert « Dublin » vue par la Cour de justice (C.K. c. Slovénie, C-578/16 PPU)

Le trajet conduisant de Luxembourg à Strasbourg est parfois moins direct qu’il n’y paraît, impliquant des retours en arrière imprévus mais salutaires. La Cour de justice en aurait-elle fait l’expérience, moins douloureusement certes qu’Henri IV devant Grégoire VII ?

L’arrêt rendu par sa cinquième chambre dans l’affaire C.K. c. Slovénie (C-578/16 PPU) le 16 février 2017 interroge de ce point de vue.

Questionnée par le juge suprême slovène quant à l’étendue du contrôle des conditions de déroulement d’un transfert Dublin vers un autre Etat membre, la Croatie, la Cour de justice était attendue avec curiosité. Elle était en effet assez clairement invitée par le juge national à se prononcer sur les implications de sa jurisprudence refusant, comme chacun le sait, que l’on s’intéresse de trop près aux conditions dans lesquelles les droits fondamentaux sont appliqués dans certains Etats de l’Union, ceci au nom de la confiance mutuelle. Sauf qu’en l’espèce, c’était moins l’Etat de destination qui posait question, la Croatie justifiant la confiance, que le procédé utilisé pour y revenir, la décision de transfert elle-même.

A l’instant où cette confiance mutuelle est mise à mal par les comportements étatiques et où ce principe fondamental ne semble guère trouver grâce dans le futur règlement Dublin IV, l’appui de la Cour lui est ici mesuré. La réponse de cette dernière se situe au cœur d’un double courant d’interrogations. Lire la suite

Le visa humanitaire et la jouissance effective de l’essentiel des droits : une voie moyenne ? À propos de l’affaire X. et X (PPU C-638/16)

Ce texte n’est pas une analyse détaillée des conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire X. et X [1] . Il s’agit d’une contribution au débat centrée sur deux réflexions qui pourraient guider le raisonnement de la Cour. La première est un parallélisme entre les situations purement internes à un État et des situations purement externes à l’Union qui, toutes deux, pourraient entrer dans le champ du droit de l’Union lorsque « la jouissance effective de l’essentiel des droits » des personnes concernées est en cause. Cela se déduit d’une obligation, de fait, de quitter le territoire de l’Union pour les citoyens et résulterait, à l’inverse, d’une nécessité, de fait, d’entrer sur le territoire de l’Union pour les ressortissants d’États tiers. La deuxième réflexion souligne que l’obligation des États n’est pas nécessairement de délivrer un visa, mais de motiver les décisions de refus au regard du risque réel de traitement inhumain et dégradant. Sur ces bases, une voie moyenne entre des positions très opposées est possible.
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Terrorisme et droit des réfugiés, des liaisons dangereuses ? Libres propos sur le « Muslim Ban » et la jurisprudence Lounani de la Cour de justice

Les polémiques entourant l’application de l’Executive Order signé le 25 janvier 2017 par Donald Trump, président des Etats Unis nouvellement élu, interdisant temporairement l’entrée aux Etats-Unis aux ressortissants de sept pays et suspendant le jeu de la protection internationale, ont quitté les colonnes médiatiques pour pénétrer les prétoires. Motivé par le désir de lutter préventivement contre le terrorisme, selon ses auteurs, et par une volonté discriminatoire envers les musulmans, selon ses détracteurs, le texte pose de graves problèmes juridiques.

L’attention qu’on lui porte ne doit pas masquer qu’au même moment, le 31 janvier 2017, la Cour de justice de l’Union prononçait un arrêt important sur les liens qui peuvent être établis entre la nécessité de lutter contre le terrorisme et le dispositif protecteur des réfugiés politiques (CJUE, 31 janvier 2017, Lounani, C-573/16). Lire la suite

Dublin is dead ! Long live Dublin ! The 4 May 2016 proposal of the European Commission

The Dublin system has been declared dead on numerous occasions over the past decade. It has proven to be highly dysfunctional from the beginning, as the allocation of responsibility did not have the intended effects (i.e. the prevention of “refugees in orbit” and of “asylum shopping”).

Nevertheless, Dublin procedures and Dublin transfers are still taking place and the system is still operating. It will continue as the Commission proposal released on 4 May 2016 is a change in the continuity rather than the reform necessary for a more workable and efficient system.

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