Le brevet de l’UE reporté sine die ou la montée en puissance du Parlement européen…

Par Céline Castets-Renard, IRDEIC

Si nous avions relevé le caractère historique de l’accord du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 (voir notre billet du 15 juillet) pour la création d’un brevet de l’Union européenne, parachevant 30 ans de négociations, l’épilogue n’est peut-être pas encore écrit.

Alors qu’un accord de principe avait été trouvé avec le Parlement européen et que le vote de ce dernier était suspendu à la seule question de la localisation de la juridiction UE du brevet, enfin tranchée par le Conseil européen du mois de juin, les euro-députés ont refusé de voter le texte début juillet. Ils choisirent de reporter leur décision en septembre prochain… Cette position surprenante trouve son explication dans la décision unilatérale des chefs d’Etats et de gouvernement de supprimer les articles 6 à 8 de la proposition de règlement mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire (COM (2011) 215). Les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 suggèrent en effet clairement une telle suppression : ” nous suggérons que les articles 6 à 8 du règlement mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire devant être adopté par le Conseil et le Parlement européen soient supprimés” (EUCO 76/12 p. 2).

Les articles 6 et 7  en question définissent le contenu du droit exclusif du titulaire de brevet, en spécifiant les droits d’empêcher l’exploitation directe (art. 6) et indirecte (art. 7) de l’invention. L’article 8 fixe, au contraire, les limites de ce droit exclusif, en restreignant son champ d’application. C’est peu de dire que les euro-députés n’ont pas apprécié la manœuvre.

Sur la méthode, ils dénoncent une rupture de la procédure, alors que le Parlement avait déjà donné son accord. Si la suppression des articles se confirmait, ils menacent d’un recours devant la Cour européenne de justice.

Sur le fond, ils estiment que la suppression de ces articles entraînerait une perte de compétence importante pour la Cour de justice de l’Union européenne, en cas de litige en matière de brevet. En effet, l’unification de l’interprétation sera très limitée. Mais plus encore, le brevet de l’UE perdrait substantiellement de son intérêt si l’on remet en cause l’accord sur les effets de ce nouveau titre européen ! Les articles en danger touchent à la valeur unitaire du brevet, c’est-à-dire la capacité du brevet à assurer une protection identique dans les 25 pays membres de la coopération renforcée. Il semble donc que l’on veuille revenir sur des solutions précédemment admises, pourtant gages d’une plus grande justice dans l’espace judiciaire européen, en vue, semble-t-il, de satisfaire la Grande-Bretagne. Après l’Europe à deux vitesses, du fait de la procédure de coopération renforcée dont se sont exclues l’Espagne et l’Italie, voici l’Europe à l’ambition très affaiblie…

Le Parlement européen apparaît alors comme un ultime rempart contre la tentation du moins disant dans l’ELSJ et devient le principal gardien de l’expression démocratique. Le récent refus de voter l’ACTA ((Accord Commercial Anti-Contrefaçon ou Anti-Counterfeiting Trade Agreement) en témoigne aussi. Les députés européens se montrent décidés à ne pas céder face aux gouvernements qui ont affaibli le texte, sans pour autant vouloir ouvrir de nouvelles négociations, interminables. Le débat reporté après l’été promet une rentrée studieuse, si ce n’est houleuse…