Le droit d’asile devant la persécution religieuse : la Cour de justice ne se dérobe pas

par Henri Labayle, CDRE

Par un grand arrêt, incontestablement, la Cour de justice vient de répondre, le 6 septembre, à l’épineuse question de la protection de la liberté de religion des demandeurs d’asile dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z. (C-71/11) et C-99/11). En estimant que la persécution religieuse peut justifier l’octroi de l’asile et faire ainsi obstacle à l’éloignement d’un étranger désireux de pratiquer ouvertement sa religion, la Cour de justice assume pleinement son rôle de juge des droits d’Homme. Si besoin en était encore, le juge de l’Union apporte la preuve de sa détermination à occuper ce terrain, en un domaine où la montée de l’intolérance religieuse pose, effectivement, un problème actuel au droit de l’asile.

Fermement appuyée sur la Charte des droits fondamentaux, implicitement et subtilement en conformité avec la jurisprudence pertinente de la CEDH, la Cour délivre ici une solution empreinte de réalisme qui donne son effet utile au droit de l’Union garantissant le droit d’asile. Lire la suite

Vers une spécialisation de la notion de “résidence habituelle” : les précisions du nouveau règlement “Successions”

par M. Da Lozzo, IRDEIC

A partir du 17 août 2015 sera applicable le Règlement n° 650/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (Règlement « Successions »). Parmi les nouveautés, il faut noter la suppression dans la plupart des cas de la scission française en matière de successions transfrontalières. De plus, les critères de rattachement retenus sont limités à deux aussi bien pour la compétence internationale que pour la loi applicable.

La résidence habituelle du de cujus au moment de son décès est l’élément de rattachement de principe du Règlement Successions (art. 4 et 21.1). La nationalité du défunt, critère subsidiaire, ouvre la voie à la professio juris (art. 22). Lire la suite

Bridge over troubled waters : le bilan JAI de la présidence danoise de l’Union (suite et fin)

par Henri Labayle, CDRE

Un conflit majeur s’est cristallisé sous la présidence danoise, transformé progressivement en conflit de principe, celui de la gouvernance de Schengen. En préalable, il est bon de rappeler une évidence : le traité de Lisbonne n’a pas fait disparaître la volonté des Etats membres de conserver leur inspiration première, qui avait guidé les débuts de la coopération européenne en matière JAI, celle de Schengen.

Schengen, archétype de la méthode intergouvernementale, n’était donc pas soluble dans l’Union au seul prix d’un protocole permettant l’intégration de son acquis. C’était mal connaître les ressorts de la construction européenne que de l’imaginer, de ne pas comprendre que seule l’occasion manquait pour rappeler les limites de l’importation de Schengen dans le monde communautaire. Lire la suite

L’ACTA bouté hors d’Europe…tout à fait ?

par Céline Castets-Renard et Gregory Voss, IRDEIC

Si la propriété intellectuelle fait l’objet d’une harmonisation à l’échelle internationale, au sein de l’OMPI (organisation mondiale de la propriété intellectuelle, organe de l’ONU) et de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) pour les aspects de propriété intellectuelle relatifs au commerce depuis la conclusion de l’accord ADPIC en 1994, c’est en dehors de tout cadre institutionnel classique que le très médiatique accord « ACTA » (Accord Commercial Anti-Contrefaçon ou Anti-Counterfeiting Trade Agreement) a été négocié.

Ce traité international multilatéral sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle a été discuté par une quarantaine de pays, de 2006 à 2010. L’accord définitif fut signé le 1er octobre 2011 par huit pays : les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande et le Singapour. D’autres puissances économiques n’ont cependant pas été invitées aux négociations : le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie, dont on peut aisément supposer l’opposition pour diverses raisons (développement économique, santé publique …). Lire la suite

Bridge over troubled waters : le bilan JAI de la présidence danoise de l’Union (1)

par Henri Labayle, CDRE

L’expression du ministre danois des affaires étrangères fait mouche : dans les eaux troubles de l’Union, la gestion danoise de l’Espace de liberté, sécurité et justice a été plus productive qu’espéré, tant du point de vue des dossiers législatifs en cause qu’en raison d’une ambiance générale lourde de la crise de confiance que traverse l’Union.

Les raisons de douter d’une avancée quelconque en matière JAI étaient pourtant fondées au 1er janvier 2012, lorsque le Danemark prit la présidence de l’Union. Petit Etat membre peu suspect de bousculer les féodalités des grands Etats de l’Union, peuple peu enclin à des rêveries fédérales depuis le référendum de Maastricht, autorités nationales en situation complexe autant que délicate vis à vis de l’ELSJ en raison d’une position d’opt-out, tout inclinait à croire la présidence entamée le 1er janvier incapable d’impulser des progrès en la matière. Lire la suite

Le brevet de l’UE reporté sine die ou la montée en puissance du Parlement européen…

Par Céline Castets-Renard, IRDEIC

Si nous avions relevé le caractère historique de l’accord du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 (voir notre billet du 15 juillet) pour la création d’un brevet de l’Union européenne, parachevant 30 ans de négociations, l’épilogue n’est peut-être pas encore écrit.

Alors qu’un accord de principe avait été trouvé avec le Parlement européen et que le vote de ce dernier était suspendu à la seule question de la localisation de la juridiction UE du brevet, enfin tranchée par le Conseil européen du mois de juin, les euro-députés ont refusé de voter le texte début juillet. Ils choisirent de reporter leur décision en septembre prochain… Lire la suite

Le rattachement de la lutte contre le terrorisme à la PESC ou comment la Cour de justice déroule son fil d’Ariane…

par Géraldine Bachoué Pedrouzo, CDRE

Si la Cour de justice incite depuis plusieurs années, par sa jurisprudence, à inscrire la lutte contre le terrorisme dans le respect des droits fondamentaux, le paradoxe de l’arrêt rendu en Grande Chambre le 19 juillet 2012 sous l’affaire Parlement c/ Conseil (C-130/10) conduit à écarter le législateur européen de cette lutte. Cet amoindrissement du contrôle démocratique doit être regretté, même s’il résulte d’une lecture littérale du traité de Lisbonne et si des principes intéressants pour la mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune y sont formulés.

En dépit de sa relative brièveté (113 considérants), l’arrêt de la juridiction du plateau du Kirchberg se livre à un véritable cours de droit constitutionnel, touchant aux actes, aux institutions, au respect des droits fondamentaux et aux garanties juridiques. Surtout, les principes que la CJUE pose confèrent à l’arrêt la même envergure que celle attachée à l’arrêt Kadi (C-402/05 P), auquel elle ne cesse par ailleurs de se référer. Lire la suite

Perseverare diabolicum : lecture approximative de la jurisprudence européenne sur la garde à vue à la Cour de cassation

par Henri Labayle, CDRE

Lire la jurisprudence de la Cour de justice avec les lunettes du droit français ne protège pas de la myopie juridique, l’affaire Melki l’avait déjà démontré en son temps (H. Labayle, Ordonner le dialogue des juges, RFDA 2010 p. 659). Deux arrêts de la chambre civile de la Cour de Cassation confirment ce sentiment, le 5 juillet 2012. Faisant suite à un avis de la Chambre criminelle un mois plutôt, le juge judiciaire constate l’impossibilité de concilier la garde à vue d’un étranger en séjour irrégulier avec les exigences de la directive 2008/115 dite directive « retour », « telle qu’interprétée par la Cour de justice ».

Ouvrant le parapluie de l’autorité de la jurisprudence du Kirchberg, elle accrédite ainsi l’idée, abondamment développée dans de nombreux commentaires, que le droit de l’Union européenne rendrait impossible, par son laxisme, le contrôle et l’éloignement des étrangers en situation irrégulière…

Or, la vérité du droit positif n’est pas tout à fait celle que l’on dit solennellement, quai de l’Horloge. Lire la suite

Bilan de la présidence danoise : l’accord historique du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 pour la création d’une juridiction EU en matière de brevet

par Céline Castets-Renard, IRDEIC

Le compromis trouvé le 29 juin 2012 par le Conseil européen dans ses conclusions est une étape décisive et historique en faveur de la création d’un brevet unitaire et d’une juridiction unifiée des brevets en Europe. Les chefs d’État ou de gouvernement des États membres participants ont convenus d’établir à Paris le siège de la division centrale du tribunal de première instance de la juridiction unifiée en matière de brevets (JUB).

L’accord doit encore être ratifié par les parlements nationaux et entrera en vigueur vraisemblablement début 2014, après ratification par les trois Etats dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens ont été délivrés (soit l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni). Lire la suite

La Commission européenne adopte sa 6ème décision de transaction en matière d’ententes : vers une banalisation de la justice expéditive dans l’espace européen ?

par Mehdi Mezaguer, IRDEIC

Le 27 juin 2012, la Commission européenne a adopté sa sixième décision de transaction dans une affaire d’entente concernant des fabricants de produits de gestion de l’eau (Communiqué de presse IP/12/704). Cette sixième affaire (COMP/39611) en quatre ans démontre un succès grandissant pour une procédure tant vantée par la direction générale de la concurrence (Antitrust : la Commission instaure une procédure de transaction dans le domaine des ententes, 30.6.2008, IP/08/1056) pour ses vertus propres mais également en ce qu’elle représente un complément du programme de clémence.

A cet égard, il faut noter que cette affaire est la première à voir s’appliquer les deux procédures sans pour autant donner lieu à un cumul des réductions comme le prévoit la communication relative à la procédure de transaction (communication relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente, JO C-167/1  du 2.7.2008, Consdt.33).

Quoi qu’il en soit, le développement de ces procédures repose en termes nouveaux la question de la qualité de la justice dans l’espace européen et sa confrontation au champ économique. Lire la suite