L’affaire Altun : fraude et absence de coopération loyale, les conditions d’une non prise en compte des certificats E 101 des travailleurs détachés

Dans l’arrêt Altun (C-359/16) rendu par la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne le 6 février dernier, les juges de Luxembourg ont eu une nouvelle fois l’occasion de se prononcer sur l’épineuse question de la compétence des institutions d’un État membre accueillant des travailleurs détachés de soumettre ces travailleurs à leur législation de sécurité sociale lorsqu’elles estiment qu’il serait légitime et légal de le faire. Ils l’ont fait avec un certain retentissement. Lire la suite

La Catalogne et l’Union européenne : une question de légalité

Les querelles relatives à l’indépendance de la Catalogne ne sont pas indifférentes à l‘espace de liberté, de sécurité et de justice constitué par l’Union européenne. De l’appartenance de la Catalogne au Royaume d’Espagne dépend en effet son appartenance à cette Union européenne et donc son maintien dans cet espace ouvert à la libre circulation et à l’entraide répressive.

Quoi que prétendent les uns ou fantasment les autres, la question n’est pas une question d’opportunité mais, beaucoup plus simplement, de légalité. Légalité du processus entamé par les tenants de l’indépendance, surtout, mais aussi légalité des modalités selon lesquelles l’Union pourrait faire place à une Catalogne indépendante.

Faute de trouver dans le débat médiatique européen le rappel de quelques principes juridiques de bon sens, il n’est pas inutile de faire le point sur une crise inédite. Lire la suite

La transposition de la décision d’enquête européenne par l’ordonnance du 1er décembre 2016 : une surprise attendue …

Un oxymore … Cette alliance de deux termes que leur sens devrait en principe opposer pour traduire ce qui est stupéfiant, inconcevable parfois absurde, semble bien décrire la situation créée par l’ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale. L’ordonnance, prise selon la procédure de l’article 38 de la Constitution française, vient transposer dans le Code de procédure pénale français, aux articles 694-15 et suivants, la directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 relative à la Décision d’enquête européenne. Or, ce texte national représente autant une attente remplie d’espérances qu’une surprise décevante pour le droit pénal de l’Union européenne. Lire la suite

Le démantèlement du camp de Calais : trop tard ? trop peu ?

Mieux vaut tard que jamais. Prenant, enfin, à bras le corps un dossier leur ayant valu autant de critiques politiques que de désagréments judiciaires, les autorités françaises se sont résolues à affronter la réalité en face en procédant à l’évacuation puis au démantèlement de ce que le langage médiatique a pris l’habitude détestable d’appeler la « jungle » de Calais.

La réussite, fragile mais bien réelle, de cette opération de police ne masque pourtant ni les arrières-pensées ni les carences de la politique française d’asile, avant que la question de son efficacité ne se pose ouvertement lorsqu’un minimum de recul permettra de l’évaluer. Bienvenue, cette prise d’initiative oblige cependant à s’interroger sur sa tardiveté comme sur son ambition. Lire la suite

Un commissaire britannique à la sécurité de l’Union européenne : le bon endroit, au bon moment, pour la bonne personne ?

La semaine dernière, la procédure de nomination de Sir Julian King en tant que nouveau commissaire en charge de la « sécurité de l’Union » a franchi l’obstacle de l’audition au Parlement européen. Par une large majorité de 394 membres pour contre 161 voix, le Parlement, qui est consulté en cas de démission d’un commissaire en vertu de l’article 246 TFUE, a donné son aval. Le 19 septembre 2016, le Conseil, en accord avec le président de la Commission, a donc nommé Sir Julian King, en remplacement de Jonathan Hill qui avait démissionné le 25 juin, ce pour la durée du mandat de la Commission restant à courir, c’est-à-dire jusqu’au 31 octobre 2019.

Auparavant, le 12 septembre, les trois heures d’audition du futur commissaire devant la Commission Libe ont été l’occasion de réfléchir à la nature et à la signification de ce choix pour le bon fonctionnement de l’Espace de liberté, sécurité et justice de l’Union européenne. Lire la suite

Brexit : questions de frontières entre l’Union et le Royaume Uni

Les commentaires du feuilleton politico médiatique accompagnant le feuilleton du Brexit ne sont pas à la hauteur de ses enjeux. Les mêmes qui stigmatisent les mensonges et approximations de la campagne référendaire britannique, trouvent logique de sacraliser le procédé référendaire qui l’a conclue, comme si cette technique était un modèle à révérer dans une démocratie accomplie. Elle appelle pourtant presque par nature de prendre de telles libertés avec la vérité.

Oublieux qu’ils sont des conditions dans lesquelles les « non » de 2005 s’étaient agrégés, ils persistent à penser que l’on peut répondre de façon binaire à des questions complexes et nourrissent l’illusion démocratique. L’inconséquence de Boris Johnson a-t-elle quoi que ce soit à envier aujourd’hui au « plan B » de Laurent Fabius et mêler les voix de Jean Luc Mélenchon et du Front national avait-il un sens à l’époque ?

C’est dire si les nouveaux chantres de la (dé)construction européenne ignorent l’essentiel. Parmi les questions brûlantes passées par pertes et profits dans le débat et que découvrent les citoyens britanniques, celle de la redéfinition des frontières extérieures du Royaume Uni n’est pas la moindre. Qu’il s’agisse du maintien de situations antérieures, à Gibraltar comme aux abords du tunnel sous la Manche, ou de l’appréhension nouvelle des relations avec la République d’Irlande, les défis sont sérieux. Ils ne sont pas de même nature. Lire la suite

Brexit v. droit d’être en retrait : quel équilibre pour une Europe à géométrie variable ?

Le Conseil européen des 18 et 19 février 2016 s’est finalement achevé par un accord offrant des concessions supplémentaires au Royaume-Uni, qui organisera le 23 juin prochain un referendum déterminant leur maintien dans l’Union européenne. Un commentaire complet de cet arrangement ayant déjà été effectué par le Professeur Henri Labayle, il est possible de se concentrer ici sur quelques morceaux choisis de ces conclusions, annonciatrices d’un nouveau – mais probablement peu souhaitable – paradigme dans une Union européenne dont l’équilibre a été modifié sous la pression britannique. Lire la suite

Brexit : un arrangement, vraiment ? un départ, enfin ?

Le Conseil européen des 18 et 19 février s’est achevé à 23 heures 59, par la publication des conclusions auxquelles les dirigeants de l’Union étaient parvenus, accompagnées des commentaires du Président du Conseil européen.

Cousue de fil blanc, la négociation présentée comme celle de la « dernière chance », pour la 18eme fois selon un comptage journalistique, ne pouvait qu’aboutir à un accord. Sous peine de signifier l’échec du Premier ministre britannique et donc son obligation de sonner le retrait de son pays de l’Union européenne avant un référendum fixé au 23 juin. Lire la suite

Surveillance de masse : un coup d’arrêt aux dérives de la lutte antiterroriste (CEDH, Szabo et Vissy c. Hongrie, 12 janvier 2016

Sylvie Peyrou, CDRE

A l’heure où la lutte contre le terrorisme suscite nombre de réactions sécuritaires parmi les démocraties occidentales, et en particulier européennes (est-il besoin de citer l’exemple français, de la controversée loi sur le renseignement à l’état d’urgence ?), la Cour européenne des droits de l’homme semble garder le cap d’une stricte protection des droits fondamentaux.

L’arrêt de la Cour du 12 janvier 2016, Szabo et Vissy c. Hongrie (Req. n° 37138/14), en est une illustration récente et topique. Cet arrêt attire d’autant plus l’attention que les juges de Strasbourg ont estimé il y a peu dans l’arrêt Sher et autres c. Royaume-Uni (Req. n° 5201/11) que le crime terroriste entrait dans « une catégorie spéciale », justifiant une atténuation des droits au nom de la lutte contre le terrorisme (voir Henri Labayle ici-même). Si l’arrière-fond des affaires est semblable (à savoir des législations restreignant les libertés au profit de la lutte contre le terrorisme), le contexte de chacune d’elles est cependant sensiblement différent, ce qui peut expliquer le souci de la Cour d’adresser un message lui aussi sensiblement différent. Lire la suite

Le terrorisme, une “catégorie spéciale” du droit, vraiment ?

par Henri Labayle, CDRE

A en croire la traduction juridique des discours ambiants, une page semble se tourner. Celle où les démocraties prétendaient encore répondre au terrorisme par l’usage du droit commun et l’intervention du juge ordinaire.

Législation d’exception et régime d’urgence sont désormais présentés comme une réponse normale à la violence aveugle qui cible la société. Il n’y a là rien de nouveau. Du Royaume Uni aux Etats Unis d’après le 11 septembre, les grandes démocraties ont souvent cédé à cette propension, sans pour autant que le balancier reprenne exactement depuis la place qu’il avait quittée.

La surprise vient donc d’ailleurs. Du juge suprême vers lequel le juriste se tourne d’ordinaire pour garantir l’essentiel. Sans (encore …) de procès d’intention à l’encontre du juge constitutionnel interne, la lecture d’un arrêt de chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme, le 20 octobre dernier, dans l’affaire Sher et autres c. Royaume Uni, interpelle. La chambre y énonce benoîtement que « terrorist crime falls into a special category » (§149). Son affirmation invite à la réflexion, sur le jeu des mots comme celui des acteurs en cause. Lire la suite