Etat de droit et mandat d’arrêt européen : quel rôle pour la Cour de Justice ?

L’arrêt L.M. ou Celmer (affaire C-216/18 PPU) a été rendu le 25 juillet dernier dans un contexte politique européen des plus perturbés. Les faits, à l’origine de ce « grand arrêt » déjà évoqué ici sont des plus classiques : un ressortissant polonais, M. Celmer, accusé de trafic illicite de stupéfiants fait l’objet de trois mandats d’arrêts européens émis par des juridictions polonaises. Interpellé en Irlande, il refuse de consentir à sa remise devant la High Court irlandaise et fonde son rejet sur les conséquences que pourraient avoir sur son cas les réformes du système judiciaire polonais, à savoir le risque de ne pas bénéficier d’un procès équitable dans son pays. Allant plus loin dans sa défense, il prend ainsi appui sur le principe de confiance mutuelle qui régit la coopération judiciaire en général et le mandat d’arrêt en particulier. Pour étoffer son argumentation d’une violation de l’article 6 de la CEDH, sa remise l’exposant dans son pays à un risque réel de déni de justice flagrant, M. Celmer se base en particulier sur la proposition motivée de la Commission, du 20 décembre 2017 dans laquelle celle-ci invite le Conseil de l’UE à constater l’existence d’un risque clair de violation grave de l’Etat de droit en Pologne suite aux réformes législatives en matière judiciaire. Lire la suite

Winter is coming : la Hongrie, la Pologne, l’Union européenne et les valeurs de l’Etat de droit

Le vote de la résolution du Parlement européen invitant le Conseil à constater l’existence d’un risque clair de violation grave des valeurs de l’Union par la Hongrie, le 12 septembre 2018, était particulièrement attendu. Parce qu’il était une première dans l’histoire de l’Union européenne, bien sûr, mais aussi et surtout parce qu’il s’inscrivait dans un contexte particulièrement lourd pour une Union en proie aux doutes, à la veille du départ de l’un de ses membres comme à celle d’élections parlementaires problématiques.

D’aucuns estimeront que l’adoption de cette résolution parlementaire est un signe d’espoir, une prise de conscience salutaire de dérives devenues inacceptables dans une Communauté de droit. D’autres, anticipant ses suites procédurales vraisemblables devant les Etats membres, ne voient là qu’un coup d’épée dans l’eau d’un processus communautaire dont la désaffection dans les opinions publiques est patente. Tous, en réalité, semblent avoir assimilé que l’arme « nucléaire » dont on aimait qualifier la procédure de l’article 7 du traité n’a guère de portée destructrice et que le mal est profond malgré le souhait majoritaire d’y porter remède. Lire la suite

La solidarité n’est pas une valeur : la validation de la relocalisation temporaire des demandeurs d’asile par la Cour de justice (CJUE, 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie c. Conseil, C-643/15 et C-647/15)

La rentrée judiciaire de l’automne 2017 était attendue impatiemment et le prononcé de l’arrêt Slovaquie et Hongrie contre Conseil, le 6 septembre, s’inscrivait en première ligne de cette attente. Le contexte en est connu, celui du refus des pays du groupe de Visegrad de se plier au programme de relocalisation des réfugiés initié au plus fort de la crise migratoire par l’Union. Deux d’entre eux l’avaient porté devant la Cour de justice.

La lecture des remarquables conclusions de l’avocat général Bot laissait entrevoir la possibilité d’un « grand arrêt ». Les enjeux en cause comme la nature des principes invoqués invitaient la Cour à une hauteur de vue à la mesure inverse des arguments développés par les requérants. L’occasion lui était offerte à peu de frais, par un arrêt clair et courageux, de se joindre au concert critique affectant certains nouveaux Etats membres quant à leur comportement lors de la crise de 2015. Peut-être même de réparer l’impression mitigée laissée par sa jurisprudence relative aux visas dits humanitaires et à l’accord UE-Turquie concernant cette période. Elle n’en a pas ressenti la nécessité, dans une Union doutant pourtant de son projet et de ses valeurs, préférant ainsi le biais à l’affirmation et l’omission à la condamnation. Lire la suite

Crise des réfugiés et valeurs de l’Union : illusions perdues ?

« Mais refouler les bateaux qui arrivent dans nos ports, mettre le feu aux camps de réfugiés ou ignorer des gens qui sont dans la misère et livrés à eux-mêmes : ce n’est pas cela, l’Europe. L’Europe, c’est ce boulanger de Kos qui fait cadeau de son pain à ces hommes et femmes affamés et épuisés. L’Europe, ce sont ces étudiants à Munich et à Passau qui apportent des vêtements aux nouveaux arrivants, à la gare. L’Europe, c’est ce policier, en Autriche, qui souhaite la bienvenue aux réfugiés exténués lorsqu’ils franchissent la frontière. C’est dans cette Europe que je veux vivre. Cette crise est grave et le chemin est encore long. Je compte sur vous, dans ce Parlement, et sur tous les États membres pour montrer que l’Europe a le courage d’avancer, dans le respect de nos valeurs communes et de notre histoire ».

Le Président de la Commission Jean-Claude Juncker a prononcé, en septembre 2015, un discours dont la tonalité tranchait avec les banalités consensuelles qui structuraient ordinairement ceux de son prédécesseur. Le lyrisme bienvenu de l’ancien premier ministre du Grand-Duché de Luxembourg, convoquait les Etats membres de l’Union devant des responsabilités que l’Histoire singulière du continent européen leur a léguées. Ce discours sur l’état de l’Union singulier défend un dessein politique et un volontarisme que justifient en particulier les valeurs fondant le projet d’intégration européenne. La gravité du propos était déjà à la hauteur de l’urgence et de la profondeur de la crise que traversait l’Union en matière migratoire. L’actualité récente conduit pourtant malheureusement à douter qu’elle ait été tout à fait entendue. Lire la suite

Trois ans après la votation suisse « Contre l’immigration de masse » : où en est-on ?

Ce début d’année 2017 est décisif pour la construction européenne. En mars 2017, le Royaume-Uni devrait vraisemblablement notifier sa décision de quitter une Union censée fêter au même moment les 60 ans d’efforts inédits pour regrouper des peuples et des Etats au sein d’une communauté pacifique et prospère. Si l’on peut craindre que le sommet qui sera organisé à Rome ne soit pas à la hauteur des défis auxquels est confrontée l’Union européenne, celle-ci a su trouver au quotidien certaines occasions de réaffirmer ses valeurs fondamentales, y compris à l’égard d’Etats ayant décidé de ne participer qu’à certains aspects de cette unification. En témoignent les  négociations consécutives au référendum « Contre l’immigration de masse » du 9 février 2014 en Suisse, Etat avec lequel l’UE entretient une relation aussi étroite que singulière.

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La Convention de Genève et l’Union européenne : les heures sombres

2015 a été marquée par une crise migratoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale et l’année 2016 qui débute laisse présager une amplification de la situation sans solution réelle et réalisable à court terme. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 67 193 migrants sont arrivés en Grèce (62 193) et en Italie (5 000) au cours du mois de janvier (chiffres disponibles sur le site de l’OIM le 2 février 2016). La situation est en passe d’échapper au contrôle de l’UE. Le manque de volonté des États membres, qui affichent pour certains, une position assumée de défiance, fait craindre à Donald TUSK « une implosion de Schengen » (CP, Résultats de la réunion du Conseil européen de décembre 2015, 19 janvier 2016). Une première clôture dans l’espace Schengen a d’ailleurs été dressée par l’Autriche sur sa frontière avec la Slovénie. Lire la suite

Angela Merkel au Parlement européen, des paroles aux actes ?

par Henri Labayle, CDRE

Le discours prononcé par Angela Merkel devant le Parlement européen, le 7 octobre 2015 aux cotés de François Hollande, est remarquable en tous points. Au delà du symbole d’une intervention du couple franco-allemand, qui n’était d’ailleurs peut être pas le meilleur signal à envoyer à ceux que l’on tentait de convaincre, cette prise de parole publique devant les représentants des peuples européens ne manque pas de sens.

Il était donc naturel  d’en souligner l’impact, partageant le sentiment d’un Jürgen Habermas « aussi surpris que réjoui » par le positionnement allemand face à la crise des réfugiés dans l’Union. Lire la suite

La politique européenne d’asile : Strange fruit ? (I)

par Henri Labayle, CDRE

Les arbres de la chanson de Billie Holiday se reconnaissaient aux corps des pendus qu’ils supportaient. Comme eux, la politique d’asile de l’Union européenne a désormais un visage. Celui d’Aylan, un enfant syrien noyé sur une plage de Méditerranée. Donnant une réalité au macabre décompte des milliers de morts qui l’ont précédé, son impact marque un tournant dans la crise existentielle de la politique commune d’asile, enfin entraînée sur le seul terrain qui vaille : celui des valeurs de l’Union.

La chancelière allemande, Angela Merkel, aura eu le mérite solitaire d’y placer le débat, obligeant ainsi ses partenaires à se situer de part et d’autre de cette ligne rouge : l’indifférence de l’Union peut-elle encore durer ?

Pour y répondre en examinant les dossiers posés sur la table de l’Union, force est de savoir, enfin, de quoi on parle (I). A la lumière de cette clarification préalable, il faut ensuite mesurer l’ampleur de la crise traversée (II) et les réponses que l’Union prétend apporter (III). Lire la suite

Victor Orban, la peine de mort et l’engagement européen de la Hongrie : noces d’étain ou mariage blanc ?

par Simon Labayle, CERIC

Mariage d’amour, mariage d’argent… L’Union européenne a vu se marier toutes sortes de partenaires. Des noces enthousiastes, lorsque la Grèce, le Portugal ou l’Espagne rejoignaient les démocraties déjà membres des Communautés au nom de démocraties au nom de la promotion de l’Etat de droit. Des mariages de raison, lorsque la Suède ou le Danemark la rejoignaient sans ferveur, en cédant à des impératifs essentiellement économiques. Les différentes vagues d’élargissement qui ont façonné le visage de l’Union contemporaine n’ont donc pas provoqué une liesse comparable. Chacune d’entre elle révélait pourtant la volonté de s’unir à ses voisins européens.

L’histoire politique et juridique de l’Union européenne appelle cependant aujourd’hui à réfléchir au sens comme à la force de cet engagement. Un nouvel épisode tiré de la relation tourmentée qu’entretiennent la Hongrie et l’Union sert ici de toile de fond à une réflexion plus globale. On sait en effet les crises qui troublent régulièrement leurs rapports depuis l’investiture de Viktor Orban en tant que Premier ministre suite aux élections législatives d’avril 2010. La dernière en date relance un débat que l’on pensait clos sur la peine de mort. Lire la suite

La promotion des valeurs de l’Union et de la dignité des droits de l’étranger en situation irrégulière par son avocat général sera-t-elle entendue par la Cour de justice ?

par Joana Pétin, CDRE

La dignité de la personne humaine est sans doute « la quintessence des valeurs par lesquelles nous affirmons ensemble que nous sommes une seule communauté humaine » (P. Lambert, « Les droits de l’homme à l’épreuve du principe de la dignité humaine », in Mélanges en l’honneur du Professeur Petros J. Pararas, Les droits de l’homme en évolution, Bruylant, 2009, p.333-348).

L’Union européenne participe de cette affirmation. Le Traité de Lisbonne ayant procédé à la reconnaissance de la valeur juridique contraignante de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, la dignité humaine est désormais placée au premier rang des valeurs fondatrices de l’Union. S’appuyant sur cette réalité juridique de façon remarquable, l’avocat général Yves Bot vient de proposer à la Cour de justice d’en tirer les conséquences, dans ses conclusions sur l’affaire Moussa Abdida rendues le 4 septembre dernier. Lire la suite