Systèmes d’information européens sécurité-immigration : lorsqu’« interopérabilité » ne rime effectivement pas avec « interconnexion »

« Il convient d’exploiter toutes les possibilités offertes par d’éventuelles synergies entre les systèmes d’information nationaux et européens, sur la base de l’interopérabilité ». Ces propos ne datent pas des conclusions du dernier Conseil JAI sur ce thème, celles du 9 juin 2017, mais bien d’une communication de la Commission remontant au mois de mai 2005. La problématique de l’interopérabilité des bases de données JAI est par conséquent tout sauf neuve. Elle revêt néanmoins une acuité particulière à la lumière des efforts axés sur le renforcement de l’efficacité et de l’efficience de la gestion des données dans l’UE. Comme le fait remarquer une étude juridique de mai 2017, le volume des données échangées entre les Etats membres et stockées au sein des systèmes européens d’information s’est accru considérablement depuis les attaques de Paris de 2015.

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L’affaire A-Rosa (C-620/15) : dumping social ou occasion manquée par la France de soumettre des travailleurs navigants à sa législation de sécurité sociale ?

L’affaire A-Rosa (C-620/15), dans laquelle la Cour a rendu un arrêt attendu, le 27 avril dernier, concerne l’épineuse question des travailleurs qui exécutent l’intégralité de leur prestation de travail dans un État membre mais sont soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre. En effet, l’État membre dans lequel les prestations de travail sont accomplies voit dans cette situation un manque à gagner important en termes de cotisations sociales. Dans un contexte où l’euroscepticisme prend une place non négligeable dans le débat public, cette affaire représentait donc un enjeu important. Lire la suite

Illustration d’un dialogue de sourds : la Cour administrative d’appel de Douai renvoie au Conseil d’Etat des questions relatives à l’application du règlement “Dublin III”

Le 27 mars 2017, au cours du forum des magistrats ayant pris place dans l’enceinte du Palais de la Justice à Luxembourg, le vice-président du Conseil d’Etat faisait le constat que la mise en « réseau » des juridictions était devenue un élément « indispensable d’une justice de qualité ». Jean-Marc Sauvé rappelait qu’en conséquence « les juges doivent élargir leur raisonnement au-delà des cadres étatiques », d’une part, en s’appuyant sur une comparaison attentive des jurisprudences nationales, et, d’autre part, en se référant « de manière constante et approfondie non seulement à ce que la Cour de justice – ou la Cour européenne des droits de l’homme – a jugé, mais aussi aux questions qui sont posées à ces cours ».

Cette harangue en faveur d’une « coopération verticale » (id.) jette une lumière crue sur l’arrêt rendu quelques jours auparavant par la Cour administrative d’appel de Douai. En effet, si la décision du 14 mars 2017 n° 16DA01958 relève bien du registre du « dialogue des juges », le choix effectué par la juridiction administrative a de quoi surprendre. Alors que l’affaire qui lui était soumise paraissait soulever pour l’essentiel des questions relevant de l’interprétation du droit de l’Union européenne, c’est vers la procédure d’avis sur des questions de droit nouvelles (art. L. 113-1 Code de justice administrative) et le Conseil d’Etat que le juge douaisien s’est tourné. Lire la suite

Petit à petit la vulnérabilité fait son nid … Quelques réflexions à propos de l’arrêt C.K. du 16 février 2017

Le Professeur Labayle à la fin de son analyse de l’arrêt C.K. et autres, (C-578-16 PPU) se demandait s’il était « vraiment déraisonnable de penser que la requérante syrienne et son mari, dont l’enfant était né entre temps en Slovénie et qui était vraisemblablement éligible, pouvaient recevoir protection dans cet État en raison de leur vulnérabilité ». Une telle question n’a rien de déraisonnable. Bien au contraire. La prise en compte effective de la vulnérabilité particulière de la requérante mettait en effet à la charge des autorités et des juridictions slovènes une obligation de protection renforcée.

Avant toute chose, un rappel des faits s’impose. Mme C.K. et son mari H.F. sont entrés dans l’UE grâce à un visa délivré par les autorités croates. Après être entrés en Slovénie pour y déposer une demande de protection internationale, les époux, dont Mme C.K. enceinte, ont été placés sous le coup d’une procédure Dublin. Classiquement alors, en application du règlement Dublin, une requête de reprise en charge a été adressée à la Croatie, qui cette dernière l’a acceptée. Or, en l’espèce, en raison de son état de santé mentale fragilisé (dépression post-partum et tendances suicidaires périodiques), Mme C.K. alléguait un risque de détérioration grave de son état en cas de transfert. Se posait ainsi la question de la conformité d’un tel transfert au regard du droit de l’UE et du respect des droits fondamentaux de la requérante. Plus précisément, dans des circonstances telles que celles au principal, ce transfert conduit-il à exposer la requérante à un risque de traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 4 de la Charte ? Lire la suite

Escale à Canossa ? La protection des droits fondamentaux lors d’un transfert « Dublin » vue par la Cour de justice (C.K. c. Slovénie, C-578/16 PPU)

Le trajet conduisant de Luxembourg à Strasbourg est parfois moins direct qu’il n’y paraît, impliquant des retours en arrière imprévus mais salutaires. La Cour de justice en aurait-elle fait l’expérience, moins douloureusement certes qu’Henri IV devant Grégoire VII ?

L’arrêt rendu par sa cinquième chambre dans l’affaire C.K. c. Slovénie (C-578/16 PPU) le 16 février 2017 interroge de ce point de vue.

Questionnée par le juge suprême slovène quant à l’étendue du contrôle des conditions de déroulement d’un transfert Dublin vers un autre Etat membre, la Croatie, la Cour de justice était attendue avec curiosité. Elle était en effet assez clairement invitée par le juge national à se prononcer sur les implications de sa jurisprudence refusant, comme chacun le sait, que l’on s’intéresse de trop près aux conditions dans lesquelles les droits fondamentaux sont appliqués dans certains Etats de l’Union, ceci au nom de la confiance mutuelle. Sauf qu’en l’espèce, c’était moins l’Etat de destination qui posait question, la Croatie justifiant la confiance, que le procédé utilisé pour y revenir, la décision de transfert elle-même.

A l’instant où cette confiance mutuelle est mise à mal par les comportements étatiques et où ce principe fondamental ne semble guère trouver grâce dans le futur règlement Dublin IV, l’appui de la Cour lui est ici mesuré. La réponse de cette dernière se situe au cœur d’un double courant d’interrogations. Lire la suite

Trois ans après la votation suisse « Contre l’immigration de masse » : où en est-on ?

Ce début d’année 2017 est décisif pour la construction européenne. En mars 2017, le Royaume-Uni devrait vraisemblablement notifier sa décision de quitter une Union censée fêter au même moment les 60 ans d’efforts inédits pour regrouper des peuples et des Etats au sein d’une communauté pacifique et prospère. Si l’on peut craindre que le sommet qui sera organisé à Rome ne soit pas à la hauteur des défis auxquels est confrontée l’Union européenne, celle-ci a su trouver au quotidien certaines occasions de réaffirmer ses valeurs fondamentales, y compris à l’égard d’Etats ayant décidé de ne participer qu’à certains aspects de cette unification. En témoignent les  négociations consécutives au référendum « Contre l’immigration de masse » du 9 février 2014 en Suisse, Etat avec lequel l’UE entretient une relation aussi étroite que singulière.

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La Cour de cassation et la responsabilité de l’Etat du fait des décisions de justice : une nouvelle illustration des faiblesses de la subsidiarité juridictionnelle

Pour la première fois, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation s’est prononcée par un arrêt SNC Lactalis Ingrédients du 18 novembre 2016 (req. n° 15-21.438) sur l’application dans l’ordre judiciaire français de la jurisprudence Köbler (CJUE, 30 septembre 2003, Aff. C‑224/01). On rappellera qu’en vertu de cette jurisprudence, la Cour de justice de l’Union européenne considère que les « États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables […] lorsque la violation en cause découle d’une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort, dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les personnes lésées » (arrêt Köbler, pt. 30 et 59).

Malgré la force de ce principe « inhérent au système des traités » (v. not. en ce sens, CJUE, 28 juillet 2016, Tomášová, Aff. C-168/15, pt. 18 et 19), la plus haute juridiction judiciaire française s’est cependant montrée réfractaire à sa mise en œuvre. A lumière des analyses du procureur général et du conseiller rapporteur, il semble en effet que les magistrats soient restés réservés à l’égard de l’hypothèse d’une responsabilité de l’Etat en cas de violation du droit de l’Union par le contenu d’une décision de justice (une telle responsabilité n’ayant jusqu’alors été retenue qu’à raison d’une circulaire du Garde des Sceaux donnant des instructions au parquet manifestement incompatibles avec un arrêt en manquement rendu par la Cour de justice : C. Cass., com., 21 février 1995, United Distillers France, John Walker & sons Ltd).

Aux communautaristes qui pouvaient penser qu’en matière de contentieux indemnitaire les choses étaient désormais bien établies par la jurisprudence européenne, et bien admises par le juge interne, cet arrêt constitue un démenti sérieux. Il ne s’agit certes pas du premier avertissement des faiblesses de la subsidiarité juridictionnelle, mais l’arrêt SNC Lactalis Ingrédients constitue une nouvelle illustration de l’ambigu rôle des juridictions nationales suprêmes dans le « procès européen ». Lire la suite

La lutte contre le financement du terrorisme : la justification du renforcement de la politique pénale européenne

« L’UE doit répondre au terrorisme par la fermeté sur le plan de la justice pénale » (communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – Le programme européen en matière de sécurité, 28 avril 2015 (Com (2015) 185). Le « train de mesures » adopté par la Commission, le 21 décembre dernier, s’inscrit dans cette volonté politique, en s’axant principalement sur la lutte contre financement du terrorisme. En réponse aux attentats perpétrés sur le sol européen, trois nouveaux textes – touchant les domaines du blanchiment de capitaux, des mouvements illicites d’argent liquide, du gel et de la confiscation – ont été adoptés afin d’affaiblir « la capacité des terroristes à financer leurs activités et, simultanément, en facilitant celle des autorités à repérer et à bloquer l’accès aux sources de financement » (Communiqué de presse de la Commission, Union de la sécurité : la Commission adopte des règles renforcées pour combattre le financement du terrorisme, le 21 décembre 2016). Lire la suite

Bis repetita…Les États membres ne peuvent pas imposer une obligation générale de conservation de données aux fournisseurs de services de communications électroniques (Réflexions à propos de l’arrêt de la CJUE, 21 décembre 2016, Tele2 Sverige AB (C‑203/15) et Secretary of State for the Home Department (C‑698/15).

L’arrêt de la CJUE rendu le 21 décembre 2016, Tele2 Sverige AB (C‑203/15) et Secretary of State for the Home Department (C‑698/15) est un véritable coup de tonnerre par rapport aux conclusions contraires de l’Avocat général Saugmandsgaard Øe, commentées ici-même.

Les affaires jointes C-203/15, Tele2Sverige AB/Post-och telestyrelsen et C-698/15, Secretary of State for Home Department/Tom Watson e.a., se présentent comme une nouvelle péripétie de l’historique arrêt Digital Rights Ireland Ltd (C-293/12 et C-594/12, 8 avril 2014), où la Cour de justice de l’UE avait procédé à l’annulation, intégrale et rétroactive, de la directive 2006/24/CE, « rétention des données de communications électroniques ». Lire la suite