L’arrêt de la CJUE du 4 octobre 2018, Commission c. France, vertus et limites du dialogue des juges au Palais Royal

Dans un arrêt retentissant, la Cour de Justice de l’Union européenne a, pour la première fois, constaté le manquement d’un Etat membre imputable à l’une de ses juridictions suprêmes pour ne pas l’avoir saisie à titre préjudiciel, sur la base de l’article 267 TFUE. L’arrêt Commission c. France rendu le 4 octobre 2018 (C-416/17) demeurera donc dans les annales, étant entendu qu’il s’agit là d’un manquement constitué par le refus du Conseil d’Etat de déférer à son obligation de renvoi. Il interroge quant son caractère anecdotique ou quant à la mise à jour d’un nouveau climat dans les relations juridictionnelles au sein de l’Union.

Au delà de ses aspects fiscaux, dont les conséquences pour les finances publiques sont loin d’être négligeables (environ 5 milliards d’euros), l’affaire Commission c. France retient évidemment l’attention des observateurs de « l’Europe des juges ». Lire la suite

L’affaire Alpenrind, un nouvel épisode de la saga des certificats A1 devant la Cour de justice

La question de l’assujettissement des travailleurs mobiles à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre que celui sur le territoire duquel ils exécutent leur prestation de travail continue de faire l’objet d’un contentieux important devant la Cour de justice. Après les affaires A-Rosa (27 avril 2017, C-620/15) et Altun (6 février 2018, C-359/16), l’affaire Alpenrind vient de faire l’objet d’un arrêt de la Cour de justice (6 septembre 2018, C-527/16).

Avant de voir le détail de l’affaire Alpenrind, rappelons que par principe, les travailleurs mobiles dans l’Union européenne sont assujettis à la législation de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel ils travaillent (lex loci laboris, art. 11 du Règlement 883/2004). Cependant, lorsque les travailleurs sont détachés par leur employeur sur le territoire d’un autre État membre, ils restent assujettis à la législation de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel leur employeur est établi tant que la durée du détachement n’excède par vingt-quatre mois et que le travailleur n’est pas envoyé en remplacement d’un autre travailleur (art. 12§1 du règlement 883/2004). Cette question est particulièrement sensible car les États membres accueillant des travailleurs détachés sur leur territoire souhaiteraient que ceux-ci soient assujettis à leur législation de sécurité sociale pour bénéficier du paiement de leurs cotisations. D’un autre côté, les États membres à partir desquels les travailleurs sont détachés, et les employeurs de ceux-ci, tiennent à cette exception car elle permet à ces travailleurs d’être bien plus compétitifs sur le plan du coût du travail, et les cotisations entrent dans les caisses de l’État membre d’envoi. Lire la suite

La circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé : quelle circulation ?

Les 11 et 12 octobre 2018 est organisé à Lyon un important colloque international sur “La circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé” (*) (Dir. scientifique : Pr H. Fulchiron, U. Lyon, IUF). Dans une table ronde introductive, la question est notamment posée de savoir de “quelle circulation” on parle ?

Ce thème ne peut laisser indifférent tous ceux qui s’intéressent à l’ELSJ et au droit européen de manière générale ! Explications au terme d’une présentation ci-après du canevas d’intervention.

Lire la suite

Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni, Cour EDH, 13 septembre 2018 : validation du principe de la surveillance de masse mais encadrement étroit de ses modalités

C’est un arrêt très attendu mais sans doute partiellement décevant pour les défenseurs des droits fondamentaux qu’a rendu la Cour de Strasbourg le 13 septembre dernier.

Si, face au système de surveillance massive des communications mis en place par le Royaume-Uni, la Cour conclut à la violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée, protection des données à caractère personnel) et 10 (droit à la liberté d’expression, ici des journalistes) de la Convention, une lecture attentive de l’arrêt montre que le principe de la surveillance massive ne tombe pas sous les foudres des juges européens, qui sanctionnent en revanche ses modalités de mise en œuvre. Lire la suite

Winter is coming : la Hongrie, la Pologne, l’Union européenne et les valeurs de l’Etat de droit

Le vote de la résolution du Parlement européen invitant le Conseil à constater l’existence d’un risque clair de violation grave des valeurs de l’Union par la Hongrie, le 12 septembre 2018, était particulièrement attendu. Parce qu’il était une première dans l’histoire de l’Union européenne, bien sûr, mais aussi et surtout parce qu’il s’inscrivait dans un contexte particulièrement lourd pour une Union en proie aux doutes, à la veille du départ de l’un de ses membres comme à celle d’élections parlementaires problématiques.

D’aucuns estimeront que l’adoption de cette résolution parlementaire est un signe d’espoir, une prise de conscience salutaire de dérives devenues inacceptables dans une Communauté de droit. D’autres, anticipant ses suites procédurales vraisemblables devant les Etats membres, ne voient là qu’un coup d’épée dans l’eau d’un processus communautaire dont la désaffection dans les opinions publiques est patente. Tous, en réalité, semblent avoir assimilé que l’arme « nucléaire » dont on aimait qualifier la procédure de l’article 7 du traité n’a guère de portée destructrice et que le mal est profond malgré le souhait majoritaire d’y porter remède. Lire la suite

L’enseignement du droit international privé par le droit européen : une expérience

Le droit international privé (DIP) s’enseigne dans les Facultés et Ecoles de droit généralement en master 1 sur un ou deux semestres. Dans le second cas, le cours est le plus souvent divisé en deux parties : théorie générale et partie spéciale. Dans le premier cas, l’enseignant doit faire des choix drastiques. C’est cette modeste expérience d’enseignement du DIP sur un semestre que je voudrais ici librement décrire, celle d’un DIP qui s’apprend par le droit européen ! Lire la suite

L’affaire Carles Puigdemont : le droit pénal européen en crise de confiance

Le 21 mars 2018, la justice espagnole a émis un mandat d’arrêt européen à l’encontre du président du gouvernement régional catalan, Carles Puigdemont. Les autorités espagnoles ont demandé qu’il soit poursuivi et remis à ces dernières pour des faits de « rébellion » et de « corruption » prenant la forme de détournement de fonds publics. Les allégations sont fondées sur les activités de M. Puigdemont dans le conflit de longue date entre la Catalogne et le gouvernement central espagnol au sujet de l’indépendance de la Catalogne. Le prévenu aurait, entre autres, appelé à un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, alors que celui- ci avait été précédemment reconnu comme illégal par la Cour constitutionnelle espagnole. La mise en œuvre du référendum, le matériel, les documents nécessaires pour le vote et les autres mesures mises en place dans ce cadre ont entraîné une dépense de 1,6 millions d’euros mais aussi des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Lire la suite

L’arrêt David Piotrowski de la Cour de justice : confiance mutuelle 1 – spécificité du droit pénal des mineurs 0

A ce jour, l’unique moyen de prendre la situation d’un enfant en considération dans la procédure du mandat d’arrêt européen consiste à recourir au motif de non-exécution obligatoire de l’article 3.3 de la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002. En effet, si la directive 2016/800 (UE) assoit depuis peu la nécessité d’une procédure particulière en matière de délinquance juvénile, les instruments de coopération judiciaire dans l’ELSJ ne distinguent toujours pas le mineur du majeur.

L’arrêt Dawid Piotrowski (C-367/16) rendu le 23 janvier 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’attelle, enfin, à l’interprétation de ce motif de non-exécution obligatoire et revêt de ce fait une importance capitale en matière de droit pénal des mineurs. Lire la suite

Le projet de règlement « E-evidence » (preuves électroniques)  présenté par la Commission européenne : un « Cloud Act » européen

La Commission européenne a présenté le 17 avril dans un communiqué de presse (IP/18/3343)  une proposition de règlement (COM(2018)225 final) afin de rendre plus facile et plus rapide pour les autorités policières et judiciaires l’obtention de preuves électroniques (telles que des mails ou autres documents situés dans le cloud), nécessaires afin d’enquêter, de poursuivre et de condamner des criminels et des terroristes.

Ce texte – un de plus serait-on tentée de dire, visant à faciliter la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité – devrait permettre aux autorités répressives des Etats membres de pouvoir accéder à des preuves se trouvant dans le « nuage » des fournisseurs de services, indépendamment de la localisation de celui-ci sur le territoire européen. Mais il devrait concerner aussi des Etats tiers, ce qui signifie alors un effet d’extraterritorialité. Lire la suite