Bridge over troubled waters : le bilan JAI de la présidence danoise de l’Union (1)

par Henri Labayle, CDRE

L’expression du ministre danois des affaires étrangères fait mouche : dans les eaux troubles de l’Union, la gestion danoise de l’Espace de liberté, sécurité et justice a été plus productive qu’espéré, tant du point de vue des dossiers législatifs en cause qu’en raison d’une ambiance générale lourde de la crise de confiance que traverse l’Union.

Les raisons de douter d’une avancée quelconque en matière JAI étaient pourtant fondées au 1er janvier 2012, lorsque le Danemark prit la présidence de l’Union. Petit Etat membre peu suspect de bousculer les féodalités des grands Etats de l’Union, peuple peu enclin à des rêveries fédérales depuis le référendum de Maastricht, autorités nationales en situation complexe autant que délicate vis à vis de l’ELSJ en raison d’une position d’opt-out, tout inclinait à croire la présidence entamée le 1er janvier incapable d’impulser des progrès en la matière. Lire la suite

Le brevet de l’UE reporté sine die ou la montée en puissance du Parlement européen…

Par Céline Castets-Renard, IRDEIC

Si nous avions relevé le caractère historique de l’accord du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 (voir notre billet du 15 juillet) pour la création d’un brevet de l’Union européenne, parachevant 30 ans de négociations, l’épilogue n’est peut-être pas encore écrit.

Alors qu’un accord de principe avait été trouvé avec le Parlement européen et que le vote de ce dernier était suspendu à la seule question de la localisation de la juridiction UE du brevet, enfin tranchée par le Conseil européen du mois de juin, les euro-députés ont refusé de voter le texte début juillet. Ils choisirent de reporter leur décision en septembre prochain… Lire la suite

Le rattachement de la lutte contre le terrorisme à la PESC ou comment la Cour de justice déroule son fil d’Ariane…

par Géraldine Bachoué Pedrouzo, CDRE

Si la Cour de justice incite depuis plusieurs années, par sa jurisprudence, à inscrire la lutte contre le terrorisme dans le respect des droits fondamentaux, le paradoxe de l’arrêt rendu en Grande Chambre le 19 juillet 2012 sous l’affaire Parlement c/ Conseil (C-130/10) conduit à écarter le législateur européen de cette lutte. Cet amoindrissement du contrôle démocratique doit être regretté, même s’il résulte d’une lecture littérale du traité de Lisbonne et si des principes intéressants pour la mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune y sont formulés.

En dépit de sa relative brièveté (113 considérants), l’arrêt de la juridiction du plateau du Kirchberg se livre à un véritable cours de droit constitutionnel, touchant aux actes, aux institutions, au respect des droits fondamentaux et aux garanties juridiques. Surtout, les principes que la CJUE pose confèrent à l’arrêt la même envergure que celle attachée à l’arrêt Kadi (C-402/05 P), auquel elle ne cesse par ailleurs de se référer. Lire la suite

Perseverare diabolicum : lecture approximative de la jurisprudence européenne sur la garde à vue à la Cour de cassation

par Henri Labayle, CDRE

Lire la jurisprudence de la Cour de justice avec les lunettes du droit français ne protège pas de la myopie juridique, l’affaire Melki l’avait déjà démontré en son temps (H. Labayle, Ordonner le dialogue des juges, RFDA 2010 p. 659). Deux arrêts de la chambre civile de la Cour de Cassation confirment ce sentiment, le 5 juillet 2012. Faisant suite à un avis de la Chambre criminelle un mois plutôt, le juge judiciaire constate l’impossibilité de concilier la garde à vue d’un étranger en séjour irrégulier avec les exigences de la directive 2008/115 dite directive « retour », « telle qu’interprétée par la Cour de justice ».

Ouvrant le parapluie de l’autorité de la jurisprudence du Kirchberg, elle accrédite ainsi l’idée, abondamment développée dans de nombreux commentaires, que le droit de l’Union européenne rendrait impossible, par son laxisme, le contrôle et l’éloignement des étrangers en situation irrégulière…

Or, la vérité du droit positif n’est pas tout à fait celle que l’on dit solennellement, quai de l’Horloge. Lire la suite

Bilan de la présidence danoise : l’accord historique du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 pour la création d’une juridiction EU en matière de brevet

par Céline Castets-Renard, IRDEIC

Le compromis trouvé le 29 juin 2012 par le Conseil européen dans ses conclusions est une étape décisive et historique en faveur de la création d’un brevet unitaire et d’une juridiction unifiée des brevets en Europe. Les chefs d’État ou de gouvernement des États membres participants ont convenus d’établir à Paris le siège de la division centrale du tribunal de première instance de la juridiction unifiée en matière de brevets (JUB).

L’accord doit encore être ratifié par les parlements nationaux et entrera en vigueur vraisemblablement début 2014, après ratification par les trois Etats dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens ont été délivrés (soit l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni). Lire la suite

La Commission européenne adopte sa 6ème décision de transaction en matière d’ententes : vers une banalisation de la justice expéditive dans l’espace européen ?

par Mehdi Mezaguer, IRDEIC

Le 27 juin 2012, la Commission européenne a adopté sa sixième décision de transaction dans une affaire d’entente concernant des fabricants de produits de gestion de l’eau (Communiqué de presse IP/12/704). Cette sixième affaire (COMP/39611) en quatre ans démontre un succès grandissant pour une procédure tant vantée par la direction générale de la concurrence (Antitrust : la Commission instaure une procédure de transaction dans le domaine des ententes, 30.6.2008, IP/08/1056) pour ses vertus propres mais également en ce qu’elle représente un complément du programme de clémence.

A cet égard, il faut noter que cette affaire est la première à voir s’appliquer les deux procédures sans pour autant donner lieu à un cumul des réductions comme le prévoit la communication relative à la procédure de transaction (communication relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente, JO C-167/1  du 2.7.2008, Consdt.33).

Quoi qu’il en soit, le développement de ces procédures repose en termes nouveaux la question de la qualité de la justice dans l’espace européen et sa confrontation au champ économique. Lire la suite

Droit à l’assistance linguistique et procédures pénales, le pragmatisme de la directive 2010/64 remis en question

par Julie Bauchy, IRDEIC

La directive 2010/64  du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales s’inscrit dans la nouvelle stratégie de l’Union Européenne en matière pénale. Elle traduit la nouvelle dimension des droits de l’Homme dans le cadre de l’Espace de liberté, sécurité et justice (Programme de Stockholm et Plan d’action mettant en œuvre ledit programme COM (2010)174 final, voir la rubrique Pour aller plus loin, textes de base).

Adoptée sur le fondement de l’article 82§2 du TFUE, cette directive est le premier acte législatif adopté dans le cadre de la feuille de route (point A) relative aux garanties procédurales en matière pénale du 4 décembre 2009, par la suite intégrée dans le programme de Stockholm principalement axé sur la définition et l’établissement de droits procéduraux minimaux. Elle appelle quelques remarques complémentaires. Lire la suite

Dans ou hors l’ELSJ ? Comment le Conseil « Justice et affaires intérieures » remet la question à plus tard (droit commun européen de la vente)

par Jean-Sylvestre Bergé, EDIEC

Les ministres des 27 Etats membres de l’UE se sont réunis en Conseil « Justice et affaires intérieures » les 7 et 8 juin 2012. S’agissant de la proposition de règlement UE pour un droit commun européen de la vente, ils ont décidé de repousser à plus tard l’examen de la question débattue de la base juridique de l’instrument et de privilégier la discussion sur le droit de la vente proprement dit, énoncé en annexe (voir communiqué de presse, p. 20).

Ce choix est critiquable, en ce qu’il relègue à l’arrière-plan les questions de politique juridique tenant à l’articulation (et donc à la nature juridique) de ce droit européen avec le droit international et les droits nationaux existants. Lire la suite

L’arrêt Aksu C. Turquie : quelle intensité pour la protection d’une minorité « vulnérable » aux yeux de la Cour européenne des droits de l’homme ?

par Simon Labayle, CERIC

L’arrêt Aksu rendu en grande chambre par la Cour européenne des droits de l’homme le 15 Mars 2012 mérite que l’on y revienne, quelques mois après avoir été rendu. Il mettait aux prises M. Mustafa Aksu avec la Turquie. Le conflit les opposant trouvait sa source dans le financement, par cet Etat, de trois publications qui contiennent aux yeux du requérant « des observations et expressions hostiles aux Roms » (§ 3), et donc « offensantes pour son identité rom/tsigane » (§40).  Il  sollicitait donc « la suspension des ventes de l’ouvrage et la saisie de la totalité des exemplaires » (§14), et  se tournait vers la juridiction strasbourgeoise la suite de son échec devant les juridictions internes turques.

Le raisonnement de la Cour s’articule autour de l’analyse d’une violation éventuelle de l’article 8 de la Convention, et s’apprécie donc sous l’angle du droit au respect de la vie privée et familiale. En l’espèce, la Cour estime que contrairement à ce qu’évoquait le requérant, les publications en cause ne soulevaient pas de question relative à une éventuelle discrimination de la communauté Rom, du point de vue de l’article 14 de la Convention.

Pour trancher ce litige, le juge strasbourgeois apprécie d’abord de façon large la qualité de victime potentielle du requérant. Il la lui reconnaît en effet alors qu’il n’était pas directement visé par les ouvrages mis en cause. Ce raisonnement se justifie, aux yeux de la Cour, non seulement par l’appartenance dudit requérant à la communauté Rom, mais également par une référence à l’examen au fond de l’affaire par les tribunaux nationaux turcs (§ 53 et 54). Lire la suite