Droit à l’assistance linguistique et procédures pénales, le pragmatisme de la directive 2010/64 remis en question

par Julie Bauchy, IRDEIC

La directive 2010/64  du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales s’inscrit dans la nouvelle stratégie de l’Union Européenne en matière pénale. Elle traduit la nouvelle dimension des droits de l’Homme dans le cadre de l’Espace de liberté, sécurité et justice (Programme de Stockholm et Plan d’action mettant en œuvre ledit programme COM (2010)174 final, voir la rubrique Pour aller plus loin, textes de base).

Adoptée sur le fondement de l’article 82§2 du TFUE, cette directive est le premier acte législatif adopté dans le cadre de la feuille de route (point A) relative aux garanties procédurales en matière pénale du 4 décembre 2009, par la suite intégrée dans le programme de Stockholm principalement axé sur la définition et l’établissement de droits procéduraux minimaux. Elle appelle quelques remarques complémentaires.

Déjà remarquée, (S.Monjean-Decaudin, « L’Union européenne consacre le droit à l’assistance linguistique dans les procédures pénales », RTDE 2012, p. 763 et ss ; P.Beauvais, « Procédure pénales : droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales », RTDE 2011, p.642 et ss), la directive 2010/64 surprend par le domaine d’intervention choisi. En effet, le droit à l’assistance linguistique étant garanti par la ConvEDH à laquelle les États membres de l’Union européenne sont parties, cette intervention concurrente de l’Union européenne dans ce même domaine peut sembler de prime abord inutile.

Au demeurant, en prévoyant une harmonisation des garanties procédurales concernant le droit à l’assistance linguistique afin de renforcer la confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes respectifs de justice pénale et partant, la reconnaissance mutuelle des décisions (considérants 3 et 4), cette directive apporte sa pierre à l’édifice de la construction d’un espace pénal européen respectueux du droit à un procès équitable. Mais la directive va plus loin que le droit à l’interprétation consacré par la CourEDH. Cette directive confère en effet une certaine valeur normative au droit à la traduction qui, dans la jurisprudence de la CourEHD relative à l’article 6§3.a) et .e), demeurait en retrait par rapport au droit à l’interprétation. (CEDH, 19 déc. 1989, Kamasinski c/ Autriche). L’intervention du droit dérivé, sur un droit consacré par la CEDH et la jurisprudence de sa Cour permettra ainsi de sanctionner de manière plus efficace la violation de ce droit.

La directive se distingue ensuite par son approche pragmatique. Poursuivant un objectif d’effectivité, elle se concentre en conséquence sur les conditions de la mise en œuvre du droit à l’interprétation et à la traduction, la directive prescrivant en effet aux États de mette en place des moyens procéduraux afin de vérifier la nécessité du besoin de l’assistance linguistique mais aussi pour contester les décisions de refus ou la défaillance de ladite assistance.

D’un point de vue pratique l’aspect positif de la consécration de ces deux droits est indéniable. Avec l’abolition des frontières et la libre circulation qui en découle, cette consécration du droit à l’assistance linguistique dans le cadre des procédures pénales ne peut être que saluée.

Mais il faut reconnaître que le bilan de cette directive ne peut être qu’en demi-teinte car le contenu de cette directive n’est pas sans susciter des questions d’ordre pratique, indépendamment de la mise en œuvre de moyens financiers et humains conséquents.

Quant à la traduction et l’interprétation, la directive va au-delà de la simple consécration d’un droit à la traduction et à l’interprétation en exigeant une interprétation de qualité. Par cette exigence, est ainsi renforcé le contenu substantiel de ces deux droits. Ce saut de qualité est certain mais malgré l’obligation pour les États de mettre en place une voie procédurale permettant de contester la qualité de la traduction (art.3 §3 et §5), des doutes peuvent légitimement subsister.

En effet, concernant l’évaluation de la qualité, qu’en sera-t-il de la possibilité de la personne intéressée de mettre en cause la qualité de la traduction, si ce dernier ne sait pas et ne comprend pas de quoi il ressort ? La position de la Cour de cassation selon laquelle, « l’absence de réclamation d’une personne à l’insuffisance de compréhension qu’il peut y avoir entre elle-même et l’interprète qui lui est assigné fait présumer qu’elle comprend cette langue »  (Cass. crim., 3 mars 2004, n°03-80.989, Juris-Data n°2004-023323) peut laisser à ce sujet dubitatif.  Concrètement, une personne suspectée ou poursuivie ne parlant pas la langue de son interprète, hypothèse qui sera probablement fréquente en présence d’une langue dite rare, sera-t-elle en mesure de remettre en cause la qualité de l’interprétation ou de la traduction ?  Le problème devient rapidement kafkaïen. De plus, la directive prévoit expressément la possibilité de recourir, le cas échéant, à des moyens techniques de communications tel que la visioconférence ou le téléphone (article 2§6). Cette possibilité, certes positive, soulève également des difficultés quant à l’identification de l’interprète ou encore quant au respect du secret professionnel.

Enfin, et d’un point de vue strictement procédural, qu’en sera-t-il dans les procédures de comparution immédiate ? Le délai d’appel et de pourvoi devra-t-il être prolongé pour permettre la traduction de la décision ? Quelles seront les modalités de preuve de la mauvaise qualité de la traduction ? Sera-t-il possible de récuser un interprète ? Quelles seront les conséquences sur la validité d’un acte ?

L’apport de cette directive concernant le respect du procès équitable et des droits de la défense, droits qui guident la mise en œuvre de cette directive, est certain mais la transcription de ces nouvelles exigences n’est pas sans soulever des difficultés pratiques, en particulier concernant la traduction. L’insertion du caractère qualitatif ne va-t-elle pas finalement contrevenir au but poursuivi par la directive ? Seule la loi de transposition qui devra intervenir au plus tard le 27 octobre 2013 donnera des réponses à ces interrogations.