Quand le droit de l’Union complète heureusement la Convention de Genève, précisions jurisprudentielles sur la clause d’exclusion de la directive « Qualification » (CJUE, Grande Chambre, 19 décembre 2012, Abed El Karem El Kott et autres, C-364/11)

par Joanna Pétin, CDRE

Après avoir éclairci la portée du devoir de coopération et du droit d’être entendu en matière d’asile (CJUE, 22 novembre 2012, M.M., C-277/11, annoté ici), les juges de l’UE ont eu à connaitre à nouveau, le 19 décembre dernier, des dispositions de la directive “Qualification” (remplacée aujourd’hui par la directive 2011/95 du 13 décembre 2011). S’il s’agissait en l’espèce de traiter de la « clause d’exclusion » du statut de réfugié contenue en son article 12§1, l’arrêt du 19 décembre 2012, Abed El Karem El Kott et autres (C-364-11) a fourni l’occasion, s’il en était encore besoin, de rappeler que la Convention de Genève demeure la pierre angulaire du régime d’asile européen commun (points 42 de l’arrêt).

Les requérants, M. Abed El Karem El Kott, M. Amin A Radi et M. Kamel Ismail, tous trois apatrides d’origine palestinienne, vivant au Liban sous la protection de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA), ont dû fuir le territoire libanais et se réfugier en Hongrie, du fait de violences perpétrées à leur encontre par des groupes armés. Une fois sur le sol hongrois, ces derniers ont souhaité obtenir le statut de réfugié en vertu des dispositions de l’article 12§1 sous a) in fine de la directive « Qualification ». Les autorités hongroises n’ayant pas fait droit à leur demande, la Fovarosi Birosag (Cour de Budapest), saisie du litige, a décidé de surseoir à statuer et de saisir la CJUE d’un renvoi préjudiciel.

Ce n’est pas la première fois que les juges de Luxembourg se penchent sur la question des « réfugiés palestiniens » et sur le sens de l’article 12§1 sous a) de la directive « Qualification ». En effet, dans une affaire Bolbol (C-31/09) du 17 juin 2010, la Cour avait déjà eu à connaitre d’un contentieux similaire. Cependant, elle y avait conclu que la requérante n’avait pas effectivement eu recours à l’assistance de l’UNRWA, et donc qu’il n’y avait pas lieu de répondre à toutes les questions préjudicielles. La CJUE  apporte aujourd’hui quelques éclairages aux interrogations restées sans réponse.

L’article 12§1 sous a) dispose que « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié: a) lorsqu’il relève de l’article 1er, section D, de la convention de Genève, concernant la protection ou l’assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé conformément aux résolutions pertinentes de l’assemblée générale des Nations unies, ces personnes pourront ipso facto se prévaloir de la présente directive ».

Cette dernière phrase de l’article 12§1 sous a), prévoyant une exception à l’exclusion du statut de réfugié, réclamait des précisions, du point de vue de la juridiction hongroise. Soulignant que les requérants avaient tous eu effectivement recours à l’assistance de l’UNRWA, celle-ci s’interrogeait sur les conditions dans lesquelles il peut être considéré que cette assistance a cessé, et partant,  sur « la nature et la portée des garanties dont bénéficie ipso facto la personne concernée ». Les réponses de la Cour combinent heureusement droit de l’Union et droit international des réfugiés pour donner tout son effet utile au premier.

Cessation d’assistance et faits extérieurs à la volonté du demandeur de protection

L’article 12§1 sous a) de la directive est applicable si la protection ou l’assistance cesse « pour quelque raison que ce soit, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé ». La CJUE était sollicitée afin d’apporter des précisions sur le sens et la portée de cette disposition. La cessation de la protection doit en effet résulter de la suppression de l’organisme protecteur, de l’impossibilité pour cette organisation d’assurer sa mission ou encore de faits échappant au contrôle du requérant et indépendants  de sa volonté (point 58).

Du point de vue de la Cour, le fait que la convention de Genève, à laquelle renvoie l’article 12§1, sous a) de la directive 2004/83 se limite à exclure de son champ d’application les personnes qui «bénéficient actuellement» d’une protection ou d’une assistance de la part d’un tel organisme ou d’une telle institution des Nations unies « ne saurait être interprété en ce sens que la simple absence ou le départ volontaire de la zone d’opération de l’UNRWA suffirait pour mettre fin à l’exclusion du bénéfice du statut de réfugié prévue à cette disposition » (point 49).

Cette précision aurait pu s’avérer inutile. Pour déposer une demande de protection internationale, il faut impérativement se trouver hors de son pays d’origine ou de résidence habituelle. Pour autant, cette précision revêt une importance particulière au regard des conclusions passées de l’avocat général Sharpston, dans l’affaire Bolbol, soulignant que l’exclusion ne s’appliquait que lorsque la personne concernée était physiquement présente dans la zone d’opération de l’UNRWA (point 59). Le même avocat général était revenu ici sur cette position : la seule absence de la zone d’intervention de l’UNRWA ne doit pas suffire à lever l’exclusion du statut de réfugié, « il doit y avoir un élément déclencheur additionnel » (points 53 et 54 des conclusions).

La CJUE suit cette opinion. Elle relève que « le seul départ du demandeur du statut de réfugié de la zone d’opération de l’UNRWA, indépendamment du motif de ce départ, ne [peut] pas mettre fin à l’exclusion » prévue à l’article 12§1 sous a) de la directive « Qualification » (point 55 de l’arrêt).

Aussi, la cessation de protection ou d’assistance doit être due à des faits extérieurs à la volonté du requérant, comme la Cour le note à propos du réfugié palestinien qui était l’enjeu du débat. Il est « contraint » à un départ forcé, se trouve dans un « état personnel d’insécurité grave » et l’UNRWA « dans l’impossibilité de lui assurer, dans cette zone, des conditions de vie conformes » à sa mission (point 63 de l’arrêt). Il appartient alors à l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile de vérifier que la personne concernée était bel et bien contrainte de quitter la zone d’opération de l’UNRWA et ceci en procédant à une « évaluation individuelle » des éléments pertinents (point 64).

L’intéressé se retrouve donc dans un parcours d’exil pour sauvegarder sa vie ou liberté, pouvant ouvrir droit à la reconnaissance du statut de réfugié. Dans ces conditions, il n’est pas illogique que le statut de réfugié soit reconnu ipso facto à la personne concernée.

La reconnaissance ipso facto du statut de réfugié

Si la cessation de la protection ou de l’assistance de l’UNRWA est subie par le requérant, ce dernier peut prétendre à la reconnaissance de plein droit de la qualité de réfugié.

Pour en arriver à cette solution, la CJUE s’attache à la lettre de l’article 12§1 sous a) de la directive « Qualification », mais surtout à la lettre de l’article 1e, section D de la Convention de Genève (point 71 de l’arrêt). Par une comparaison des versions linguistiques, les juges de l’UE concluent à la reconnaissance de plein droit du statut de réfugié.

Puisque la disposition de l’article 12§1 sous a) de la directive « Qualification » ne prévoit pas le simple accès à la procédure d’examen d’une demande d’asile (point 72 de l’arrêt), « le droit qui nait en raison de la cessation de l’assistance de l’UNRWA doit être quelque chose de plus que le simple droit de solliciter un tel statut » (point 61 des conclusions).

Toutefois, cette disposition « n’entraine pas (…) un droit inconditionnel de se voir reconnaitre le statut de réfugié » (point 75 de l’arrêt). Si le requérant ne doit pas nécessairement démontrer qu’il entre dans le champ de la définition d’un réfugié prévue à l’article 2 sous c) de la directive, l’Etat membre ne doit pas se dispenser d’examiner certains éléments.

En effet, les autorités nationales doivent vérifier que le requérant s’est effectivement réclamé de la protection ou l’assistance de l’UNRWA (pour une analyse d’un recours effectif à la protection de l’UNRWA, voir les conclusions et l’arrêt Bolbol), que cette protection ou assistance a cessé pour des faits extérieurs à sa volonté mais également que le requérant ne tombe pas sous le coup des autres clauses d’exclusion prévues par la directive (point 76 de l’arrêt).

Si toutes ces conditions sont remplies, le requérant se verra reconnaitre ipso facto le statut de réfugié. Cependant, dans le cas contraire, il est permis de s’interroger sur le possible recours à la protection subsidiaire.

Le complément de la protection subsidiaire

Le recours à la protection subsidiaire posait une question supplémentaire à trancher puisque le droit de l’Union à travers la directive 2004/83 connaît cette forme de protection inconnue de la Convention de Genève.

La formulation de l’article 12§1 sous a) de la directive « Qualification » ne laisse en effet aucun doute : seul est concerné le statut de réfugié puisque cet article renvoie de manière explicite à la Convention de Genève. Puisque « l’article 12§1 sous a) de la directive 2004/83 n’exclut aucune personne de la protection subsidiaire » (point 68 de l’arrêt), la réponse de la Cour allait d’elle-même.

Comme les juges de l’UE le précisent, « l’article 17 [de la directive Qualification], qui énonce les causes d’exclusion de la protection subsidiaire, ne se réfère nullement au bénéfice de la protection ou de l’assistance d’un organisme tel que l’UNRWA ». De plus et enfin, comme le rappelle l’avocat général dans ses conclusions, les Etats membres peuvent, en vertu de l’article 3 de la directive, mettre en œuvre des mesures plus favorables (point 43 des conclusions).

Dès lors, rien ne s’oppose à ce que le requérant débouté de sa demande en vertu de l’article 12§1 sous a) in fine se voie reconnaitre la protection subsidiaire. Dans l’affaire au principal, la Hongrie a d’ailleurs octroyé à M. Kamel Ismail et sa famille une telle protection.

Cette solution s’impose au regard du nécessaire respect du principe de non refoulement. Si le requérant est exclu du statut de réfugié, mais qu’il est raisonnable de croire qu’il existe un risque pour sa vie ou sa liberté en cas de renvoi dans sa pays de résidence habituelle, le recours à la protection subsidiaire ou toute autre mesure contre l’éloignement est nécessaire. Ce souci du respect du principe de non refoulement est d’ailleurs évident dans les affaires dont la CJUE a eu à traiter au travers de l’article 12§1 sous a), puisque dans l’affaire Bolbol comme dans celle au principal, la Hongrie avait pris des mesures contre l’éloignement du territoire des requérants.

Au total, cette interprétation de la CJUE est effectuée dans le respect de la Convention de Genève, confirmant une fois de plus la place prééminente de celle-ci dans le régime d’asile européen commun mais également dans le respect des droits fondamentaux et du droit de l’Union dont le caractère protecteur apparaît une fois encore. La nouvelle directive 2011/95 du 13 décembre 2011 ne contrevient pas à ce constat, en reprenant à la lettre l’ancienne formulation de l’article 12§1 sous a).