Recours effectif et procédure accélérée en matière d’asile : l’écho luxembourgeois de la jurisprudence de la CEDH

par Joanna Petin, CDRE

Tout comme l’affaire N.S. a fait écho à Luxembourg à la jurisprudence M.S.S. de la CEDH, l’arrêt H.I.D et B.A (C-175/11). rendu le 31 janvier 2013 par la Cour de justice de l’Union parait répondre aux enseignements de l’arrêt I.M. contre France dont avait eu à connaitre la Cour européenne des droits de l’homme, le 2 février 2012. Dans les deux affaires, étaient en cause les procédures prioritaires (ou accélérées) d’examen de demande de protection internationale face aux exigences du droit à un recours effectif.

Le 31 janvier 2013, la CJUE a donc eu à statuer sur un renvoi préjudiciel irlandais relatif à la directive 2005/85, dite directive « Procédures ». En l’espèce, deux ressortissants de nationalité nigériane, dont la demande de protection internationale avait été rejetée par les autorités nationales, avaient formé un recours devant la High Court afin de contester le classement en procédure accélérée de leur demande de protection du fait de leur nationalité. Ils faisaient valoir le fait qu’ils n’ont pas bénéficié d’un recours effectif devant le Refugee Appeals Tribunal, qu’ils ne considèraient pas comme une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.

C’est dans ce contexte que la CJUE a été amenée à répondre à deux questions préjudicielles concernant les dispositions de la directive « Procédures », à savoir ses articles 23 §§3 et 4 et 39. Dans un premier temps, la juridiction irlandaise demandait, en substance, si l’article 23§3 et §4 s’oppose à ce qu’un Etat membre soumette à une procédure accélérée ou prioritaire l’examen de certaines catégories de demandes de protection en se fondant sur la nationalité ou le pays d’origine du demandeur. Dans un second temps, il était demandé à la CJUE si la réglementation irlandaise, prévoyant le Refugee Appeals Tribunal comme instance de recours, était compatible avec le jeu du droit à un recours effectif.

Suivant les conclusions de l’avocat général Bot du 6 septembre 2012, mais également dans la lignée de sa jurisprudence Samba Diouf du 28 juillet 2011, les juges de l’UE rappellent, d’une part, les principes guidant le classement en procédure prioritaire (ou accélérée) d’une demande de protection internationale, et d’autre part, l’importance de considérer l’ensemble du système administratif et judiciaire d’un Etat membre, ici le système d’octroi et de retrait du statut de réfugié, afin d’apprécier l’effectivité du recours.

Le classement d’une procédure prioritaire ou accélérée doit respecter les droits des demandeurs

La réponse de la CJUE à la première question préjudicielle découle d’un raisonnement limpide. En matière de protection internationale, la nationalité ou le pays d’origine revêtent une importance particulière pour l’examen d’une demande de protection (§§ 71 et 72). En toute logique, ces éléments entrent donc en ligne de compte pour justifier l’examen d’une demande dans le cadre d’une procédure accélérée ou prioritaire (§ 77).

Dans la mesure où la problématique de la nationalité comme critère de classement en procédure prioritaire ou accélérée était au cœur de la première question préjudicielle, la CJUE saisit cette occasion pour rappeler les principes guidant la mise en œuvre d’une procédure de ce type. Ce rappel laisse penser que les juges de l’UE font écho à la jurisprudence I.M. contre France de la CourEDH dans laquelle la Cour avait conclu à la condamnation de la France pour violation de l’article 13 CEDH combiné à l’article 3.

Pour les juges de Luxembourg, l’objectif de rapidité d’examen des demandes de protection internationale peut impliquer que certaines demandes de protection soient traitées de manière prioritaire (§§ 59 à 61). Ce point n’est d’ailleurs pas contesté par la CourEDH qui reconnait que les procédures d’asile accélérées peuvent faciliter le traitement des demandes pour les Etats confrontés à un grand nombre de demandes de protection (§ 142 de l’arrêt I.M).

De plus, selon la CJUE, les Etats membres bénéficient, notamment au regard du considérant 11 de la directive n°2005/85, d’une marge d’appréciation quant à l’organisation du traitement des demandes de protection internationale (§§ 62 et 66 à 70). Cette reconnaissance de la marge d’appréciation des Etats membres dans ce domaine avait d’ailleurs déjà été relevée aux points 29 et 30 de l’affaire Samba Diouf en 2011.

Toutefois, si la possibilité de recourir à une procédure accélérée ou prioritaire est reconnue aux Etats membres, les juges de l’UE, tout comme la CourEDH, rappellent que le recours à cette procédure ne doit pas se faire au détriment des droits du demandeur de protection, notamment reconnus par la directive « Procédures » (§§ 74 et 75 de l’arrêt au principal ; §147 de l’arrêt I.M.). « Il appartiendra [alors] au juge national de vérifier si tous les principes de base et les garanties fondamentales énoncés au chapitre II de la directive 2005/85 ont été concrètement respectés » dans le cadre de la procédure prioritaire ou accélérée (point 72 des conclusions). Ce que, en l’espèce, les requérants au principal n’avaient pas fait valoir en apportant la preuve que le traitement prioritaire de leur demande les avait privé de leurs droits garantis par la directive n°2005/85(§76).

Les exigences du droit à un recours effectif

Dans l’affaire au principal, les requérants contestaient la qualité de « juridiction » du Refugee Appeals Tribunal et faisant ainsi valoir que leur droit à un recours effectif, au sens de l’article 39 de la directive « Procédures » avait été bafoué.

La CJUE, et ce n’est pas une difficulté pour elle, analyse donc la qualité de « juridiction » du Refugee Appeals Tribunal, et rappelle qu’il convient pour apprécier l’effectivité du recours de considérer l’ensemble du système, en l’espèce irlandais, d’octroi et de retrait du statut de réfugié. Pour les juges de l’UE, l’article 39 de la directive « Procédures » ne s’oppose pas à une réglementation telle que celle en cause au principal (§105).

L’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE consacre le principe de protection juridictionnelle effective, qui est un principe général du droit de l’UE (voir notamment § 49 de l’arrêt Samba Diouf). Dès lors, au nom de ce principe, un droit à un recours effectif doit être garanti. C’est en ce sens que l’article 39 de la directive «Procédures » est doit être lu. Toute décision impliquant un rejet de la demande de protection doit pouvoir faire l’objet d’un recours effectif devant une juridiction au sens de l’article 267 TFUE.

Or, les requérants ont pu bénéficier ici de voies de recours contre les décisions de rejet de leur demande. Toutefois, s’ils ont pu avoir accès à un recours, ces derniers contestent la qualité de « juridiction » du Refugee Appeals Tribunal. La CJUE s’attache alors à vérifier si cette instance peut être considérée comme une juridiction et si un recours devant celle-ci peut être qualifié de recours effectif.

Les juges de l’UE commencent par rappeler les caractéristiques qu’un organisme de renvoi doit posséder pour être qualifié de « juridiction » (§ 83). Pour eux, il ne faut aucun doute que le Refugee Appeals Tribunal satisfait notamment aux critères de l’origine légale, de la permanence, de l’application des règles de droit (§ 84) ou encore au critère du caractère obligatoire de ses décisions (§ 87).

S’agissant du caractère contradictoire de la procédure, la Cour rappelle que ce critère n’est pas absolu (§88) mais constate que dans le système irlandais contesté « chaque partie peut avoir l’occasion de faire connaitre au Refugee Appeals Tribunal toute information nécessaire au succès de la demande d’asile ou à la défense » (§91). Au niveau de l’indépendance du Refugee Appeals Tribunal, la CJUE relève un bémol au regard du système de révocation de ses membres (§101). Toutefois, les possibilités de recours devant la High Court puis, le cas échéant, devant la  Supreme Court semblent  « par elle-même, de nature à prémunir le Refugee Appeals Tribunal contre d’éventuelles (…) pressions extérieures » (§103).

La CJUE conclut alors à la qualité de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE de cet organisme de renvoi, ce qui conforte le jeu du droit à un recours effectif des requérants.

En tout état de cause, comme l’indique le considérant 27 de la directive « Procédures » et comme l’a déjà souligné le juge de l’UE dans l’arrêt Samba Diouf en son point 46, « l’effectivité du recours (…) dépend du système administratif et judiciaire de chaque Etat membre considéré dans son ensemble » (§ 103).En ce sens, la CourEDH dans l’affaire I.M. rappelle également la marge d’appréciation des Etats quant à l’organisation des voies de recours internes et note que « l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13 [CEDH] même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul » (§ 129 in fine).

On le voit, les mêmes principes sont rappelés par les juges des cours européennes au travers de leurs instruments de protection des droits fondamentaux respectifs. Une fois encore le dialogue des juges est à l’œuvre.

On notera enfin, en conclusion, que le 1e juin 2011, une proposition de refonte de la directive « Procédures » a été proposée par la Commission. Si les articles en cause au principal ont été remaniés (article 31§5 et §6 relatif au classement en procédure prioritaire ou accélérée; article 46 sur le droit à un recours effectif), la solution dégagée par la CJUE dans cette affaire du 31 janvier 2013 restera néanmoins pérenne.