Quel avenir pour le comité de sécurité intérieure européenne (COSI) ?

par Pierre Berthelet, CDRE

Europol vient de publier son programme de travail[1] pour l’année 2014. Ce document  stratégique que le Conseil d’administration de l’office européen de police a adopté le 15 novembre 2013, fait référence à plusieurs reprises au Comité de sécurité intérieure ou COSI.  Prévu à l’article 71 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), le COSI (appelé aussi comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure) est une nouveauté du traité de Lisbonne. Une décision[2] adoptée par le Conseil de l’Union du 25 février 2010 vient préciser ses missions. Elle indique à l’article 2 qu’il « facilite, promeut et renforce la coordination des actions opérationnelles des autorités des États membres compétentes en matière de sécurité intérieure ».

Le Comité de sécurité intérieure, comme la Task Force des chefs de police, est parvenu à trouver sa voie en menant à bien une série de projets. Le développement institutionnel (1) est intimement lié à l’existence d’un objectif fédérateur, ce qui rappelle la démarche téléologique de la construction européenne: un développement institutionnel et matériel autour de buts mobilisateurs.

Et c’est dans cette atmosphère de discussions institutionnelles[3] quant à la suite à donner au programme quinquennal de Stockholm[4] approuvé par les chefs d’Etat et de gouvernement en 2009, mais aussi d’achèvement de la mise en œuvre de la Stratégie européenne de sécurité intérieure[5] adopté par ces mêmes chefs d’Etat et de gouvernement en 2010, que se pose la question de l’avenir du Comité de sécurité intérieure. Les enjeux actuels et futurs ont trait à la réflexion continue du COSI à la lumière de l’expérience accumulée ainsi que des difficultés persistantes constatées (2).

1. Le développement du Comité de sécurité intérieure (COSI)

 La Task force des chefs de police (TFCP) constitue les prémisses du Comité de sécurité intérieure (1.1). Les résultats de cette Task force dont l’activité s’est déroulée entre les années 2000 et 2009, ont été mitigés. Ces résultats en demi-teinte ont conduit à la création du Comité de sécurité intérieure (1.2).

 1.1 Les prémisses du Comité de sécurité intérieure : la Task force des chefs de police (TFCP)

Historiquement, la création du Comité de sécurité intérieure est l’aboutissement d’un processus initié depuis maintenant près de quinze ans. Le Conseil européen de Tampere a demandé la création d’une « structure de liaison opérationnelle » dans ses conclusions[6] du 16 octobre 1999 lors du sommet de Tampere. En réponse, une Task force des chefs de police a été instituée l’année suivante dont la mission se situe sur un plan à la fois stratégique et opérationnel[7] : elle a pour tâche d’un côté, d’apporter un éclairage au Conseil « Justice et affaires intérieures » et, d’autre part, d’organiser et de coordonner les actions des services répressifs des Etats membres de l’Union européenne.

Au cours de ses neuf années d’existence, la Task Force a abordé bon nombre de sujets allant du développement de nouvelles technologies aux réformes des agences européennes de sécurité en passant par la lutte contre la drogue,  la criminalité organisée et le terrorisme. De surcroît, elle a été informée régulièrement par les présidences successives du Conseil des résultats des négociations des projets en cours au sein de l’Union ainsi que de certaines rencontres importantes avec des représentants d’organisations et de pays tiers. Qui plus est, elle a assuré le pilotage des projets COSPOL (Comprehensive Operational Strategic Planning for the Police) qu’elle a par ailleurs initié. COSPOL constitue une nouvelle méthodologie[8] pour la coopération policière multilatérale au niveau de l’Union. Ce n’est donc ni une nouvelle structure, ni un nouvel outil, comme le précise les conclusions[9] de la Task force des chefs de police des 11 et 12 octobre 2004.

Les résultats de cette Task force des chefs de police se sont avérés être malgré tout en demi-teinte. Si les progrès ont été indéniables en termes de supervision des projets COSPOL, la première difficulté à laquelle s’est heurtée la Task force a été le manque de moyens. Cette Task Force possédait des ressources logistiques limitées issues du secrétariat général du Conseil. Une unité soutien, la « PCTF Support Unit »[10], a dès lors, été mise en place au sein d’Europol pour surmonter cet obstacle et ce, suite à une décision de la Task force des chefs de police d’octobre 2005. Cette unité de soutien avait une fonction à la fois administrative et opérationnelle[11]. Sur le plan administratif, elle était chargée de faire office de point de contact entre les différentes structures compétentes (Secrétariat général, Europol, Eurojust, Interpol, Frontex et les Etats membres). Sur le plan opérationnel, elle avait pour mission d’assister la présidence du Conseil dans la réalisation des aspects opérationnels de l’activité de la Task force.

La seconde difficulté, qui, par contre, n’a pas été surmontée du tout, au long de ses neuf années d’existence, avait trait au manque de capacité de décision des participants. Les réunions semestrielles ont rassemblé les hauts responsables de la police. Or, à quelques exceptions près, les Etats membres ont envoyé des délégués jouissant d’un pouvoir limité, ne disposant pas de pouvoir décisionnel au sein de leur administration capable d’engager celle-ci en cas de besoin. Qui plus est, les Etats éprouvaient des difficultés de coordination interne, surtout ceux ayant des systèmes de police décentralisés ou de nature fédérale.

 1.2 De la TFCP  au COSI

 Le Comité de sécurité intérieure avait vocation à prendre la relève de la Task Force des chefs de police. La Task Force s’est concentrée sur la gestion des projets COSPOL. Le COSI s’est, de son côté, attelé à revoir la méthodologie de ces projets et à assurer la supervision des projets EMPACT qui constituent la poursuite des projets COSPOL renouvelés et reformulés il est vrai, au regard de l’expérience engrangée  depuis lors. En soi, le Comité de sécurité intérieure aurait dû naître plus tôt. Il était en effet prévu par le traité constitutionnel et il avait été mentionné dans le calendrier du programme de La Haye[12]. Pour autant, les Etats membres ont jugé opportun de reporter sa création effective après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. En effet, il était politiquement délicat de mettre en application une disposition prévue par le traité constitutionnel alors même que celui-ci n’est jamais devenu du droit positif. Les Etats ont donc préféré attendre l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne qui a repris à cet égard les dispositions du traité constitutionnel au sujet du Comité de sécurité intérieure. De nombreuses discussions et réflexions ayant eu lieu en amont, le texte de droit dérivé, en l’occurrence la décision du 25 février 2010, a pu être adoptée rapidement, soit  un peu plus de deux mois et demi après l’entrée en vigueur du traité, en l’occurrence le 1er décembre 2009. Le COSI a tenu sa première réunion dans la foulée.

Pour ce qui est du Comité de l’article trente-six (CATS) ex Comité de l’article K.4, ce groupe de travail du Conseil demeure un maillon de l’activité de l’Union en matière législative. La décision du 25 février 2010 cantonne, quant à elle, le Comité de sécurité intérieure aux activités opérationnelles en indiquant à l’article 4.2 qu’il n’est pas associé à l’élaboration des actes législatifs. Pour autant, son spectre d’action ne s’étend pas à l’ensemble des activités opérationnelles. L’article 4.1 ajoute en effet qu’il n’est pas associé à la conduite d’opérations.

La coopération et la coordination opérationnelles effectives (article 3 de la décision) ainsi que la promotion et le renforcement de la coordination des actions opérationnelles des autorités des États membres compétentes en matière de sécurité intérieure (article 2) apparaissent comme les tâches centrales du Comité de sécurité intérieure. Pour l’heure, l’accomplissement de ces tâches du COSI a lieu dans le cadre d’EMPACT (European Multidisci- plinary Platform against Criminal Threat). Ce dernier correspond au reformatage de la méthodologie de COSPOL. Le Comité de sécurité intérieure a procédé le 1er juin 2011, à cet égard, à une révision des termes de référence du COSPOL. Selon un document[13] du Conseil du 3 novembre 2011, EMPACT consiste en une plate-forme de coopération multidisciplinaire associant les Etats membres, les agences européennes compétentes en matière de sécurité, les pays tiers et des organisations publiques et privées.

Le Comité de sécurité intérieure opère un suivi des projets menés. Ceux-ci s’inscrivent dans la même philosophie des projets COSPOL à une différence près. Certes, il s’agit de mener à l’échelon multilatéral des actions entre un ensemble d’acteurs contre la criminalité organisée et les formes graves de criminalité. Toutefois, ces projets EMPACT s’inscrivent dans la perspective d’un projet plus vaste : le cycle de gestion en matière de lutte contre la criminalité organisée au sein duquel le Comité de sécurité intérieure a vocation à jouer un rôle prééminent.

2. Les enjeux actuels et futurs du COSI

Les enjeux actuels du Comité concernent essentiellement le bon déroulement du cycle de gestion en matière de lutte contre la criminalité organisée, dans le respect du calendrier prévu (2.1). Les enjeux futurs ont trait, quant à eux, à une possible évolution institutionnelle le concernant (2.2).

2.1 Le rôle du COSI dans le cycle

Le cycle de gestion en matière de lutte contre la criminalité organisée repose sur des conclusions[14] approuvées par le Conseil lors de sa session des 8 et 9 novembre 2010. D’une part,   les ministres du Conseil JAI jugent nécessaire de mieux rationaliser les structures et les instruments existants. D’autre part, ils estiment impératif la mise en place d’une approche cohérente, pluridisciplinaire et intégrée en vue d’améliorer la cohérence et l’efficacité des actions menées afin de lutter contre la grande criminalité internationale organisée. À cet égard, ils avaient chargé le 15 juillet 2010, le Comité de sécurité intérieure  de mettre en place une méthodologie. C’est ainsi que le COSI a décidé d’instaurer ce cycle de gestion en matière de lutte contre la criminalité organisée.

Le Comité de sécurité intérieure a validé la méthodologie pour le document évaluatif de la menace que représente la criminalité organisée (SOCTA UE)[15]. Il a préparé le projet de conclusions du Conseil sur les priorités en la matière, en 2011 et en 2013, correspondant respectivement aux deux phases du cycle, 2011-2013 d’une part, 2013-2017 d’autre part.

Enfin, le Comité de sécurité intérieure a pour tâche d’adopter les plans stratégiques pluriannuels de même que les plans d’action opérationnels annuels. Il a aussi pour mission de coordonner et de suivre leur mise en œuvre. C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il a validé en octobre 2013 les plans stratégiques multi-annuels (MASP)[16] sur la base des recommandations émises par le Conseil dans ses conclusions du 7 juin 2013 réclamant une prise en considération des questions de dimension régionale, du blanchiment d’argent, du recouvrement d’avoirs et de la tendance croissante des groupes criminels organisés à la polycriminalité. Le Comité de sécurité intérieure validera ensuite chacun des plans d’action opérationnels fin 2013 en vue de leur mise en œuvre début 2014. Il opérera l’évaluation des plans d’action stratégiques puis il procèdera enfin à l’évaluation du cycle dans son ensemble au second semestre 2017.

2.2 La perspective d’évolutions possibles du Comité de sécurité intérieure

L’évolution envisageable est susceptible de s’opérer autour de divers axes, en particulier la rationalisation de l’activité interne (2.2.1), le renforcement de l’influence des hauts responsables de sécurité intérieure en son sein en vue d’améliorer la fonction du COSI de conseiller du Prince qui est, il faut bien le reconnaître, encore virtuelle à maints égards (2.2.2), et enfin la dotation du Comité de sécurité intérieure d’une nouvelle méthodologie d’évaluation de ses actions (2.2.3).

2.2.1 Rationalisation de l’activité interne

L’activité du Comité de sécurité intérieure s’avère être foisonnante. Ses membres abordent des thèmes aussi variés que le plan d’action de la stratégie de sécurité intérieure, le projet de règlement instituant le Fonds pour la sécurité intérieure, les rapport entre lui d’une part, et le Comité politique et de sécurité (Cops), ainsi que le Service européen d’action extérieure (SEAE) d’autre part, dans le cadre des liens entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure, et la préparation du règlement destiné à mettre en œuvre la clause de solidarité prévue à l’art. 222 TFUE. La décision du 25 février 2010 précitée indique à ce propos à l’article 3.3 que « le comité permanent assiste le Conseil conformément aux dispositions de l’article 222 du traité ». Le Comité a également avalisé le mécanisme de coordination relatif aux opérations conjointes[17] destiné notamment à assurer une coordination à un stade précoce des opérations de police conjointes, des opérations douanières conjointes et des activités de Frontex. L’un des axes de réforme possible du Comité portera certainement sur une rationalisation de son activité. L’idée est de restreindre celle-ci autour d’un nombre limité de priorités que le comité prendra le temps d’examiner et de débattre.

Certains Etats, en l’occurrence, la France, l’Espagne, la Suède et l’Italie, réfléchissent à une évolution éventuelle du Comité de sécurité intérieure. Selon eux,  il s’agirait de permettre au COSI de se ménager du temps pour traiter de questions importantes mais qui lui échappent pour l’heure encore en grande partie, en premier lieu, la lutte antiterroriste. Cette marge de manœuvre ainsi dégagée est de nature à lui conférer les moyens nécessaires pour, le cas échéant, aborder des points d’actualité si nécessaire. L’idée est donc, et c’est le deuxième axe de la réforme possible, d’accorder davantage de souplesse au fonctionnement des réunions du comité afin de lui permettre d’organiser des rencontres thématiques. Ces réunions sont destinées à rassembler seulement certains Etats membres, en l’occurrence ceux s’estimant confrontés à la même situation.

Pour ces Etats désireux de faire évoluer le Comité de sécurité intérieure, une piste de réflexion serait de permettre au Comité de mener à bien un échange de vues sur un sujet particulier et, le cas échéant, de formuler un ensemble de recommandations. Tout en préservant le droit d’initiative de la Commission, il doit être en mesure, et c’est le troisième axe de la réforme possible, de jouer un rôle d’impulsion en relayant les demandes des services nationaux en matière de réglementation à l’échelle européenne. En soi, cette réforme pourrait se faire à droit constant. L’article 4.2 de la décision du 25 février 2010 qui interdit au Comité l’élaboration d’actes législatifs, ne serait aucunement modifié. Le Comité fait en effet seulement office de relais auprès de la Commission qui conserve son monopole de l’initiative législative.

L’idée est d’allouer au Comité de sécurité intérieure le temps nécessaire pour être en mesure de réagir face à des évènements graves comme un attentat terroriste imprévu ou l’émergence subite d’une nouvelle menace. Le COSI doit pouvoir être à même de discuter d’un sujet donné et de définir les orientations nécessaires à cet égard. Autrement dit, il doit  être en mesure de tenir une discussion de nature stratégique en présence des hauts responsables de sécurité, le but étant que les orientations prises puissent être validées par les ministres et être mises en œuvre au plus vite par les services répressifs nationaux concernés. C’est le quatrième axe d’une possible réforme.

2.2.2 Renforcement de l’influence des hauts responsables de sécurité intérieure

Satisfaire cette ambition d’un Comité de sécurité intérieure disposant ayant un format stratégique, requiert une implication plus grande de ces hauts responsables de sécurité intérieure dans les réunions du groupe. Or, force est de constater que, pour l’heure, cette participation reste timide. A cet égard, la transformation de la Task Force des chefs de police en COSI n’a pas eu l’effet escompté. Le cinquième axe de la réforme éventuelle pourrait porter sur l’association de ces hauts responsables, le but étant d’organiser des réunions du Comité d’après des formats différents selon les points mis à l’ordre du jour. Ainsi, ces hauts responsables seraient amenés à se rencontrer pour traiter des aspects les plus délicats (comme la synchronisation des programmes d’activité des agences européennes de sécurité, la résolution des principaux problèmes auxquels elles se heurtent en matière de partage de l’information entre elles, la programmation générale des opérations conjointes menées au niveau de l’Union européenne ou encore le règlement de certaines difficultés de financement), le reste étant à charge des participants aux discussions d’ordre opérationnel du COSI.

Par ailleurs, les nécessités de hiérarchisation des priorités et de rationalisation de l’activité amènent le Comité de sécurité intérieure à se spécialiser. Pour l’heure, le COSI Support Group (ou COSI SG) apparaît comme un groupe fourre-tout qui comprend un volet opérationnel (analyse du cycle de gestion) et traite aussi des dossiers thématiques : ENLETS (European Network of Law Enforcement Technology Services), crime environnemental, trafics d’armes à feu, combattants étrangers, etc. … Les dossiers sont vus assez rapidement, le COSI SG n’étant pas un groupe thématique du Conseil. L’un des développements futurs du Comité doit conduire ce dernier à occuper la fonction de conseiller du Prince sur les sujets ayant trait à la coopération opérationnelle. C’est le sixième axe d’une possible réforme. Le but est de renforcer ses capacités dans ce domaine, afin de lui permettre de participer à la prise des décisions de nature plus politique, en particulier un éventuel dédoublement du cycle existant à d’autres thèmes comme la protection civile, ou encore la définition des priorités d’un cycle de gestion réformaté, s’étendant, par exemple, à la gestion des frontières extérieures de l’Union. C’est d’ailleurs ce que proposent ces Etats désireux de faire évoluer le Comité de sécurité intérieure. Ce dernier doit être à même d’éclairer les ministres du Conseil JAI sur les décisions importantes à prendre dans le cadre de la stratégie européenne de sécurité intérieure dont le prochain et dernier rapport de mise en œuvre de la stratégie sera, au demeurant, présenté par la Commission en 2014. Il s’agirait en particulier de permettre aux ministres d’amener les agences européennes à mieux coordonner leurs programmes d’activité à la lumière des mesures définies dans la stratégie d’un côté, et des priorités prises en matière de lutte contre les menaces à la sécurité intérieure, telles que déterminées dans le ou les cycles de gestion, d’autre part.

2.2.3 Nouvelle méthodologie d’évaluation des actions du Comité

Enfin, le dernier axe d’une possible réforme consisterait à octroyer au Comité de sécurité intérieure une méthodologie formalisée d’évaluation et ce, en vue de lui permettre de remplir pleinement la mission qui lui est allouée à l’article 3.2 de la décision du 25 février 2010, à savoir l’évaluation de « l’orientation générale et l’efficacité de la coopération opérationnelle; [le Comité] identifie les éventuelles lacunes ou défaillances et adopte les recommandations concrètes appropriées pour y remédier ».

Cette question de la méthodologie est fondamentale. Le rapport d’évaluation[18] du premier cycle de gestion pour la période 2011-2013 le souligne : le cycle de gestion aura des effets tangibles sur la lutte contre les phénomènes criminels identifiés seulement si les décisions politiques sont prises par les Etats membres  et si celles-ci sont effectivement et loyalement mises en œuvre, selon  les termes mêmes du rapport.

Une telle question est sensible parce qu’elle est susceptible de conduire à un approfondissement du processus d’évaluation à l’échelle européenne des politiques nationales de sécurité. Pour l’heure, ce processus d’évaluation effectué par l’Union existe. Il y a en effet des évaluations susceptibles d’aborder certains aspects de ces politiques, en l’espèce celles effectuées par le groupe GENVAL du Conseil en vertu de l’action commune[19] du 5 décembre 1997 adoptée par le Conseil instaurant un mécanisme d’évaluation de l’application et de la mise en œuvre au plan national des engagements internationaux en matière de lutte contre la criminalité organisée. Ces évaluations mutuelles portent, par exemple, sur l’échange d’informations entre Europol et les services nationaux (troisième cycle[20]), sur l’application pratique du mandat d’arrêt européen (quatrième cycle[21]), sur la criminalité financière et sur les investigations financières (cinquième cycle[22]), et sur la mise en œuvre des textes instituant Eurojust et le Réseaux judiciaire européen (sixième cycle – à lire à ce propos le rapport français[23]). En soi, le Comité de sécurité intérieure pourrait renforcer les travaux du GENVAL. Par exemple, il pourrait s’impliquer dans le suivi des recommandations émises par le GENVAL à l’égard d’un Etat. Il serait susceptible de vérifier que les éléments contenus dans les recommandations figurant dans le rapport transmis aux ministres du Conseil JAI, soient bien mises en œuvre. L’idée est que le Comité apporte une plus-value dans cette mise en œuvre  en mesurant l’impact des recommandations au niveau opérationnel et en discutant de sa portée. En particulier, des réunions stratégiques du Comité pourraient avoir lieu pour traiter les aspects les plus sensibles de cette mise en œuvre.

En outre, une telle évaluation des politiques est complexe à mener car elle requiert l’identification et l’harmonisation d’indicateurs permettant d’effectuer des mesures objectives et de comparer les données nationales. Or, la difficulté qui se pose à cet égard a trait à la comparabilité des données criminelles recueillies. Pour disposer d’indicateurs précis et fiables, il importe d’avoir non seulement une vue sur l’ensemble de l’activité des services œuvrant dans le cadre des projets menés sous l’égide du COSI (par exemple, le volume des quantités de biens illicites saisies, de personnes arrêtées et de filières criminelles démantelées), mais aussi des statistiques criminelles harmonisées. Or, il n’existe pas actuellement de telles statistiques disponibles susceptibles de mesurer l’impact réel de l’activité du Comité de sécurité intérieure. Les travaux de la Commission visent à rendre les données criminelles interopérables, mais ils avancent lentement.  La Commission a présenté une communication[24] sur l’évaluation du plan d’action statistiques 2006-2010 et sur la mise en place d’un plan de l’UE 2011-2015. Elle préparera cette année une révision à mi-parcours, et à la fin de l’année 2015, un rapport final sera soumis au Parlement européen et au Conseil, concernant les résultats sur la mise en œuvre du plan d’action et destiné à son renouvellement. Le processus progresse donc, mais il fait s’armer de patience.

Vouloir réformer le Comité de sécurité intérieure revient pour les Etats membres à se comporter comme un chimiste devant travailler avec des doses infinitésimales de produits interagissant fortement entre eux. D’un côté, ils doivent le faire avec circonspection de sorte de parvenir au résultat désiré sans mettre en danger l’équilibre global existant. Ils sont amenés à le faire à l’image du savant chimiste qui, au sein de son laboratoire, s’efforce de manier avec prudence les réactifs destinés être consommés dans l’expérience pour créer les molécules souhaitées et ce, en contrôlant et en anticipant à chaque instant la réaction chimique s’opérant sous ses yeux. D’un autre, les préoccupations nationales demeurent si prégnantes en matière de sécurité que pour l’heure, les avancées  européennes sont timides et les résultats tangibles limités. La réforme du Comité de sécurité intérieure n’est pas seulement une réforme des textes. Elle est aussi et surtout une réforme des pratiques. Or, l’expérience montre qu’en matière de justice et d’affaires intérieures, la mise en œuvre est un sujet complexe[25]. En somme, la possible réforme du Comité de sécurité comporte des enjeux politiques évidents, mais l’inertie administrative et le poids historique des représentations institutionnelles nationales sont tels que, à supposer que la réforme de la décision du 25 février 2010 débouche sur un texte ambitieux, les avancées concrètes seraient ipso facto sensiblement atténuées dans sa mise en application. En faisant abstraction des limites posées par le droit primaire, une modification de cette décision devrait engendrer de nouveaux comportements et une transformation des routines bureaucratiques. Il y a fort à parier que les résistances seront si intenses qu’il faudra faire montre de patience et attendre de nombreuses années pour voir une évolution perceptible.  En somme, pour filer la métaphore des sciences moléculaires, les Etats pensant que la modification du texte instituant le COSI, même substantielle, changerait en profondeur les politiques nationales de sécurité apparaissent à maints égards comme un chimiste pensant faire une expérience hautement dangereuse en tentant de mélanger de l’eau… avec de l’eau.



[1] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/13/st15/st15202.en13.pdf

[3] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/13/st14/st14898.en13.pdf

[4] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:52010XG0504%2801%29:FR:NOT

[5] http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/10/st05/st05842-re01.fr10.pdf

[6] http://www.europarl.europa.eu/summits/tam_fr.htm

[7] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/04/st14/st14938.en04.pdf

[8] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/05/st07/st07470.en05.pdf

[9] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/04/st14/st14094.en04.pdf

[10] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/05/st15/st15067.en05.pdf

[11] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/07/st13/st13416.en07.pdf

[13] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/11/st15/st15386-re01.en11.pdf

[14] http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/10/st15/st15358.fr10.pdf

[15] Serious and Organised Crime Threat Assessment – Draft updated methodology (doc. du Conseil du 12 septembre 2013, n° 13395/1/13).

[16] Implementation EU Policy cycle for organised and serious international crime : Draft Multiannual Strategic Plan (MASP related to the EU crime priority “illegal immigration” (doc. du Conseil du 11 septembre 2013, n° 11292/2/13).

[17] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/11/st14/st14614.en11.pdf

[18] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/13/st05/st05820.en13.pdf

[19] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:31997F0827:fr:HTML

[20] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/07/st13/st13321.en07.pdf

[21] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/09/st08/st08302.en09.pdf

[22] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/12/st12/st12657-re01.en12.pdfun

[23] http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/13/st10/st10249-re02.en13pdf

[24] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0713:FIN:FR:PDF

[25] http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cj08/dv/20_studystockholm_/20_studystockholm_fr.pdf