Une législation sur les garanties procédurales des suspects dans les procédures pénales : prudence est-elle bien toujours mère de sûreté ?

par Maiténa Poelemans, CDRE

La fin de l’année 2013 a été marquée par l’apport d’une nouvelle pierre à l’édifice des garanties procédurales des citoyens dans le cadre des procédures pénales. La Commission européenne a en effet adopté, le 27 novembre 2013, une communication intitulée « Avancées dans le programme de l’Union européenne relatif aux garanties procédurales en faveur des suspects ou  personnes poursuivies – Renforcer les fondements de l’espace européen de justice pénale » [COM 2013-820].

Cette communication relative aux garanties procédurales des personnes faisant l’objet de poursuites pénales comprend trois propositions de directives relatives, respectivement, au renforcement de la présomption d’innocence, à l’aide juridictionnelle en matière pénale et aux garanties procédurales en faveur des mineurs suspectés. Elles sont complétées par les deux premières recommandations de la Commission en matière de droit pénal de l’UE et qui portent sur le droit à l’aide juridictionnelle des personnes suspectées et sur les garanties procédurales en faveur des personnes vulnérables suspectées.

La Commission poursuit ainsi un objectif affiché depuis plus d’une décennie, renforcer les garanties procédurales des accusés (1). Force est pourtant de constater qu’à s’abriter derrière la protection des principes de subsidiarité et de proportionnalité, cet objectif de l’exécutif européen n’est guère ambitieux, et ce avant même de passer au tamis du législateur de l’Union (2).

1. Le long cheminement de la protection textuelle des droits procéduraux

Cette nouvelle moisson d’initiatives vise à compléter le programme législatif mandaté à la Commission européenne dans le programme de Stockholm et la feuille de route du Conseil du 30 novembre 2009 visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales.

Une initiative ancienne

Rappelons qu’à l’origine, il y a tout de même près de dix ans, une proposition de décision-cadre du Conseil relative à certains droits procéduraux accordés dans le cadre des procédures pénales dans l’UE [COM (2004) 328] visait à garantir dans un texte unique le respect des droits minimaux de la défense. L’opposition de plusieurs Etats membres (Royaume-Uni, Irlande, Slovaquie, République tchèque, Chypre et Malte), aidés par la règle de l’unanimité régissant à l’époque la coopération judiciaire en matière pénale, eurent raison de cette proposition novatrice.

La multiplication des instruments de coopération favorisant la poursuite, dont le plus connu reste le mandat d’arrêt européen, et la tendance « trop répressive » de la justice, selon les mots de la commissaire chargée de ce domaine constituent pourtant autant de signes de l’urgence à procéder au niveau de l’UE à une harmonisation des droits constitutifs du procès équitable.

Il y fut répondu en 2010 avec l’adoption et l’entrée en vigueur, non plus d’un seul texte englobant plusieurs droits mais de trois directives relatives chacune à une garantie bien spécifique et déjà incluse dans la proposition de 2004 à savoir, respectivement, le droit à l’interprétation et à la traduction, le droit à l’information (2012) et le droit d’accès à l’avocat (octobre 2013).

Prolonger l’action de l’Union était indispensable, ne serait-ce qu’en raison de l’application à venir des droits proclamés dans le premier train de directives. En effet, il apparaît clairement que celles-ci peuvent, dans certaines circonstances entraîner des effets négatifs à l’encontre des personnes que ces textes sont sensés protéger.

Il en va ainsi, par exemple, du droit à l’information des droits, posé dans la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, qui comporte notamment l’information du droit au silence lequel, dans certains Etats membres, peut engendrer une présomption de culpabilité de la personne qui s’en prévaut. Dans un autre ordre d’idée, la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat ne peut véritablement s’appliquer que si la personne poursuivie, qui n’a pas les moyens financiers de payer les honoraires d’avocat, bénéficie d’une aide juridictionnelle. Or, celle-ci n’est pas, à l’heure actuelle, reconnue dès les premiers stades de la procédure dans l’ensemble des Etats membres.

Forte du succès remporté par l’adoption des trois premières directives, la Commission a donc engagé, au nom de la confiance mutuelle et du droit de chacun d’avoir accès à un procès équitable où qu’il se trouve sur le territoire de l’UE, un nouveau programme garantissant de nouveaux droits de la défense (ou des droits complémentaires à ceux précédemment reconnus au niveau du droit de l’UE).

On notera d’abord qu’outre les garanties procédurales en faveur des personnes vulnérables (même si le terme n’est pas celui employé en 2004), aucun des droits faisant l’objet des nouvelles propositions de directives ou des recommandations n’étaient mentionnés dans la proposition de décision-cadre, ni d’ailleurs dans la feuille de route de 2009. Néanmoins, tous apparaissent insuffisamment protégés dans les Etats membres et ce, en dépit des dispositions s’y référant dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE et dans la Convention européenne des droits de l’Homme.

Un catalogue enrichi

La première proposition de directive porte sur le renforcement de la présomption d’innocence et le droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales [COM ( 2013)821].

Expressément cité dans le programme de Stockholm, il est présenté comme complémentaire des droits procéduraux minimaux figurant dans la feuille de route de 2009 et il a fait l’objet d’un Livre vert de la Commission, publié en 2006.

Un certain nombre de principes sont retranscrits dans la proposition : la culpabilité d’un justiciable ne peut se déduire d’accusations publiques portées par des autorités avant le prononcé de la condamnation, la charge de la preuve pèse sur l’accusation et le moindre doute profite à la défense, le droit de ne pas s’auto incriminer, y compris de ne pas coopérer et de garder le silence et enfin, le droit d’assister à son procès ou d’être en mesure de renoncer à ce droit après en avoir été informé. La réaffirmation d’un droit aussi essentiel que la présomption d’innocence n’est, dans tous les cas, pas vaine, 11 Etats membres au moins de l’UE l’ayant violé entre 2007 et 2012, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

La seconde proposition de directive porte sur les garanties procédurales accordées aux enfants suspectés ou poursuivis pour avoir commis une infraction pénale et ceux faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen [COM (2013) 822].

Ce texte est accompagné d’une étude d’impact sur la proposition de mesures relatives à la mise en place de garanties particulières en faveur des enfants et des adultes vulnérables, dans laquelle il est envisagé que la première catégorie d’individus visés fasse l’objet d’une directive alors qu’en raison du caractère sensible de la définition de la vulnérabilité, les garanties concernant les seconds ne seront déterminées que dans une recommandation de la Commission. Outre le droit des enfants à recevoir rapidement des informations sur leurs droits, la directive veille à ce que le titulaire de la responsabilité parentale ou tout autre adulte approprié soit informé des droits communiqués à l’enfant mais surtout, à ce qu’il soit assisté par un avocat dès le début de la procédure et tout au long de celle-ci sans qu’il puisse d’ailleurs renoncer à ce droit. Il lui est également reconnu le droit de ne pas être interrogé en public mais par voie audiovisuelle, d’être examiné par un médecin s’il se trouve privé de liberté et de bénéficier de mesures alternatives autant que de possible.

La troisième proposition de directive porte sur l’aide juridictionnelle provisoire en faveur d’une part des personnes suspectées ou accusées faisant l’objet d’une mesure de privation de liberté et, d’autre part, des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen [COM (2013) 824].

Elle constitue le corollaire du droit d’accès à l’avocat qui, dès lors qu’il est reconnu à tous les stades de la procédure dans la directive 2013/48/UE, doit être facilité dans son application et ce, entendu également d’un point de vue financier. Elle vise essentiellement à pallier les lacunes de certaines législations nationales qui ne prévoient pas d’accès à cette aide dans les procédures de mandat d’arrêt européen ou d’extradition, mais également à anticiper l’institution du Parquet européen en étendant cette protection dans le cadre des futures procédures qui seront engagées par ce dernier.

Le texte invite notamment les Etats membres à fournir le concours financier pour couvrir la rémunération de l’avocat et autres coûts de la procédure dès le moment où le suspect ou la personne poursuivie sont privés de liberté, et afin que l’accès à l’avocat s’effectue dans les plus brefs délais, conseille à ces Etats de mettre en place des systèmes d’avocats de garde ou des services de défense d’urgence.

2. Des avancées inachevées dans le cadre des garanties procédurales

Comme à propos du premier train de directives adoptées précédemment, on aurait pu espérer que les nouvelles propositions détaillent les droits qu’elles consacrent.

Il n’en est pourtant rien puisque, pour deux au moins de ces trois propositions, la Commission a jugé bon de compléter ces textes par de simples recommandations adressées aux Etats membres. Il en résulte donc des textes incomplets, dont certaines dispositions sont exemptes de caractère contraignant et privées de voies de recours en cas de non-exécution.

Si la prudence politique de la Commission explique ce recours, elle oblige néanmoins à s’interroger. Tout à fait logiquement, la base juridique retenue par la Commission en matière législative est celle de l’article 82 §2 TFUE. Celui-ci dispose que «dans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales. Ces règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres ». En bref, le traité prévoit ici l’usage d’une législation contraignante pour intervenir.

L’usage d’une « recommandation » fondée sur l’article 292 TFUE pose donc question. La Commission n’en dissimule pas les raisons dans sa communication (2013) 820 : « en raison de la grande variété des systèmes d’aide juridictionnelle et de la nécessité de veiller au caractère proportionné de toute mesure prise, notamment en période de difficultés économiques et financières, cette question est abordée dans une recommandation ».

Malgré le caractère contraignant des droits garantis à la fois par la CEDH et la Charte des droits fondamentaux (comme c’est le cas à propos de l’aide juridictionnelle), la Commission semble donc estimer que le partage des compétences avec les Etats membres lui interdit d’aller plus avant et se borne à « préconiser la convergence » de leur action.

Il n’est pas certain que ce soit la réalité et qu’elle ne nourrisse pas d’autres arrière-pensées. Plus loin en effet, elle avance curieusement que « pour soutenir les effets et l’application de la recommandation, la Commission fera appel au groupe d’experts sur la coopération judiciaire en matière pénale existant, qui pourra l’aider à élaborer des lignes directrices pour l’application de la recommandation et faciliter l’échange de bonnes pratiques entre les États membres ». Sur cette base, elle « évaluera dans quelle mesure les États membres ont pris les mesures nécessaires pour donner effet à la recommandation quatre ans après sa publication et, si nécessaire, proposera des mesures législatives afin de renforcer le droit à l’assistance juridictionnelle dans les procédures pénales ». Autrement dit, elle en arrivera au point de départ, celui consistant à trancher la question de la nécessité d’une législation complète …

Certes, au nom d’une « action équilibrée », l’exécutif européen cherche à la fois à respecter les divergences entre les traditions et les systèmes juridiques des Etats membres, tout en favorisant la confiance mutuelle, le tout à la lumière du principe de proportionnalité. C’est donc élément par élément que la Commission analyse la pertinence d’une action de l’UE qui, dans l’affirmative, se garde bien de prendre de front les Etats membres. Elle fait alors flèche de tout bois.

Ainsi, la réalité de la crise financière et les coûts que pourraient engendrer les modifications nécessaires dans certains systèmes de justice pénale sont autant d’éléments visant à limiter les obligations incombant aux Etats membres. A titre d’exemple, la proposition de directive relative à l’aide juridictionnelle provisoire ne contient aucune disposition juridiquement contraignante visant à contrôler le respect des conditions d’accès à l’aide juridictionnelle afin de limiter les dépenses que cela représenterait pour les Etats.

D’ailleurs, le recours à la recommandation en matière d’aide juridictionnelle autre que « provisoire » est explicitement motivé par des considérations financières et le coût qu’engendrerait l’accès à cette aide dans l’ensemble des Etats membres. Les dispositions contraignantes concernent le droit d’accès effectif à un avocat selon les termes de la directive 2013/48/UE, la recommandation de la Commission du 27 novembre 2013 relative à l’aide juridictionnelle C (2013) 8179] ne venant que compléter ce droit de premier ordre par des dispositions exemptes d’effet contraignant.

Le texte n’est pourtant pas dénué d’intérêt, ne serait ce tout d’abord que parce qu’il vise à clarifier les concepts et le champ d’application de l’aide juridictionnelle afin de favoriser une convergence des critères à retenir pour apprécier si une personne a droit ou non à cette aide. Cela est d’autant plus important que la directive sur le droit d’accès à l’avocat n’est pas encore transposée dans l’ensemble des Etats de l’UE. Les autres dispositions incitent les Etats membres à fournir une aide juridique de « haute qualité » ou encore à mettre en place un système d’accréditation des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle.

Mais là également, aucune mesure normative précise n’est prévue, les Etats membres conservant ainsi le choix des modalités de mise en œuvre. La Commission le spécifie bien dans son étude d’impact en stipulant que « vu le caractère non contraignant de l’instrument (la recommandation), cette option risquerait de n’avoir aucun impact tangible car elle ne pourrait pas être pleinement mise en œuvre par tous les Etats membres ».

Dans un autre ordre d’idées, ici le respect du principe de proportionnalité, la proposition relative à la mise en place des garanties procédurales des enfants « se limite au minimum requis  mais indispensable pour atteindre l’objectif visé, à savoir adopter une norme de protection effective pour les enfants », et exclut donc de ses dispositions des sujets aussi sensibles que l’harmonisation de l’âge de la responsabilité pénale, ou encore l’établissement de tribunaux de jeunesse.

La proposition relative à la présomption d’innocence rallie la même optique minimaliste, ce qui aboutit à exclure du texte les personnes morales pour ne le dédier qu’aux personnes physiques et à ne concevoir ce droit que dans ses éléments directement liés au fonctionnement des instruments de reconnaissance mutuelle et à la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Enfin, l’aide juridictionnelle se trouve limitée à celle qualifiée de « provisoire », à savoir l’aide juridictionnelle accordée à une personne privée de liberté en attendant l’adoption d’une décision relative à l’aide juridictionnelle.

Le principe de proportionnalité est également à nouveau avancé pour justifier que certaines composantes des droits faisant l’objet des propositions de directives soient spécifiées dans des recommandations accompagnant ces actes législatifs, même si les raisons avancées par la Commission ne sont pas toujours très claires.

La délimitation de l’application de la future directive des droits garantis aux personnes vulnérables aux seuls enfants et le renvoi aux autres « personnes vulnérables » dans une recommandation s’expliquerait ainsi par la recherche d’une « approche équilibrée qui permettrait de concilier les principes de proportionnalité et de subsidiarité et la nécessité de renforcer la protection des personnes vulnérables » selon la communication du 27 novembre 2013. L’aveu de la part de l’exécutif lui-même de ne pas pouvoir définir, au stade actuel, les raisons (hormis le jeune âge) pour lesquelles une personne peut être vulnérable dans le cadre de procédures pénales sans risquer de stigmatiser les personnes concernées, justifie sans doute cet excès de prudence.

Certes, les droits reconnus dans la recommandation de la Commission du 27 novembre 2013 relative à des garanties procédurales en faveur des personnes vulnérables [C (2013) 8178] sont tout à fait légitimes : assistance obligatoire d’un avocat et d’un tiers approprié, accès à une aide médicale. Il n’en demeure pas moins que si ce texte « contribuera à l’amélioration des normes en matière de droits procéduraux des adultes vulnérables », il demeure beaucoup plus « souple qu’une directive », sous-entendu qu’il ne lie pas les Etats membres qui ne sont qu’encouragés ou invités à renforcer ces droits.

La poursuite du renforcement des garanties procédurales en vue d’assurer le droit à un procès équitable dans l’ensemble de l’UE laissait présager des avancées majeures dans le cadre de la coopération judiciaire en matière pénale. En limitant à leur plus stricte expression la définition et la protection les droits dont elle est sensée renforcer la garantie dans le cadre de directives complétées par des recommandations sans force obligatoire, la Commission européenne ne les facilite pas.

La gravité du sujet, la protection des droits fondamentaux, méritait sans doute davantage de détermination.