Droits fondamentaux et reconnaissance mutuelle : une jurisprudence troublante ou simplement prudente ?

par Laura Delgado, CDRE

Le Traité de Lisbonne marque une étape majeure dans l’évolution des droits fondamentaux en Europe. Donnant à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (CDFUE), la «  même valeur juridique que les traités », il lui octroie une place centrale dans l’architecture constitutionnelle de l’UE. Si sa valeur juridique n’est plus contestée, la détermination de son champ d’application dans un Espace de Liberté Sécurité et Justice où l’entraide répressive est « fondée » sur le principe de reconnaissance mutuelle pose néanmoins problème.

L’acuité de cette question se révèle chaque jour, tant et si bien que depuis 2011, la Cour de Justice a du répondre à de nombreuses reprises à la question de la place des droits fondamentaux dans les mécanismes de reconnaissance mutuelle. L’arrêt Radu, rendu le 29 janvier 2013 (C-396/11), était particulièrement attendu sur ce point. Son laconisme n’en est que plus décevant. Lire la suite

Quand le droit de l’Union complète heureusement la Convention de Genève, précisions jurisprudentielles sur la clause d’exclusion de la directive « Qualification » (CJUE, Grande Chambre, 19 décembre 2012, Abed El Karem El Kott et autres, C-364/11)

par Joanna Pétin, CDRE

Après avoir éclairci la portée du devoir de coopération et du droit d’être entendu en matière d’asile (CJUE, 22 novembre 2012, M.M., C-277/11, annoté ici), les juges de l’UE ont eu à connaitre à nouveau, le 19 décembre dernier, des dispositions de la directive “Qualification” (remplacée aujourd’hui par la directive 2011/95 du 13 décembre 2011). S’il s’agissait en l’espèce de traiter de la « clause d’exclusion » du statut de réfugié contenue en son article 12§1, l’arrêt du 19 décembre 2012, Abed El Karem El Kott et autres (C-364-11) a fourni l’occasion, s’il en était encore besoin, de rappeler que la Convention de Genève demeure la pierre angulaire du régime d’asile européen commun (points 42 de l’arrêt). Lire la suite

Suite des aventures jurisprudentielles de la directive “retour” : l’exécution de l’éloignement par le biais d’une sanction pénale.

par Marie Garcia, CDRE

Après quelques temps de répit pour la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, plus connue sous le nom de directive “retour”, les juges du Luxembourg, ont eu à  nouveau à préciser le sens de certaines de ses dispositions, à l’occasion d’une nouvelle question préjudicielle posée par le juge italien en juillet 2011.

Utilisant cette fois la procédure préjudicielle classique, prévue à l’article 267 du TFUE, la CJUE rend le 6 décembre 2012 un nouvel arrêt (CJUE, 6 décembre 2012, Sagor, C-430/11) dans la lignée, semble-t-il, des jurisprudences El Dridi et Achughbabian, commentées sur ce site. Si les affaires précitées avaient marqué les esprits (une PPU et une procédure accélérée à l’occasion desquelles la Cour s’était livrée à une véritable explication de texte de la directive « retour ») il n’est pas certain cependant que l’arrêt Sagor soit promu au même rang. Lire la suite

Coopérations renforcées et brevet européen : précisions jurisprudentielles à venir

par Géraldine Bachoué-Pedrouzo, CDRE

Le jeu des ” coopérations renforcées” permet aux États membres qui le souhaitent d’approfondir la construction européenne dans un domaine déterminé, en utilisant le cadre institutionnel de l’UE, conformément à l’article 20 TUE. Elle autorise ainsi ces États, au mieux, à aller plus vite et plus loin, sinon à continuer d’aller de l’avant sans se laisser bloquer par les réticences d’autres États. Tel était le cas dans l’affaire Espagne et Italie c. Conseil, soumise à la Cour et concernant le blocage persistant du dossier du brevet européen.

Indépendamment du fond du dossier législatif, débloqué le 11 décembre au Parlement européen sur la base d’un compromis proposé par la présidence chypriote, le régime des coopérations renforcées y gagnera d’utiles précisions. Lire la suite

La portée du droit d’être entendu lors d’une demande de protection subsidiaire : confirmation de la prééminence des droits fondamentaux dans le système européen d’asile commun, CJUE, 22 novembre 2012, M.M., C-277/11

par Joanna Petin, CDRE

Les juges de Luxembourg ont à nouveau été amenés, le 22 novembre dernier, à éclaircir les dispositions du système européen commun d’asile, et plus particulièrement le devoir de coopération établi par la directive 2004/83, dite directive « Qualification » aujourd’hui remplacée par la directive 2011/95 du 13 décembre 2011, et le droit d’être entendu au cours de la procédure de demande de protection internationale. Dans son arrêt M.M. (CJUE, 22 novembre 2012, M.M., C-277-11), le juge de l’Union continue son oeuvre patiente de mise en cohérence des règles du régime commun d’asile. Lire la suite

Le contrôle juridictionnel de la coopération intergouvernementale dans l’Union européenne : une thèse au sein du GDR.

par Henri Labayle, CDRE, et Rostane Mehdi, CERIC

La thèse selon laquelle ce contrôle constitue une « contribution à l’étude du processus de juridictionnalisation de l’Union » a fait l’objet d’une soutenance publique à Bayonne, le 21 novembre 2012, par son auteur Géraldine Bachoué-Pedrouzo. Que son jury lui ait décerné ses félicitations unanimes et l’ait invitée à concourir à un prix de thèse indique qu’elle a emporté la conviction. Elle permet d’ouvrir ici une rubrique favorisant la connaissance des travaux doctoraux des jeunes chercheurs du GDR. Lire la suite

Après la clause de souveraineté, la clause humanitaire du réglement Dublin décryptée par la Cour de justice

par Joanna Pétin, CDRE

Le 6 novembre 2012, le règlement Dublin était à nouveau en cause dans le prétoire de la CJUE, dans l’affaire K c. Bundesasylamt (C-245/11), le juge de l’Union devant se prononcer sur l’interprétation de l’article 15§2 du texte. Ce dernier traite des clauses dérogatoires permettant à un Etat membre qui n’est pas responsable d’une demande de protection d’en assumer pourtant la responsabilité pour des motifs particuliers, de nature humanitaire. Après la « clause de souveraineté » de l’article 3§2 interprétée par la CJUE dans l’affaire NS du 21 décembre 2011 (C-411/10 et C-493/10) qui permet à un Etat de se saisir d’une demande de protection, un an plus tard, la Cour est amenée à se pencher sur l’interprétation de la clause humanitaire contenue à l’article 15 du règlement. Lire la suite

Regroupement familial : attention aux “pièces rapportées”… Première interprétation par la CJUE des “autres membres de la familles” visés par la directive 2004/38

par Fabrice Riem, CDRE

Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, droit de nature constitutionnelle que la directive 2004/38 du 29 avril 2004 a codifié sans grandes difficultés. Les membres de la famille du citoyen de l’Union qui bénéficient de ces droits sont, aux termes de l’article 2 de la directive, prioritairement les conjoints, partenaires enregistrés et leurs ascendants ou descendants directs. Aux termes de l’article 3, §2, de la directive, l’Etat membre d’accueil doit cependant favoriser, « conformément à sa législation nationale, l’entrée et le séjour » de « tout autre membre de la famille, quelle que soit sa nationalité (…) si, dans le pays de provenance, il est à la charge ou fait partie du ménage du citoyen de l’Union bénéficiaire du droit de séjour à titre principal ».

L’une des questions préjudicielles posées à la Cour portait sur le sens à accorder au verbe « favoriser ». En l’espèce, M. Rahman, ressortissant bangladais, avait épousé une irlandaise travaillant au Royaume-Uni. Les époux invoquaient l’article 3 §2, de la directive pour faire valoir la situation du frère, du demi-frère et du cousin à charge du ressortissant bangladais. Lire la suite

Les compétences d’exécution de la Commission en matière de contrôle des frontières extérieures de l’Union : illustration du processus de juridictionnalisation des crises institutionnelles

par Rostane MEHDI, CERIC

 L’arrêt commenté ici, CJUE, 5 septembre 2012, Parlement européen c. Conseil soutenu par la Commission, C-355/10, est le développement contentieux d’un conflit inter-institutionnel qui a surgi à la croisée de deux problématiques particulièrement délicates (et sans doute belligènes) : la comitologie et l’Espace de liberté, de sécurité et de justice ou pour être plus exact la surveillance des frontières extérieures de l’Union.

Une comitologie dont la seule évocation suffit généralement à susciter la méfiance de l’observateur. Ce néologisme désigne on le sait les mécanismes complexes d’encadrement de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission. L’article 291 § 3 TFUE évoque de manière très équivoque les « modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission ». Cette précision témoigne du souci de renforcer la position des Etats membres qui en leur qualité de « titulaires de la compétence éminente » se voient reconnaître le droit somme toute exorbitant de « surveiller l’usage que les institutions de l’Union intervenant en leur lieu et place pourraient en faire » (C. Blumann & L. Dubouis, Droit institutionnel de l’Union européenne, Litec, 2010, p. 364). En l’espèce, le problème tient moins, comme nous le verrons, à la volonté des Etats membres d’exercer un contrôle sur l’ampleur des compétences concédées à la Commission qu’aux craintes du Parlement de voir accorder à celle-ci des pouvoirs dans des conditions ne satisfaisant pas aux exigences de l’équilibre institutionnel en régime démocratique. Lire la suite

Le droit d’asile devant la persécution religieuse : la Cour de justice ne se dérobe pas

par Henri Labayle, CDRE

Par un grand arrêt, incontestablement, la Cour de justice vient de répondre, le 6 septembre, à l’épineuse question de la protection de la liberté de religion des demandeurs d’asile dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z. (C-71/11) et C-99/11). En estimant que la persécution religieuse peut justifier l’octroi de l’asile et faire ainsi obstacle à l’éloignement d’un étranger désireux de pratiquer ouvertement sa religion, la Cour de justice assume pleinement son rôle de juge des droits d’Homme. Si besoin en était encore, le juge de l’Union apporte la preuve de sa détermination à occuper ce terrain, en un domaine où la montée de l’intolérance religieuse pose, effectivement, un problème actuel au droit de l’asile.

Fermement appuyée sur la Charte des droits fondamentaux, implicitement et subtilement en conformité avec la jurisprudence pertinente de la CEDH, la Cour délivre ici une solution empreinte de réalisme qui donne son effet utile au droit de l’Union garantissant le droit d’asile. Lire la suite