Les membres étrangers de la famille d’un citoyen de l’Union : enjeux et paradoxes d’une jurisprudence évolutive

par Nathalie Rubio, CERIC

Le 9 mai dernier, la Commission a lancé une Consultation publique sur les obstacles quotidiens auxquels les citoyens de l’Union sont confrontés dont les résultats feront l’objet d’un rapport qui sera publié en 2013, Année européenne du Citoyen. Il sera alors dressé un bilan des mesures adoptées depuis le premier rapport de 2010 sur la Citoyenneté (COM (2010) 603 final). Parmi les nombreuses difficultés relevées figurent celles posées par les droits des membres de la famille du citoyen ayant la nationalité d’un Etat tiers.

La Commission s’est donc engagée à  faciliter « la libre circulation des citoyens de l’Union et des membres de leur famille issus de pays tiers en veillant à la stricte application de la réglementation de l’UE, notamment dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en favorisant les bonnes pratiques, en améliorant la connaissance de la réglementation de l’UE sur le terrain et en renforçant la diffusion, aux citoyens de l’Union, d’informations sur leurs droits en matière de libre circulation » (p. 17).

Les résultats de cette consultation seront d’autant plus intéressants qu’ils devront être analysés à la lumière d’une jurisprudence importante de la Cour de justice jalonnée d’arrêts très controversés comme les arrêts Akrich (CJUE, Aff. C-34/09 du 8 mars 2011) et Zambrano (CJUE, Aff. C-109/01 du 23 septembre 2003). Très vite relégués au rang de simples arrêts d’espèce prudemment justifiés par les circonstances exceptionnelles des faits, ils ont eu néanmoins le grand mérite de montrer les limites de l’exercice que ce soit dans le sens de la sévérité -en exigeant une condition de séjour légal préalable- comme dans celui de la compassion -en reconnaissant un droit de séjour dérivé au père d’un enfant citoyen de l’Union alors que celui-ci n’a pas usé de sa liberté de circulation.

Les affaires concernant les membres étrangers de la famille d’un citoyen de l’Union sont révélatrices des paradoxes et des enjeux liés à la construction de l’espace de liberté et de sécurité. Jusqu’où la Cour peut-elle aller dans l’interprétation du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour reconnaître des droits à la famille sans pour autant dénaturer la citoyenneté de l’Union en lui prêtant des effets trop étendus ?

Cette dernière peut-elle être « quelque chose de plus radical » que la version non économique de droits de libre circulation, pour reprendre les termes de l’Avocat général E. Sharpston dans l’affaire Zambrano ? Peut-on raisonnablement penser éliminer le caractère artificiel des cloisonnements induits par une répartition asymétrique des compétences entre Etats membres et Union européenne dans les domaines de la libre circulation des personnes et de l’immigration ? Aura-t-on le courage d’avoir un discours clair sur le traitement des situations purement internes créant des discriminations à rebours ? Se pose enfin inévitablement la question de l’articulation des fondements relatifs à la protection des droits fondamentaux issus des droits nationaux, du droit de la CEDH et de la Charte des droits fondamentaux à laquelle les arrêts de la Cour et les conclusions des Avocats généraux relatifs à ces affaires de famille fournissent un terrain de prédilection et d’expérimentation précieux.

Mais, ces affaires montrent également toutes les difficultés des juges pour appréhender la variété des situations personnelles. En creux, nous sommes amenés à nous interroger sur la notion de famille en droit de l’Union au regard des affaires actuellement pendantes  qui concernent par exemple :

–        un ressortissant d’un pays tiers dépourvu de moyens de subsistance lié à un conjoint qui a la garde d’un enfant ayant la nationalité de l’Union alors qu’il n’est ni le géniteur ni une personne investie du droit de garde (Aff. C-356/11, O,S)

–        une ressortissante algérienne qui souhaite rejoindre, hors lien du mariage ou du partenariat enregistré, un citoyen d’un autre Etat membre dont elle a une enfant (Aff. C-45/12, Radia Hadj Ahmed) ;

–        un ressortissant japonais père d’un citoyen mineur de l’Union qui réclame un droit de séjour dans un Etat membre différent de celui dans lequel réside sa fille (Aff. C-40/11, Yoshikazu Iida, conclusions V. Trstenjak) ;

–        des ressortissants bangladais qui demandent un permis de séjour au Royaume-Uni où se trouve leur frère et oncle marié à une irlandaise qui assure leur charge (Aff. C-83/11, Muhammad Sazzadur Rahman, conclusions Y. Bot).

On aurait pu être satisfait que la Cour de justice, inspirée par le principe de proportionnalité, ait clairement dégagé le critère d’atteinte à la jouissance effective des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union pour apprécier une décision nationale restrictive. Comme l’indique Y. Bot dans ses conclusions (C-83/11), ce critère présente en effet le double avantage d’être utilisé comme critère de rattachement au droit de l’Union et comme règle de fond conférant ainsi un droit de séjour à l’étranger membre de la famille. Mais, dans la réalité, ce critère dévoile paradoxalement tous les écueils auxquels les juges européens et nationaux sont et resteront confrontés (lire en particulier les conclusions de P. Mengozzi dans l’affaire Dereci, Aff. C-256/11).

Au fond, ces affaires révèlent toute la complexité engendrée par la fragmentation de la catégorie d’étrangers en droit de l’Union  et invitent à une réflexion plus globale de la cohérence de la réponse européenne aux défis de l’immigration dans un espace de liberté(s).