La confiance mutuelle, les libres circulations et la question du sens : bref panorama de l’espace judiciaire européen

L’idée d’une confiance mutuelle a longtemps été absorbée en droit de l’UE par les mécanismes de reconnaissance mutuelle (marché intérieur et ELSJ). Elle est devenue aujourd’hui un objet du droit à part entière, notamment dans l’espace de coopération judiciaire européen.

Y revenir, même au terme d’un bref panorama[1], est une manière de poser la question du sens des circulations libres voulues en sein de cet espace.

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L’affaire Alpenrind, un nouvel épisode de la saga des certificats A1 devant la Cour de justice

La question de l’assujettissement des travailleurs mobiles à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre que celui sur le territoire duquel ils exécutent leur prestation de travail continue de faire l’objet d’un contentieux important devant la Cour de justice. Après les affaires A-Rosa (27 avril 2017, C-620/15) et Altun (6 février 2018, C-359/16), l’affaire Alpenrind vient de faire l’objet d’un arrêt de la Cour de justice (6 septembre 2018, C-527/16).

Avant de voir le détail de l’affaire Alpenrind, rappelons que par principe, les travailleurs mobiles dans l’Union européenne sont assujettis à la législation de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel ils travaillent (lex loci laboris, art. 11 du Règlement 883/2004). Cependant, lorsque les travailleurs sont détachés par leur employeur sur le territoire d’un autre État membre, ils restent assujettis à la législation de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel leur employeur est établi tant que la durée du détachement n’excède par vingt-quatre mois et que le travailleur n’est pas envoyé en remplacement d’un autre travailleur (art. 12§1 du règlement 883/2004). Cette question est particulièrement sensible car les États membres accueillant des travailleurs détachés sur leur territoire souhaiteraient que ceux-ci soient assujettis à leur législation de sécurité sociale pour bénéficier du paiement de leurs cotisations. D’un autre côté, les États membres à partir desquels les travailleurs sont détachés, et les employeurs de ceux-ci, tiennent à cette exception car elle permet à ces travailleurs d’être bien plus compétitifs sur le plan du coût du travail, et les cotisations entrent dans les caisses de l’État membre d’envoi. Lire la suite

La circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé : quelle circulation ?

Les 11 et 12 octobre 2018 est organisé à Lyon un important colloque international sur “La circulation des personnes et de leur statut dans un monde globalisé” (*) (Dir. scientifique : Pr H. Fulchiron, U. Lyon, IUF). Dans une table ronde introductive, la question est notamment posée de savoir de “quelle circulation” on parle ?

Ce thème ne peut laisser indifférent tous ceux qui s’intéressent à l’ELSJ et au droit européen de manière générale ! Explications au terme d’une présentation ci-après du canevas d’intervention.

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« Reconnaissance mutuelle » et « Confiance mutuelle » dans le discours de la Commission et de la Cour de justice (à propos de l’actualité récente) : entre posture et culture !

Une fois n’est pas coutume, ce billet (de bonne humeur) porte un regard plutôt extérieur à l’Espace de liberté, de sécurité et de justice.

Une proposition de la commission (Proposition de Règlement du Parlement Européen et du Conseil relatif à la reconnaissance mutuelle des biens commercialisés légalement dans un autre État membre, présentée le 13 mars 2018) et un arrêt de la Cour de justice (CJUE (Gde ch.), 6 mars 2018, Achmea, C-284/16) sont l’occasion d’évoquer la pratique langagière de ces deux institutions en matière de « reconnaissance mutuelle » et de « confiance mutuelle ». Mobilisateurs d’une posture sans doute contestable de droit européen (UE), ces éléments de langage traduisent l’existence d’une véritable culture juridique européenne.

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L’affaire Altun : fraude et absence de coopération loyale, les conditions d’une non prise en compte des certificats E 101 des travailleurs détachés

Dans l’arrêt Altun (C-359/16) rendu par la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne le 6 février dernier, les juges de Luxembourg ont eu une nouvelle fois l’occasion de se prononcer sur l’épineuse question de la compétence des institutions d’un État membre accueillant des travailleurs détachés de soumettre ces travailleurs à leur législation de sécurité sociale lorsqu’elles estiment qu’il serait légitime et légal de le faire. Ils l’ont fait avec un certain retentissement. Lire la suite

La modification en cours du « Code frontières Schengen », la libre circulation comme exception ?

Été 2018, c’est le nouvel horizon que s’est fixée la Commission dans une communication du 7 décembre 2017, afin de parvenir à la suppression définitive des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen, un espace qui, en principe, en est dépourvu. Suite à la crise migratoire de 2015, le Conseil européen des 18 et 19 février 2016 s’était donné comme objectif celui d’endiguer rapidement les flux migratoires et de préserver l’intégrité de l’espace Schengen. Dans une communication du 4 mars 2016, la Commission, désireuse d’obtenir la levée de l’ensemble des contrôles aux frontières intérieures, entendait « revenir à l’esprit de Schengen ».

Pourtant, ces contrôles ont été maintenus et l’échéance d’un retour à un espace décloisonné n’a cessé d’être reportée. Si l’on en croit cette communication de décembre 2017, l’échéance annoncée serait la bonne. Pourtant, et c’est le paradoxe qu’il importe de mettre en évidence, le retour à un espace sans frontières intérieures, à supposer qu’il se concrétise effectivement à ladite échéance, se réalise dans le cadre d’un mouvement tendanciel selon lequel la libre circulation, mentionnée à l’article 3§2 du traité UE, tend à devenir, non plus le principe, mais au contraire, l’exception. Lire la suite

Le Brexit vu d’ici et d’ailleurs

 

Le 23 juin 2016, les Britanniques votaient par référendum la sortie de leur pays de l’Union européenne. Un an et demi après, alors que les négociations difficiles de ce qu’il est convenu d’appeler le « Brexit » sont toujours en cours, nos bibliothèques juridiques s’enrichissent de deux nouveaux ouvrages collectifs sur le sujet.

Ces deux éclairages, le premier (1) dirigé par M. Dougan (Université de Liverpool), exclusivement en anglais et le second (2), dirigé par Ch. Bahurel (Université du Littoral), E. Bernard (Université de Lille 2), M. Ho-Dac (Université de Valenciennes), essentiellement en français, sont parfaitement complémentaires. Lire la suite

Brexit : la fin du commencement ? (suite et fin)

3. Un financement sans chiffrage ? La question du règlement financier

Les données financières relatives au départ du Royaume Uni ont focalisé initialement l’attention de tous. Si le principe de la contribution britannique n’était pas vraiment discuté sérieusement, en revanche, l’inconnue de son calcul précis avait nourri nombre de déclarations à l’emporte-pièce de certains Brexiters. Durant la campagne référendaire, ils avaient ainsi imprudemment avancé que le gain financier découlant du départ permettrait d’abonder le service de santé britannique à hauteur de 350 millions de livres hebdomadaires (!!!) tandis qu’au mois de juillet encore, Boris Johnson indiquait que l’Union pouvait « toujours courir » pour voir la facture être réglée.

Le Conseil européen avait pourtant été très clair dès le début : il exigeait « un règlement financier unique » devant « permettre de faire en sorte que l’Union comme le Royaume-Uni respectent les obligations découlant de toute la période pendant laquelle le Royaume-Uni aura été membre de l’Union. Ce règlement devrait couvrir l’ensemble des engagements ainsi que le passif, y compris le passif éventuel ».

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Brexit : la fin du commencement ? (1ère partie)

Jeu, set et match … La formule attribuée à John Major au lendemain du traité de Maastricht a été largement reprise par la presse à propos du Brexit, après que les lignes directrices d’un compromis entre la Commission et le Royaume Uni aient été arrêtées sous la forme d’un « join report » (TF50 (2017)19). Ici, cependant, et sans qu’aucun tie-break ait laissé entrevoir un brin d’espoir aux négociateurs britanniques, peu de doutes sont permis quant à l’issue de ce bras de fer et l’identité de son vainqueur.

On se souvient que, le Royaume Uni ayant notifié le 29 mars 2017 son intention de se retirer de l’Union européenne, conformément à l’article 50 TUE, le Conseil européen avait dessiné le cadre de la procédure à suivre. Le 29 avril 2017, il avait adopté une série d’orientations politiques à partir desquelles, le 22 mai 2017, le Conseil Affaires générales avait fixé les directives de négociation imposées à la Commission.

Ces dernières dessinaient fermement un processus graduel et ordonné. Sa première étape s’est achevée avec la publication de la communication (COM (2017) 784) recommandant au Conseil européen de constater que « des progrès suffisants » avaient été réalisés pour passer à une phase ultérieure destinée à fixer précisément les conditions de l’accord mentionné par l’article 50 TUE dans les deux ans prévus c’est-à-dire avant le 29 mars 2019. Lire la suite

La révision de la directive relative au détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services : texte et contexte

Entre libertés de circulation et protection du marché national de l’emploi, la question du détachement transnational de travailleurs dans le cadre d’une prestation de services pose le problème de l’équilibre à trouver entre plusieurs objectifs contradictoires. Les exigences du droit de l’Union d’une part, spécialement concernant le caractère fondamental de la libre prestation de services qui ne peut subir d’entraves que dans des cas strictement limités et proportionnés. Les intérêts des entreprises ensuite, qui, grâce à la libre prestation de services, peuvent par exemple remporter des marchés publics dans des pays à forte protection sociale, pour un coût plus faible que les entreprises nationales. Lire la suite