La nouvelle directive européenne anti-blanchiment : instrument de protection du système financier européen

par Charlotte Saumagne, CDRE

Le 19 mai, le Parlement européen a discuté des nouvelles règles visant à lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce nouveau cadre européen proposé se compose d’une directive relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et d’un réglement sur les informations accompagnant les virements de fonds (2015/847/UE).

S’inscrivant dans la continuité des précédents textes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la nouvelle directive anti-blanchiment a pour principal objectif la protection de la stabilité et de la réputation du secteur financier et du marché intérieur.

Le nouveau cadre européen de lutte contre le blanchiment de capitaux répond également à des exigences internationales. L’Union européenne met ainsi son cadre légal anti-blanchiment en conformité avec les dispositions internationales, telles que celles découlant des 40 Recommandations du GAFI révisées en 2012. L’UE rappelle en effet que « des mesures adoptées au seul niveau national ou même de l’Union, sans coordination ni coopération internationales, auraient des effets très limités ».

1. Le renforcement du cadre préventif anti-blanchiment.

a. l’approche fondée sur les risques

 Suivant la Recommandation n°1 du GAFI, l’Union européenne met en place « l’approche fondée sur les risques ». Afin de mieux identifier, évaluer, surveiller et atténuer les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, les autorités de surveillance européenne sont chargées d’émettre des orientations quant aux risques pesant sur l’Union en la matière. À la Commission européenne revient également la tâche de procéder à des évaluations supranationales des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme liés à des phénomènes transfrontières susceptibles d’affecter le marché intérieur. Enfin, les entités soumises à obligations, telles que les banques, casinos, notaires, avocats, étant les plus à même à identifier les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, ont désormais compétence, sous certaines conditions, à moduler les mesures de vigilance afin de les adapter à chaque relation d’affaires nouée.

À titre d’exemple, les prestataires de services de jeux et de hasard ont l’obligation d’exercer une diligence raisonnable pour les transactions de 2 000 euros ou plus. Mais, en cas de faible risque avéré, les États membres pourront exempter certains prestataires de tout ou partie de leurs obligations de vigilance, à l’exception des casinos.

b. la prise en compte des infractions fiscales pénales

La Commission européenne propose d’élargir le champ matériel des infractions sous-jacentes du blanchiment de capitaux pour y inclure les infractions fiscales pénales. Si cette modification est judicieuse dans le cadre de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, elle doit être nuancée.

D’une part, les infractions fiscales pénales n’entrent dans le champ de la directive qu’à la condition que les faits soient punis d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée maximale supérieure à un an, ou, dans les États membres dont le système juridique prévoit un seuil minimal pour les infractions, punis d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée minimale supérieure à 6 mois. D’autre part, l’absence d’harmonisation des délits fiscaux dans les États membres continue à constituer un obstacle important en matière de coopération policière et judiciaire (V. C. Cutajar, « Identification du bénéficiaire réel, un leurre au sein de la 4e directive blanchiment? », La semaine juridique, 2015, n°19-20, p. 554).

c. le renforcement des obligations pour les entités soumises à obligations

Plusieurs éléments permettent de conclure à un renforcement des obligations pour les entités soumises à obligations. Tout d’abord, la directive n’opère plus de distinction entre les « personnes politiquement exposées » étrangères et nationales. La directive vise désormais toutes personnes présentant un haut risque de corruption, plus élevé que la normale, du fait de la position politique qu’elles occupent. À ces personnes sont appliquées de manière indifférenciée des mesures de vigilance renforcée. Ainsi, pour toutes relations d’affaires nouées avec ces personnes, les entités soumises à obligations devront déterminer l’origine du patrimoine et des fonds engagés et obtenir, d’un niveau élevé de la hiérarchie, l’autorisation de nouer ou de maintenir la relation d’affaires.

Ensuite, la directive abaisse le niveau des seuils de vérification des transactions financières. Ainsi, pour les négociants en biens le seuil de vérification a été ramené à 10 000 euros, au lieu de 15 000 euros.

Enfin, l’Union renforce les sanctions imputables aux entités soumises à obligations. Pour la première fois, la directive impose des sanctions en cas de violations graves, répétées ou systématiques de certaines dispositions de la directive et du règlement par les entités soumises à obligations. De la sorte, un établissement financier ne respectant pas ces obligations pourrait être sanctionné d’une peine administrative pécuniaire maximale, pour les personnes morales, d’au moins 5 000 000 d’euros ou 10% du chiffre d’affaire annuel total selon les derniers comptes disponibles approuvés par l’organe de direction et d’au moins 5 000 000 d’euros, lorsqu’est en cause une personne physique.

d. l’identification du bénéficiaire effectif

Outre une clarification de la notion de bénéficiaire effectif, la nouvelle directive anti-blanchiment met principalement l’accent sur l’identification du réel bénéficiaire. L’objectif étant de s’assurer que toute personne détenant le contrôle effectif sur une société ou entité juridique est identifiable. Afin de satisfaire cet objectif, la proposition de directive contraint les États membres à obtenir et conserver des informations satisfaisantes, exactes et à jour sur ces bénéficiaires effectifs dans des registres publics centraux.

Les cellules de renseignement financier, les entités soumises à obligations, ainsi que toute personne ou organisation ayant un « intérêt légitime » pourront avoir accès à ces registres. La notion « d’intérêt légitime », quant à elle, doit être interprétée et comprise dans le respect intégral des règles en matière de protection des données à caractère personnel et du droit au respect de la vie privée. Chaque État membre devra ainsi veiller à ce que l’accès des tiers soit dicté par un objectif d’intérêt général et soit nécessaire et proportionné au regard de la protection des données à caractère personnel et de la protection de la vie privée COM (2015) 188.

Outre les sociétés, la directive s’attaque plus spécifiquement aux trusts et fiducies garantissant l’anonymat du réel bénéficiaire effectif et constituant, à cet égard, un réel obstacle dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Comme pour les sociétés, les fiduciaires auront l’obligation de collecter et de conserver les informations sur le bénéficiaire effectif de la fiducie/trust. Ils devront communiquer ces informations aux autorités compétentes et aux cellules de renseignement financier, sans alerter les parties au trust. Enfin, si le trust entraîne des conséquences fiscales, les entités soumises à obligations ont l’obligation de transmettre les informations à un registre central. L’accès au registre des trusts est encore plus restreint que celui des registres publics centraux. Seules les autorités compétentes et les entités soumises à obligations y ont en effet accès. Cette dernière restriction résulte d’une volonté britannique où le trust y est un mécanisme juridique très répandu (C. Ducourtieux, « Les Européens se fixent des règles pour lutter contre le blanchiment », lemonde.fr, le 27.01.2015 ).

2. Une meilleure prise en considération des évolutions technologiques

Le règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds complète la directive anti-blanchiment. Ces deux instruments législatifs ont l’objectif commun de réviser le cadre actuel de l’UE en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, afin de le rendre plus efficace.

Dans un objectif d’efficacité, le règlement a également pour objet d’assurer une concordance avec les normes internationales, telles que la Recommandation n°16 sur les virements électroniques du GAFI. Cette recommandation prévoit notamment l’absence de discrimination entre les paiements nationaux, effectués au sein même d’un État, et les paiements transfrontières, qui ont lieu entre plusieurs États membres. En effet, des mesures adoptées par les seuls États membres, sans coordination dans le domaine des virements de fonds transfrontaliers pourraient avoir des répercussions importantes sur le bon fonctionnement des systèmes de paiement au niveau de l’Union et porter, par la même occasion, atteinte à son système financier.

Le nouveau règlement a ensuite vocation à prendre en compte la nature changeante des modes de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Cette prise en compte des nouvelles technologies s’inscrit dans un souci de lutte contre le crime organisé transnational – qui en use de plus en plus pour faciliter les opérations de blanchiment de capitaux – mais également de lutte contre le financement du terrorisme, puisque le règlement tend à protéger le système financier de l’Union contre l’acheminement de fonds et de ressources économiques à des fins terroristes.

Le nouveau règlement met ainsi l’accent sur l’identification du donneur d’ordre et du bénéficiaire. En effet, la pleine traçabilité des transferts de fonds est un instrument capital dans la prévention et la détection de faits de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

À cet égard, le nouveau règlement impose aux prestataires de services de paiement l’obligation de veiller à ce que les transferts de fonds soient accompagnés d’informations sur le donneur d’ordre, telles que le nom, le numéro de compte, l’adresse ou le numéro du document d’identité officiel, mais également sur le bénéficiaire. En cas d’identification difficile en raison d’informations manquantes, des orientations visant à aider les prestataires de services de paiement seront publiées par les autorités de surveillance européenne.

Toutefois, afin de ne pas nuire à l’efficacité des systèmes de paiement et de trouver une équilibre entre, d’une part, le risque de faire basculer des transactions dans la clandestinité en raison d’obligations d’identification trop strictes et, d’autre part, la menace terroriste potentiellement liée aux transferts de fonds de faible montant, la vérification de l’exactitude des informations collectées par les prestataires de services de paiement ne devra être effectuée que pour les transferts de fonds entre particuliers pour tout montant supérieur à 1 000 euros.

Ce nouveau cadre adopté le 20 mai 2015 marque la volonté du législateur européen d’assurer un juste équilibre entre la prévention et la répression des faits de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et la nécessité de préserver la libre circulation des capitaux sur le territoire européen.