La lutte contre le financement du terrorisme : axe majeur ou secondaire ?

par Charlotte Saumagne, CDRE

Au lendemain des violents attentats ayant touché Paris, Beyrouth ou encore Bamako, la lutte contre le terrorisme est une priorité mondiale. La communauté internationale s’accorde à agir de concert dans la lutte contre le terrorisme.

La Résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies 2249 (2015), proposée par la France et adoptée à l’unanimité par les 15 membres, s’inscrit dans ce discours. Par cette résolution, le Conseil de sécurité incite les États « à redoubler d’efforts pour endiguer le flux de combattants terroristes étrangers » et « éliminer le financement du terrorisme ». Au-delà du Conseil de sécurité, les conclusions du dernier Conseil JAI insistent, quant à elles, sur la nécessité de renforcer et d’accélérer la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures, parmi lesquelles la finalisation d’ici fin 2015 de la directive PNR, le durcissement de la législation sur les armes, un contrôle systématisé aux frontières extérieures de l’Union ou encore le renforcement de la législation en matière de lutte contre le financement du terrorisme.

La puissance financière des organisations terroristes pose question. Nombreux sont les journaux ayant publié cette semaine des articles sur les avoirs de l’organisation terroriste Daech. Selon certains chiffres (extrait de l’article « Esclavage, rançons, pétrole, pillage… Comment l’Etat islamique se finance », 19. 11. 2015, lemonde.fr), Daech disposerait de 2000 milliards de dollars, « chiffre qui intègre notamment la valorisation des richesses globales des zones qu’il contrôle, dont les ressources pétrolières et gazières ». Parallèlement, les budgets des Talibans et du Hezbollah peuvent être évalués, quant à eux, respectivement « entre 53 millions et 320 millions de dollars », pour le premier, et « entre 160 millions et 363 millions de dollars », pour le second (extrait de l’article « Esclavage, rançons, pétrole, pillage… Comment l’Etat islamique se finance », 19. 11. 2015, lemonde.fr). Certes, les organisations terroristes, contrairement aux organisations criminelles, sont animées par des revendications autres que l’argent. Pour autant, au vu des montants dont les organisations terroristes disposent, il importe que les pays fassent de la lutte contre le financement du terrorisme un pilier du dispositif d’anéantissement de ces organisations. Les fonds détenus par ces organisations ne servent pas seulement à la perpétration d’actes terroristes, mais leur permettent d’asseoir un peu plus chaque jour leur emprise sur un territoire donné, une population donnée.

A l’occasion du G20 organisé à Antalya en Turquie (16 novembre), le Groupe d’Action Financière (GAFI) a publié un rapport sur la mise en œuvre des mesures de lutte contre le financement du terrorisme. Il s’attache à analyser, au sein de chaque pays, la mise en œuvre des mesures adoptées en matière de lutte contre le financement du terrorisme. Le rapport montre deux tendances. Il s’attache à montrer, tout d’abord, à l’appui de statistiques, que le cadre juridique de lutte contre le financement du terrorisme est en place dans la majorité des pays (1). Pour autant, ces chiffres positifs sont contrebalancés par les mauvais résultats de la politique de lutte contre le financement du terrorisme, marquant de fortes défaillances dans la mise en pratique de ces normes internationales (2).

1. L’intégration réussie des normes internationales de lutte contre le financement du terrorisme

Le GAFI souligne que 190 pays sur 194 étudiés incriminent de façon autonome le financement du terrorisme. Seize ans après l’adoption des standards juridiques posés par la convention internationale pour la répression terrorisme(1999) et la Résolution 1373 (2001), la collecte ou le transfert de fonds en vue de l’accomplissement d’un acte terroriste, d’une part, et le financement d’une organisation terroriste, d’autre part, sont incriminés. En revanche, le financement isolé d’un terroriste, y compris en l’absence de lien avec un ou plusieurs actes terroristes n’est incriminé que par la moitié des pays étudiés. Seulement 55 % des législations incriminent ce mode de financement. Malgré l’adoption en 2014 de la Résolution 2178 (S/RES/2178(2014) « Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme », seuls 23% des pays condamnent le financement du voyage des combattants terroristes étrangers.

Ces derniers sont au cœur des discussions. Le Conseil de l’UE, d’une part, et le Conseil de sécurité des Nations Unies, d’autre part, marquent leur volonté d’endiguer le flux des combattants terroristes étrangers. L’UE, à cet égard, a annoncé un renforcement du contrôle aux frontières extérieures de l’espace Schengen et l’intégration systématique dans le SIS II des données sur tous les combattants terroristes étrangers présumés, afin de permettre une meilleure détection des déplacements suspects.

Un constat identique peut être fait concernant l’application des mesures préventives de gel des fonds aux personnes et entités terroristes ciblées par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies (les résolutions 1267 (1999), 1269 (1999), 1333 (2000), 1390 (2002)). 90% des pays étudiés disposent de tous les instruments légaux nécessaires pour permettre l’application effective des sanctions financières prononcées par le Conseil de sécurité. Certes, les mécanismes juridiques utilisés varient d’un pays à un autre, mais tous ont pour objectif de donner un effet immédiat aux sanctions prises. Les récents événements ont également conduit le Conseil de sécurité à annoncer l’actualisation de la liste du Comité des sanctions, créé par la résolution 1267 (1999), « afin qu’elle tienne mieux compte de la menace que représente Daech ».

2. La concrétisation : le talon d’Achille de la politique de lutte contre le financement du terrorisme

Malgré le caractère primordial de la lutte contre le financement du terrorisme et la présence des moyens juridiques adéquats pour le combattre, les chiffres publiés par le GAFI accréditent l’idée selon laquelle la lutte contre le financement du terrorisme constituerait un axe secondaire de la politique de lutte contre le terrorisme.

En effet, les condamnations restent faibles. Seulement 33 pays ont prononcé au moins une condamnation pour financement du terrorisme. L’Arabie Saoudite arrive au premier rang de ce classement avec 863 condamnations pour financement du terrorisme depuis 2010. La France, quant à elle, se situe à la cinquième place avec plus d’une cinquantaine de condamnations prononcées.

Le même constat peut être fait en matière de gel des fonds. Dans les 37 pays où des mesures de gel des fonds ont été ordonnées, une disproportion entre le nombre de personnes ciblées et les sommes recouvrées peut être constatée. À titre d’exemple, les mesures ordonnées par la Russie ont ciblé 3 887 personnes et entités et ont permis le recouvrement de seulement 44 929 euros. Dans le même temps, les mesures ordonnées par l’Arabie Saoudite ont ciblé 2 187 personnes et entités et ont permis le recouvrement effectif de 31 320 000 euros. Dans d’autres États, tels que les Émirats arabes unis, la Grèce ou encore la Nouvelle-Zélande, des mesures de gel des fonds ont bien été ordonnées, sans pour autant recouvrir les fonds ciblés. Ce point semble trouver une explication dans la difficulté de certains pays à rendre les nouvelles désignations onusiennes effectives. Régulièrement, la liste contenant les noms des personnes et entités ciblées par les sanctions financières est révisée, imposant aux États de procéder « sans délai » au gel des nouveaux noms ciblés. Ce mécanisme impose aux pays de faire preuve d’adaptabilité et de réactivité.

Or, un certain nombre de pays sont encore trop lents. Dans 78% des pays, la liste des noms doit faire l’objet d’une transposition, retardant d’autant l’application de la mesure de gel. Selon les chiffres publiés par le GAFI, 72 pays intégreraient en moins de 48 heures les nouvelles désignations prononcées par le Conseil de sécurité. En revanche, 35 pays mettent entre deux et sept jours, 21 pays mettent moins d’un mois, 2 pays mettent plus d’un mois et 19 pays n’ont jamais pris les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité. Les retards pris constituent donc autant d’opportunité pour les organisations terroristes de déplacer ou d’utiliser les avoirs ciblés. Pour garder cet effet de surprise, il est capital que les États incorporent les nouveaux noms à leur dispositif de lutte contre le financement du terrorisme quelques heures seulement après avoir pris connaissance de cette modification.

Au regard de ces observations, la lutte contre le financement du terrorisme semble infructueuse et doit être améliorée. Une mise en œuvre cohérente et effective du cadre juridique fait défaut. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer.

Tout d’abord, les montages financiers utilisés par les organisations terroristes et les terroristes compliquent l’action des services d’enquête. Lutter contre le financement du terrorisme suppose que les services d’enquête reconstituent les circuits financiers empruntés, déterminent quels sont les bénéficiaires effectifs des opérations. Tracer les fonds nécessite des connaissances, des moyens matériels et humains dont ne disposent pas un certain nombre de pays. La disproportion entre le nombre de personnes ou entités ciblées par une mesure de gel et le gel effectif de ces fonds peut résulter de cette difficulté à tracer et à localiser les fonds terroristes. À titre d’exemple, « les organisations terroristes comme l’Etat islamique ont diversifié leurs sources de financement, de la vente du pétrole aux trafics en tout genre (armes, drogue, œuvres d’art et même traite des êtres humains), en passant par l’aide de pays amis » (extrait de l’article « Frapper Daech à son portefeuille virtuel », 19.11.2015, LesEchos.fr). Au-delà de la diversification des sources de financement, les monnaies virtuelles, comme le bitcoin, facilitent la collecte et le transfert des fonds vers l’organisation terroriste.

À ce propos, Michel Sapin a annoncé, ce 23 novembre, parallèlement aux renforcements des pouvoirs de la cellule Tracfin, un encadrement plus strict des cartes de paiement prépayés « afin de lutter contre l’anonymat des transactions financières » (extrait de l’article « Financement du terrorisme : de nouvelles mesures pour renforcer l’arsenal de Bercy », 23.11.2015, LesEchos.fr) et l’inscription obligatoire de tous les comptes en banque, y compris les comptes « Nickel », sur le fichier FICOBA ( extrait de l’article « Bercy s’attaque au chantier du financement du terrorisme », 23.11.2015, lefigaro.fr). Par ailleurs, la réforme introduite par le ministre Michel Sapin donnera aux services de police et de gendarmerie un accès direct au fichier FICOBA. En outre, Bercy rappelle que les plateformes de financement participatif doivent également faire l’objet d’une vigilance accrue. Les mesures françaises s’inscrivent dans les conclusions du Conseil JAI. Le Conseil a en effet mis l’accent sur la nécessité de renforcer davantage le contrôle des modes de paiement non bancaires, tels que les paiements électroniques, les transmissions de fonds, les transporteurs de fonds, les monnaies virtuelles, les cartes prépayées.

En outre, si la collaboration avec le secteur financier est devenue la norme, la coopération entre États reste problématique.

Le Conseil de l’UE a, à cet égard, rappelé la nécessité d’améliorer les compétences des cellules de renseignement financier et la coopération entre elles, notamment par l’intégration appropriée du réseau d’échange d’informations FIU.net dans la structure Europol, et à faire en sorte que ces cellules accèdent rapidement aux informations nécessaires. À cet égard, Michel Sapin a également annoncé un renforcement des pouvoirs de la cellule Tracfin. L’objectif est de lui permettre d’accéder directement aux fichiers des personnes recherchées, contenant les fiches S et de traitement d’antécédents judicaires ; d’améliorer la coopération entre Tracfin et les institutions financières, la cellule pourra désormais transmettre directement aux établissements bancaires le signalement des personnes suspectes ; et d’élargir le champ des avoirs susceptibles d’être gelés aux biens immobiliers, d’une part, et la mesure de gel aux prestations et autres sommes versées par les collectivités publiques et les organismes sociaux, d’autre part. Ces dispositions seront introduites dans le projet de loi pour la transparence et la modernisation de la vie économique, qui comprendra également la transposition de la 4ème directive anti blanchiment. La lutte contre le financement du financement s’inscrit nécessairement dans une dimension transfrontalière, les mesures prises par le gouvernement français ne peuvent et ne doivent être comprises qu’à la lumière des dispositions européennes et internationales. Ce point est notamment rappelé par le Ministre des Finances et de Comptes publics, puisque ce dernier, en vue du prochain Conseil des ministres des finances du 8 décembre, a demandé à ce que la question du financement du terrorisme soit ajoutée à l’ordre du jour.

Enfin, selon le GAFI, la faible activité terroriste dans certains pays expliquerait le faible nombre de condamnations et de gel des fonds, ce qui toutefois ne doit pas masquer l’incapacité des États à s’aligner sur les standards internationaux. Contrairement aux propos qui ont pu être tenus ces dernières semaines, les chiffres publiés par le GAFI montrent que les pays disposent de moyens juridiques pour lutter efficacement contre le financement du terrorisme. Or, ce qui fait considérablement défaut aux pays est la mise en œuvre effective de ce cadre. La publication du rapport du GAFI à l’occasion du G20 n’est pas anodine. Ce rapport est un message clair lancé aux pays. Il devient urgent de rendre les cadres juridiques opérationnels et d’assister au plus vite les pays défaillants.

La constatation est simple : l’impuissance de la communauté internationale à agir de manière coordonnée et sur des bases communes retarde d’autant les effets de la politique de lutte contre le financement du terrorisme.