Les droits procéduraux dans l’Union européenne sont-ils le meilleur terrain de compromis ?

par Maitena Poelemans, CDRE

Ne figurant ni à l’ordre du jour du Conseil des ministres JAI des 26 et 27 avril derniers, ni dans le communiqué de presse en découlant, l’adoption, après approbation des députés européens, du texte proposé par la Commission européenne pour garantir le droit des accusés à être informés pendant la procédure pénale (doc. PE-CONS 78/11) est passée relativement inaperçue.

Cette absence de communication illustre la « banalisation » d’un tel accord sur les garanties procédurales en matière pénale, après l’adoption de la première mesure issue de la feuille de route relative aux garanties procédurales en matière pénale du 4 décembre 2009, qui portait sur les droits à la traduction et à l’interprétation dans les procédures pénales.

Tel ne fut pourtant pas toujours le cas et l’on se souvient de l’échec des négociations sur la proposition de décision-cadre de la Commission de 2004 qui avait l’ambition de définir dans un texte unique un socle minimal de droits procéduraux accordés aux personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions pénales (COM 2004/328). L’opposition farouche d’un petit nombre d’Etats membres, emmenés par le Royaume Uni, avait fait échouer ce qui n’était pourtant que le plus petit dénominateur commun unissant ces Etats. Lesquels sont pourtant autrement contraints par l’autorité de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Fondée sur l’article 82 §2 TFUE du traité de Lisbonne qui permet à l’UE, en vue de faciliter la reconnaissance mutuelle, d’adopter des mesures en vue de renforcer « les droits des personnes dans la procédure pénale », la méthode progressive adoptée par la Commission a même reçu l’aval des six Etats membres farouchement opposés à un rapprochement des droits procéduraux. Sans procès d’intention, cet indice fait deviner le degré d’ambition du texte…

La directive adoptée correspond à la mesure B de la feuille de route de 2009 et elle fixe des normes minimales communes en matière d’information des personnes soupçonnées d’une infraction pénale ou poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale. Bien qu’inscrit aux articles 5 et 6 de la CEDH ainsi qu’aux articles 6, 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, ce droit n’est demeure pas moins souvent contourné, pour ne pas dire bafoué. Dans certains Etats membres, en effet, les suspects ne sont informés qu’oralement  de leurs droits tandis que dans d’autres, ces droits ne leur sont indiqués que sur demande expresse, ce qui laisse une nouvelle fois rêveur quant au respect par les Etats de leurs responsabilités en matière de droits fondamentaux.

Passé le délai de deux ans de transposition du texte, toute personne arrêtée ou faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen dans l’UE devra être informée de ses droits dans une langue qu’elle comprend par le biais d’une déclaration de droits énumérant ses droits fondamentaux pendant la procédure pénale et sur l’accusation portée contre elle. La directive prévoit ainsi le droit général d’être informé sur ses droits procéduraux, mais elle définit également deux droits spécifiques : le droit d’être informé sur les charges retenues contre soi ainsi que le droit d’accéder au dossier de l’affaire.

Le droit général d’information s’effectue oralement ou par écrit, dans un langage simple et accessible. Il porte sur les droits procéduraux envisagés de la manière la plus minimaliste qu’il soit : droit à l’assistance d’un avocat, droit de bénéficier de conseils juridiques gratuits, droit d’être informé de l’accusation portée contre soi, droit à l’interprétation et à la traduction et enfin droit de garder le silence, rajouté à la demande des parlementaires européens. La mention indiquant que ces informations doivent être données en tenant compte des éventuels besoins particuliers des suspects ou des personnes poursuivies vulnérables reste pour le moins vague quant aux situations dans lesquelles elle s’applique.

La « lettre des droits » lors de l’arrestation aurait pu alors constituer une avancée dans un certain nombre d’Etats membres. Il est important, en effet, au nom du respect des droits de la défense que toute personne arrêtée, se voit reconnaître le droit de recevoir par écrit lors de son arrestation une déclaration de droits dans une langue qu’elle comprend. Celle-ci, en plus des droits déjà indiqués, devra contenir au minimum les droits suivants : le droit d’accès aux pièces du dossier, le droit d’informer les autorités consulaires et un tiers, le droit d’accès à une assistance médicale d’urgence et enfin, le droit de savoir pendant combien de temps la personne peut être privée de liberté à compter de son arrestation avant de comparaître devant une autorité judiciaire.

Le législateur de l’UE n’est pourtant pas allé au bout de sa logique et il est regrettable que le Conseil n’ait pas accédé à la demande du Parlement européen de rendre obligatoires les modèles de déclaration accompagnant le texte, d’autant plus que ces annexes contiennent des précisions allant au delà du contenu du texte adopté.

Le droit pour la personne arrêtée ou son avocat, d’accéder aux pièces du dossier permettant de déterminer la légalité de l’arrestation ou de la détention, constitue le dernier droit reconnu dans ce triptyque. Pourtant, les dispositions qui le stipulent s’illustrent encore une fois par leur frilosité à reconnaître largement un droit pourtant basique en matière de garanties procédurales.

Le rajout d’autres motifs aux dérogations envisagées dans la proposition,  « menace grave pour les droits fondamentaux d’un tiers » ou « préservation d’un intérêt public important », amoindrit en effet considérablement ce droit emblématique des droits de la défense. Sans tenir compte par ailleurs du souhait de la délégation française, dont le pays se trouvait en pleine réforme de la garde à vue et qui suggérait de faire contrôler les limites au droit d’accès au dossier exclusivement par une autorité judiciaire…

Enfin, l’inclusion de nombreuses références à la législation nationale et l’imprécision marquante quant aux délais de reconnaissance des droits – le mot « rapidement » étant utilisé à de multiples reprises, lorsqu’il n’est pas remplacé par d’autres termes aussi peu précis que « sans retard indu » ou encore « en temps utile » – anéantissent les espoirs placés dans la méthode progressive retenue pour l’établissement de normes minimales dans le cadre des procédures pénales dans l’UE. Il s’agit pourtant encore ici de droits a priori ne posant pas de problèmes quant à leur reconnaissance.

Qu’en sera-t-il au moment de trouver un consensus sur la troisième proposition de directive portant sur le droit à l’assistance d’un avocat (COM 2011-326) dont on connaît les divergences nationales, ne serait que sur le moment de la présence de l’avocat peut être requise?