Refuge ou asile ? La situation de Carles Puigdemont en Belgique au regard du droit de l’Union européenne

Quoique largement circonscrite à la Belgique, l’agitation médiatique provoquée par l’arrivée à Bruxelles de Carles Puigdemont et de certains de ses proches soulève d’intéressants points de droit quant à leur situation sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union. Attisée par les déclarations imprudentes d’un secrétaire d’Etat belge à l’Asile et à la Migration, Theo Francken, cette présence a réveillé d’anciennes querelles entre les deux royaumes concernés tenant tout à la fois à la possibilité pour la Belgique d’accorder l’asile à l’intéressé (1) et, à défaut, de constituer un refuge face aux éventuelles poursuites intentées à son égard par les juridictions espagnoles (2).

1. La recherche d’une terre d’asile

Le suspense n’a guère duré. Après avoir géré son départ de Catalogne dans le plus grand des secrets, dans une posture digne de l’homme du 18 juin 1940 dont il porte le prénom, le président déchu du gouvernement catalan y a mis fin en déclarant qu’il n’était « pas venu ici pour demander l’asile politique ». Pourtant, son entourage comme les déclarations du secrétaire d’Etat Theo Francken, nationaliste flamand, membre du parti indépendantiste ultra-conservateur N-VA, avaient donné corps à la polémique.

a. Le choix de son avocat, d’abord, n’a rien eu d’innocent. Tout en déclarant que son client n’était pas en Belgique pour demander l’asile, ce dernier n’en a pas moins jugé utile de préciser soigneusement avoir « une expérience de plus de 30 ans avec l’extradition et l’asile politique de basques espagnols et c’est probablement sur la base de cette expérience qu’il a fait appel à moi ». Les agences de presse se sont du reste empressées de souligner qu’il avait en son temps assuré la défense du couple Luis Moreno et Raquel Garcia, réclamés en vain à la Belgique par l’Espagne en raison de leur soutien à l’organisation terroriste ETA.

Source de vives tensions entre l’Espagne et la Belgique en raison du refus de cette dernière de les extrader puis de les remettre à Madrid autant qu’à propos du débat sur leur éventuel statut de réfugié politique, le cas de ces derniers éclaire l’insistance espagnole à inscrire en 1997 un protocole à ce sujet, le fameux protocole « Aznar » joint au traité d’Amsterdam. A tout le moins donc, la symbolique du recours à un avocat ainsi spécialisé n’est pas neutre, même s’il est permis de douter de l’adresse d’un tel amalgame pour une cause se présentant comme victime de la violence de l’Etat et d’un déni de démocratie.

Dans le même temps, exprimant sans détours sa sympathie à la cause nationaliste, le secrétaire d’Etat Theo Francken n’a pas manié la langue de bois. D’abord, à travers un constat sur la situation espagnole quelque peu téméraire : « la situation en Catalogne est en train de dégénérer. On peut supposer, de manière réaliste qu’un certain nombre de Catalans vont demander l’asile en Belgique. Et ils le peuvent. La loi est là. Il pourront demander une protection et introduire une demande d’asile et on y répondra convenablement ». Ensuite en fournissant une explication à son attitude au demeurant tout aussi douteuse : « en regardant la répression de Madrid et les peines de prison envisagées, la question peut se poser de savoir s’il a encore une chance d’un jugement équitable».

La volée de critiques faisant suite à cette provocation, y compris le désaveu a minima d’un premier ministre belge passablement gêné, oblige alors à rappeler les termes du débat juridique.

b. Sur l’insistance du premier ministre espagnol de l’époque, Jose Maria Aznar, le protocole n° 24 additionnel au traité d’Amsterdam s’efforce de réduire le droit d’asile à un droit seulement offert aux ressortissants tiers. En effet, « vu le niveau de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les États membres de l’Union européenne, ceux-ci sont considérés comme constituant des pays d’origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d’asile». Le protocole n° 24 fut accompagné à l’époque de la déclaration n° 48 de la Conférence, ne préjugeant pas du droit de chaque Etat membre de prendre les mesures d’organisation nécessaires au respect de la Convention de Genève. Pour sa part, la Belgique déclara alors que, tout en approuvant le protocole n° 24, « conformément à ses obligations au titre de la convention de Genève de 1951 et du protocole de New York de 1967, elle effectuera, conformément à la disposition énoncée à l’article unique, point d), de ce protocole, un examen individuel de toute demande d’asile présentée par un ressortissant d’un autre Etat membre» (déclaration n° 5).

Le HCR n’avait pas manqué alors d’émettre des critiques fermes et fondées sur la conventionnalité d’une telle option, hostile à l’idée simpliste selon laquelle l’appartenance à l’UE constituerait par principe un critère objectif et légitime de distinction du point de vue de la protection entre Etats membres de l’Union et Etats tiers (UNHCR, « Position on the proposal of the European Council concerning the treatment of asylum applications from citizens of European Union Member States », annexe à la lettre du Directeur de la Division de la protection of internationale à M. Patijn, Ministre des Affaires étrangères des Pays Bas, 3 février 1997 ; voir également UNHCR Press release 20 juin 1997). Vingt ans après, la situation des droits fondamentaux dans certains Etats membres de l’Union conforte cette critique.

Conscients de ces difficultés, les Etats membres ont alors opté pour une solution de contournement, se gardant de toute interdiction frontale du droit d’asile à propos de leurs ressortissants et préférant en retenir une approche extrêmement restrictive. Il s’agit, comme l’indique le protocole, « d’empêcher que l’asile en tant qu’institution soit utilisé à des fins autres que celles auxquelles il est destiné ».

Le traité de Lisbonne n’a modifié ce dispositif qu’à la marge, à deux précisions près. La première tient dans la disparition des déclarations formulées à Amsterdam et la seconde voit l’invocation des « valeurs » de l’Union justifier désormais l’existence du protocole puisque, par hypothèse, les Etats membres les respectent pour pénétrer et demeurer dans l’Union. Ils ne peuvent donc être sources de persécutions, sauf preuve du contraire.

c. La pratique de l’asile entre Etats membres de l’Union est donc régie aujourd’hui par le Protocole n° 24 révisé à Lisbonne, lequel constitue la lex specialis du « droit d’asile pour les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne ». Il n’est pas indifférent de rappeler que l’ensemble du droit primaire et dérivé de l’Union de l’asile se conforme à cette logique. Le champ d’application personnel du droit d’asile selon la directive « Qualification » ne concerne que les ressortissants de pays tiers, en application de l’article 78 TFUE qui en fait un droit de ces ressortissants et s’impose à l’article 18 de la Charte dont les « explications » mentionnent spécifiquement le Protocole.

Ce dernier, outre les hypothèses qui visent une violation établie des valeurs de l’Union ou une dérogation en vertu de l’article 15 de la Convention EDH, régit l’éventuel octroi d’une protection à un citoyen de l’Union dans son article unique point d) : « si un État membre devait en décider ainsi unilatéralement en ce qui concerne la demande d’un ressortissant d’un autre État membre; dans ce cas, le Conseil est immédiatement informé; la demande est traitée sur la base de la présomption qu’elle est manifestement non fondée sans que, quel que soit le cas, le pouvoir de décision de l’État membre ne soit affecté d’aucune manière ».

Le plus grand flou règne ensuite en la matière quant à la pratique dégagée par les Etats à ce propos. On sait, par exemple qu’en France le Conseil d’Etat a dégagé une interprétation littérale du protocole Aznar à propos de citoyens roumains tout en n’écartant pas l’hypothèse d’un examen (CE, 30 décembre 2009, OFPRA c/ Cosmin, req. 305226, note Aubin, AJDA 2010). De même, l’administration française s’est-elle empressée de souligner par voie de circulaire, à l’occasion de l’adhésion de la Croatie en 2013, que le retrait de ce nouvel Etat membre de la liste des pays tiers d’origine sûrs n’entraînait aucun changement sur le plan de l’admission provisoire au titre de l’asile et du jeu de la procédure d’examen prioritaire, dans la logique du protocole Aznar.

Les choses sont beaucoup plus incertaines concernant l’Union elle-même et les doutes que l’on peut légitimement éprouver quant à la situation des droits fondamentaux dans l’Union en général comme en particulier invitent à la réserve.

En 2015, la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié fait ainsi état de la grande diversité des pratiques nationales au sein de l’Union à l’égard de ce protocole, principalement en raison des divergences portant sur la présence des Etats membres de l’Union sur les listes nationales de pays d’origine « sûrs ». Seuls la Belgique et les Pays Bas auraient, à ce jour, rendu des décisions positives de protection.

Pour ce qui est plus précisément de la Belgique, susceptible d’accueillir M. Puigdemont, si elle semble ne pas avoir renouvelé à Lisbonne sa déclaration d’Amsterdam, elle conserve néanmoins la possibilité de procéder à une évaluation des situations individuelles. Quasiment exclusivement saisie par des nouveaux Etats membres, le plus souvent à propos de la question des Roms, elle fait un usage très parcimonieux de cette possibilité puisque près d’un millier de demandes auraient été déposées depuis 2011 pour moins de quinze reconnaissances au total.

La déclaration de la Belgique, qui a certainement une valeur politique, conserve sa valeur juridique, même si elle n’a pas été répétée, comme elle aurait dû être révoquée. En tout état de cause, les Etats membres conservent le droit souverain d’accorder l’asile sur la base de leur droit interne. Ainsi, dans la Constitution d’un État membre comme l’Italie, il existe une disposition fondamentale, à l’instar du troisième paragraphe de l’article 10, qui prévoit qu’un étranger qui est effectivement empêché d’exercer ses libertés démocratiques garanties de la Constitution italienne, a le droit à l’asile sur le territoire de la République, dans les conditions prévues par la loi. Bien que l’Italie n’ait fait aucune déclaration, il n’y a aucun doute que l’Etat garde sa souveraineté quant à la concession de l’asile, aussi appelé asile constitutionnel et qui fait abstraction des obligations internationales ou de l’Union. De même, en droit français, le préambule de la Constitution de 1946 prévoit-il que« tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Ces formes d’asile particulier n’ont pas été prises en considération par M. Puigdemont , la Belgique lui paraissant un Etat plus sûr ou protecteur.

En Italie, d’un autre côté, dans la jurisprudence administrative, il s’est posé également la question de ne pas expulser vers la Grèce mais aussi vers la Bulgarie, considérés comme des pays non sûrs, malgré leur statut d’Etats membres de l’Union. Les juges administratifs ont ainsi démontré, s’il y en avait besoin, que la confiance mutuelle entre pays membres, dans la réalité et pratique courante, est souvent théorique…

C’est dans ce contexte peu encourageant que l’accueil de l’ex-président catalan peut être évalué.

2. La recherche d’une terre de refuge    

Deux hypothèses se présentent alors : celle d’un accueil en bonne et due forme au plan de l’asile et celle d’une réponse à un éventuel mandat d’arrêt européen. Les dénégations de M. Puigdemont quant à son éventuelle demande de protection ne sont pas aussi catégoriques qu’il y paraît au premier abord. Il a, en effet, ouvertement évoqué des « menaces » et un « besoin de sécurité » que les autorités espagnoles ne seraient plus à même de lui assurer soit en raison de la nature des poursuites exercées à son encontre soit en ne le protégeant pas efficacement des menaces pesant sur sa personne. On retrouve là derrière ces arguments des questions très classiques du droit de l’asile dont les réponses ne sont pas sans intérêt du point de vue de la recherche d’un refuge devant le risque pénal.

a. Même s’il s’avère que la Belgique n’a pas renouvelé sa déclaration d’Amsterdam, elle se trouve placée comme tout Etat membre de l’Union devant à une double contrainte posée par le Protocole n° 24. La première est de nature procédurale et elle consiste à « informer le Conseil » de sa volonté. Nul doute qu’ici surgiront des tensions diplomatiques avec d’autres Etats membres, au premier rang desquels l’Espagne se situera, et qu’elles mettront également à rude épreuve la coalition gouvernementale gouvernant la Belgique. A en rester sur le terrain politique, les déclarations des partis nationalistes flamands sur la nécessité de soutenir « ses amis » le laissent présager. A venir sur le terrain juridique, le soulagement politique pourrait alors naître de l’impossibilité de répondre favorablement à une quelconque demande, au vu de la réalité du droit de l’Union.

La seconde contrainte est matérielle et elle consiste à renverser la présomption posée par le protocole Aznar. Le point d) de son article unique spécifie bien que « la demande est traitée sur la base de la présomption qu’elle est manifestement non fondée ». Il convient donc pour les autorités nationales saisies de renverser cette présomption pour se placer en conformité avec le droit de l’Union.

On se trouve ici dans un schéma tout à fait comparable à celui que la Cour a dégagé avec force dans l’avis 2/13 relatif à l’adhésion à la Convention EDH lorsqu’elle met en relief cette « prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre » (point 168). « Fondamentale » car elle « permet la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Or, ce principe impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces Etats de considérer … que tous les autres Etats membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit » (point 191).

S’atteler au défi de prouver que le Royaume d’Espagne ne respecte pas les valeurs de l’Union, au point de justifier d’accorder protection à l’un de ses citoyens au prétexte que son pays lui demande des comptes de sa violation d’une légalité établie par la juridiction constitutionnelle de ce pays, ne sera donc pas aisé. Une chose est en effet de se réclamer de la démocratie et de l’exercice des droits qui y sont attachés et une autre est de faire la preuve que cet exercice est légal. Dénoncer une éventuelle « politisation de la justice espagnole et son absence d’impartialité » comme « l’injustice du gouvernement espagnol » et son « désir de vengeance » ne se paie pas seulement de mots.

Or, rien dans l’état du droit positif n’accrédite une accusation d’une telle gravité, laquelle n’a été portée ni devant les juridictions suprêmes européennes ni au sein de leurs organes internes. Il sera donc difficile aux autorités d’un autre Etat membre de la reprendre à leur compte en allant jusqu’au point de renverser la présomption établie par le protocole et de la confiance mutuelle entre Etats membres. Bien au contraire, l’unanimité des déclarations des représentants des autres Etats membres comme des institutions de l’Union s’est attachée depuis le début de la crise à souligner la nécessité de respecter le cadre légal national ainsi contesté.

b. C’est donc sur le terrain pénal que la suite de la partie se jouera. Avec la convocation à Madrid de l’ex-président et de treize de ses ministres par une juge d’instruction de l’Audience nationale, saisie par le parquet espagnol qui a requis des poursuites notamment pour « rébellion et sédition », chefs passibles respectivement d’un maximum de 30 et 15 ans de prison. Mettre en cause la partialité de la juridiction espagnole et son mode de fonctionnement nécessitera des arguments forts qu’aucune juridiction européenne n’a jusqu’alors établi, même en des cas autrement dramatiques.

Car pour le reste, et sous couvert de l’intitulé exact de l’émission inévitable du mandat d’arrêt européen qui suivra le refus annoncé de déférer à cette convocation judiciaire, le scénario est écrit. La décision-cadre 2002/584 établissant le mandat d’arrêt européen est inflexible : « rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d’une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu’il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l’une de ces raisons ». Malgré le libellé peu clair du considérant n° 12 de la décision-cadre 2002/584, celui-ci invoque l’hypothèse d’un refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons de présumer que la personne est persécutée pour ses opinions politiques. On remarquera d’une part qu’il s’agit d’une disposition non contraignante et d’autre part que la partie contraignante de la décision-cadre ne formule aucun motif de cette nature empêchant la coopération et donc l’exécution du mandat dans ces cas, hors les hypothèses des articles 3 et 4. Son article premier se borne à rappeler que « la présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne ».

Et il est vrai à cet égard que la jurisprudence de la Cour de justice, évoquée à plusieurs reprises dans ces colonnes, confirme la rigueur de la force obligatoire de l’exécution d’un mandat. Ceci vaut sans exception, dans le sens où la Cour a considéré les raisons/motifs de refus prévues par la décision-cadre comme exhaustives (voir spécialement affaire C‑192/12 PPU West, pt. 55; affaire C‑399/11 Melloni, pt. 38). A la lumière de la jurisprudence dans les affaires Aranyosi et Caldararu, une certaine atténuation du principe établi apparait admissible si l’exécution implique une violation grave d’un droit fondamental bénéficiant d’une protection absolue, tel que la dignité de la personne humaine. Il semble difficile d’imaginer, au cas où la question serait adressée à la Cour de justice, que celle-ci puisse parvenir à intégrer la législation de l’UE en identifiant une raison supplémentaire pour cette hypothèse, la logique de l’avis 2/13 devrait alors être renversée et, en fait, la présomption même de non-octroi de l’asile.

En revanche, et pour ce que l’on en sait à travers la presse, les infractions pour lesquelles un mandat d’arrêt européen pourrait être émis (rébellion et sédition ?) contre M. Puigdemont ne semblent pas figurer sur la liste positive visée à l’art. 2, par. 2 de la décision cadre qui permet de procéder à une remise même en l’absence de double incrimination. Par conséquent, l’État d’exécution que serait la Belgique pourrait soumettre la remise à la vérification que les infractions couvertes par le mandat d’arrêt européen émis par l’Espagne soient également des infractions pénales en droit belge (art. 2, par. 4, et art. 4, par. 1, de la décision cadre).

Le scénario judiciaire risque donc, par l’automaticité de sa réponse, d’écarter toute hypothèse de refuge, de négociation ou autres compromis que le droit de l’extradition, hier, permettait encore. Là encore, prendre la décision de déférer à la demande de remise impliquera de procéder sous le feu des caméras à une arrestation pour y parvenir … Lourde responsabilité à prendre dans une coalition gouvernementale belge fragilisée sur la question nationaliste…

Sauf à croire qu’il n’y a finalement là que faux semblant, épisode nouveau d’une guerre de communication accréditée par la proximité de la consultation électorale en Catalogne. Jouer la carte de « l’exil » comme aux heures les plus noires, victimiser l’acteur principal de la crise, dénoncer la poursuite étatique en la discréditant dessinent les ressorts à peine dissimulés d’une stratégie dont nul ne sait si elle sera payante, pariant qu’elle parviendra à convaincre les hésitants. Donner en spectacle l’arrestation et l’emprisonnement ou même leurs simples éventualités permettra de prendre ainsi chacun à témoin de la justesse de la cause défendue. La brièveté des délais d’exécution du mandat d’arrêt européen, deux mois en vertu de l’article 17, pourrait alors pousser les uns ou les autres à une véritable course de lenteur pour l’éviter avant des élections cruciales …

Un seul enseignement mérite alors d’en être tiré, à ce stade de la crise. Son théâtre n’est plus national mais il est européen, faisant émerger un paradoxe imprévu mais dont il faudra tirer les leçons. S’il est banal chez les souverainistes de prétendre que l’Union a pu affaiblir ses Etats membres, la crise catalane et son déroulement révèlent très exactement l’inverse. D’abord car l’attrait européen et le risque de devoir s’en priver, comme nous l’avons démontré, constitue une puissante barrière défensive pour le maintien au sein de l’Etat que l’on est tenté de quitter. Ensuite car l’Union, ses dirigeants et son droit, ainsi pris à témoin par le choix des nationalistes d’européaniser la crise pour espérer la dénouer, s’avèrent être les premiers défenseurs de l’intégrité territoriale d’Etats membres. Ceux-ci se découvrent là une alliée inattendue. Ont-ils aussi compris qu’ils partagent désormais avec elle le choix de la décision finale sans en demeurer les seuls maîtres ?