L’ELSJ sous les projecteurs de l’actualité des interactions « droit international – droit européen »

Par Jean-Sylvestre Bergé, EDIEC

Le thème des interactions « droit international – droit européen » occupe une place de choix dans l’étude des rapports normatifs pouvant se nouer dans les différents contextes nationaux, internationaux et européens.

L’actualité de ces derniers mois montre que, dans l’Union européenne, l’espace de liberté, sécurité et justice est de très loin le premier domaine juridique à nourrir la réflexion. Constat et explication !

Constat

A s’en tenir aux six derniers mois, ils sont nombreux les éléments de droit positif qui se rapportent à l’ELSJ sur le thème général des interactions « droit international – droit européen ».

Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer les cinq grandes séquences suivantes.

La première porte sur les rapports entre l’UE et les conventions de la conférence de La Haye de droit international privé où pas moins de trois instruments internationaux sont entrés au contact du droit de l’Union européenne :

  • l’entrée en vigueur dans l’UE le 1er août 2014 de la convention de la Haye sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille (2007) ;
  • l’avis 1/2013 de la CJUE du 14 octobre 2014 reconnaissant à l’UE une compétence exclusive en matière d’adhésion à la convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (1980) – voir le commentaire sur ce blog de R. Mehdi et C. Nourissat ;
  • l’approbation par le Conseil de l’UE le 4 décembre 2014 de la convention de La Haye sur les accords d’élection de for (2005).

La deuxième séquence porte sur l’invocabilité dans l’UE d’accords internationaux non approuvés par l’UE. Cette question a trouvé à s’appliquer à propos notamment de la convention de Genève relative au statut des réfugiés (1951) :

  • CJUE (gde ch.), 2 déc. 2014, C-148/13 et C-150/13, ABC

La troisième séquence met en scène les difficultés d’articulation entre la réglementation européenne en matière de coopération judiciaire civile (notamment le règlement 44/2001 dit de « Bruxelles 1 ») et différents textes internationaux :

  • CJUE, 4 sept. 2014, C-157/13, Nickel & Goeldner Spedition, à propos de la convention CMR (1956) ;
  • Conclusions de l’AG Wathelet présentées le 4 décembre 2014 dans l’affaire Gazprom, à propos de la convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales (1958).

Une quatrième séquence est relative aux très nombreux recours introduits devant la juridiction européenne à propos de la mise en œuvre des mesures restrictives décidées dans un contexte international :

  • par exemple, Trib. UE, 16 oct. 2014, aff. jtes T-208/11 et T-508/11, Liberation Tigers of Tamil Eelam

Le dernier épisode (si l’on ose dire) porte sur l’analyse proposée par la CJUE (avis 2/2013, 18 déc. 2014) sur le projet d’accord d’adhésion de l’UE à la CEDH et qui contient des passages importants propres, notamment, à la PESC (voir sur ce blog, le commentaire de H. Labayle).

 

Explication

Il n’est pas très difficile d’expliquer l’importance prise par l’ELSJ dans les rapports d’interaction entre le droit international et le droit européen.

On peut, en effet, avancer les trois grandes raisons suivantes.

La première tient au caractère protéiforme de l’ELSJ (libre circulation des personnes, justice et coopération judiciaire en matière civile et pénale, politique étrangère et de sécurité commune) qui offre ainsi de multiples portes d’entrée à ces jeux d’interaction normative.

La deuxième est liée à son caractère hautement évolutif. Plus que tout autre espace européen, l’ELSJ est aujourd’hui en construction. Or nous connaissons, dans l’histoire des CE et de l’UE, l’importance du rôle joué par le droit international dans l’affirmation d’un droit européen autonome dans ses rapports aux droits des Etats membres (dans les exemples ci-dessus, le cas le plus remarquable est celui des conventions de La Haye qui ont d’abord été ignorées par l’UE et qui, maintenant, sont littéralement passées sous contrôle de l’UE chaque fois qu’elle a exercé la compétence législative interne).

Le troisième tient à l’importance qu’occupent les droits fondamentaux dans l’ELSJ, lesquels jouent un véritable rôle de « charnière » entre les ordres juridiques (E. Dubout et S. Touzé (dir.), Les droits fondamentaux : charnières entre ordres et systèmes juridiques, éd. Pedone 2010).

Ces explications, somme toute très banales, n’en sont pas moins intéressantes. Elles permettent, en effet, de comparer la vitalité des différents espaces européens. Or à ce jeu, il est remarquable d’observer que l’ELSJ tient aujourd’hui le « haut du pavé », loin devant l’espace historique du marché intérieur pour lequel les grandes avancées sont le fait, pour l’essentiel, du passé (pour une comparaison des espaces, voir F. Riem (dir.), “ELSJ – marché intérieur : quel dialogue ? », à paraître).

Le juriste devrait plutôt se réjouir de cette évolution : l’ELSJ, compris comme le plus juridique des espaces européens, est en première ligne de la construction européenne. Mais que notre juriste n’oublie pas de rester modeste. Cette évolution est lente et difficile. Plus que nulle part ailleurs, elle se nourrit des jeux d’interaction entre les différents espaces (nationaux, internationaux ou européens).