La Marche turque : quand l’Union sous-traite le respect de ses valeurs à un Etat tiers

par Henri Labayle, CDRE, et Ph. De Bruycker, Omnia

Le Conseil européen réuni le 7 mars était supposé examiner l’état d’avancement du Plan d’action entre l’Union européenne et la Turquie, conclu en novembre 2015. L’idée était que, faute de résultats probants, d’autres mesures soient arrêtées. L’arrivée d’une moyenne de 2000 personnes par jour en Grèce depuis le début du mois de janvier plaidait en ce sens.

Pour certains Etats membres, le «Plan B » consistait à fermer les frontières extérieures de l’espace Schengen, quitte à plonger la Grèce dans une crise absolue. Le président du Conseil européen y était favorable puisqu’un projet de conclusions du Conseil ayant fuité à la fin du week-end et largement repris dans la presse faisait état d’une « fermeture de la route des Balkans ». Lire la suite

Transfert de données personnelles de l’UE vers les Etats-Unis : du « Safe Harbor » à l’ « EU-US Privacy Shield », réel épilogue ou simple péripétie ?

Le « Safe Harbor » est mort, vive le nouvel « EU-US Privacy Shield » ! L’optimisme affiché par la Commission européenne (SPEECH/16/221) suite à la conclusion d’un nouvel accord censé remplacer le défunt Safe Harbor invalidé par la Cour de justice de l’Union européenne dans la désormais célèbre affaire Schrems (évoquée ici-même), laisse perplexe. Lire la suite

Quand le juge constitutionnel allemand encadre la confiance mutuelle : réflexions sur le juge européen des droits fondamentaux

par Marguerite Guiresse, CDRE

L’avis 2/13 rendu par la CJUE avait fait effet de tremblement de terre par la brutalité de son refus du projet d’adhésion de l’Union européenne à la CEDH. Il avait surpris presque autant par sa magistrale démonstration juridique rappelant le fonctionnement et les principes du droit de l’Union. « La confiance mutuelle entre Etats membres » y était consacrée en tant que principe constitutionnel de l’UE, alors même que ce principe n’est pas inscrit en droit primaire.

Ce mardi 26 janvier 2016, la Cour Constitutionnelle Fédérale Allemande a publié le communiqué de presse (Press Release No. 4/2016) d’une décision qui bouleverse l’ordre établi.
En se fondant pourtant sur le principe de confiance mutuelle, elle affirme que la protection des droits fondamentaux peut exiger le contrôle de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE) par rapport au respect de « l’identité constitutionnelle » allemande. Dès lors, elle ouvre la porte à l’hypothèse d’une non-application du droit de l’Union Européenne (UE), malgré le principe de primauté, après la mise en œuvre d’un contrôle constitutionnel. Lire la suite

Surveillance de masse : un coup d’arrêt aux dérives de la lutte antiterroriste (CEDH, Szabo et Vissy c. Hongrie, 12 janvier 2016

Sylvie Peyrou, CDRE

A l’heure où la lutte contre le terrorisme suscite nombre de réactions sécuritaires parmi les démocraties occidentales, et en particulier européennes (est-il besoin de citer l’exemple français, de la controversée loi sur le renseignement à l’état d’urgence ?), la Cour européenne des droits de l’homme semble garder le cap d’une stricte protection des droits fondamentaux.

L’arrêt de la Cour du 12 janvier 2016, Szabo et Vissy c. Hongrie (Req. n° 37138/14), en est une illustration récente et topique. Cet arrêt attire d’autant plus l’attention que les juges de Strasbourg ont estimé il y a peu dans l’arrêt Sher et autres c. Royaume-Uni (Req. n° 5201/11) que le crime terroriste entrait dans « une catégorie spéciale », justifiant une atténuation des droits au nom de la lutte contre le terrorisme (voir Henri Labayle ici-même). Si l’arrière-fond des affaires est semblable (à savoir des législations restreignant les libertés au profit de la lutte contre le terrorisme), le contexte de chacune d’elles est cependant sensiblement différent, ce qui peut expliquer le souci de la Cour d’adresser un message lui aussi sensiblement différent. Lire la suite

Le terrorisme, une “catégorie spéciale” du droit, vraiment ?

par Henri Labayle, CDRE

A en croire la traduction juridique des discours ambiants, une page semble se tourner. Celle où les démocraties prétendaient encore répondre au terrorisme par l’usage du droit commun et l’intervention du juge ordinaire.

Législation d’exception et régime d’urgence sont désormais présentés comme une réponse normale à la violence aveugle qui cible la société. Il n’y a là rien de nouveau. Du Royaume Uni aux Etats Unis d’après le 11 septembre, les grandes démocraties ont souvent cédé à cette propension, sans pour autant que le balancier reprenne exactement depuis la place qu’il avait quittée.

La surprise vient donc d’ailleurs. Du juge suprême vers lequel le juriste se tourne d’ordinaire pour garantir l’essentiel. Sans (encore …) de procès d’intention à l’encontre du juge constitutionnel interne, la lecture d’un arrêt de chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme, le 20 octobre dernier, dans l’affaire Sher et autres c. Royaume Uni, interpelle. La chambre y énonce benoîtement que « terrorist crime falls into a special category » (§149). Son affirmation invite à la réflexion, sur le jeu des mots comme celui des acteurs en cause. Lire la suite

Attentats à la liberté

par Stefan Braum, doyen de la Faculté de droit de Luxembourg, GDR 3452

Publié dans l’hebdomadaire Lëtzebuerger Land, le texte que Stefan Braum nous fait l’amitié de proposer à notre réflexion, en langue française, s’inscrit parfaitement dans les préoccupations scientifiques de ce blog. Qu’il en soit remercié, vivement.

… Jamais nous n’oublierons ces images. Les décombres du World Trade Center, les rues désertes de Paris, les visages du désespoir, la peur place de la République demeureront pour toujours ancrés dans notre mémoire. Soudain tout était différent. Lire la suite

La “jungle” de Calais devant le juge administratif et les défenseurs des droits fondamentaux

par Francisco Sanchez Rodriguez, CDRE

Présider la République, c’est être ferme, ferme y compris à l’égard de l’immigration clandestine et de ceux qui l’exploitent. Mais c’est traiter dignement les étrangers en situation régulière et ceux qui ont vocation à l’être sur la base de critères objectifs ». N’y aurait-il pas dans les propos ambitieux tenus par le candidat Hollande lors de son discours du Bourget, le 22 janvier 2012, une forme de connexité avec la sagesse de Socrate, celle de celui qui sait qu’il ne sait pas ?

L’humanisme, l’universalisme et l’atticisme des discours tenus par l’actuel chef de l’exécutif sur la politique migratoire interrogent. Mise en cause par Médecins Sans Frontières et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la puissance publique s’égare. Précarisation et exclusion deviennent les maitres mots de l’impasse dans laquelle se trouvent de nombreux migrants dans ce nouvel Etat dans l’Etat : la « Jungle » de Calais. Lire la suite

Sanction pénale et directive « retour » : quand l’arrêt Celaj clarifie des relations incestueuses

par Marie Garcia, CDRE

Le 1er octobre 2015, la Cour de justice s’est prononcée dans l’affaire Celaj. Rendu sur conclusions non conformes, l’arrêt cadre habilement le débat relatif à la criminalisation du droit des étrangers dans les Etats membres de l’Union. Plus précisément, il conduit le juge de l’Union à répondre à la question de savoir si le droit, en matière de retour, appelle un traitement particulier du point de vue pénal ou bien s’il s’inscrit dans le schéma général de l’application du droit de l’Union européenne et des sanctions qui l’accompagnent. Lire la suite

Les migrants en situation irrégulière, sujets d’une discrimination légale : l’exemple du droit à la liberté et à la sûreté

Par Chloé Peyronnet, EDP (Lyon)

Pendant que la « crise » des réfugiés occupe l’agenda politique et médiatique européen, la politique de retour de l’Union européenne continue à s’appliquer aux migrants non éligibles à une protection internationale. La directive 2008/115/CE a fait l’objet d’une nouvelle décision préjudicielle en interprétation (C-290/14). Cette dernière confirme une ligne jurisprudentielle faisant primer une conception sécuritaire de l’effet utile sur les droits fondamentaux des intéressés, en l’occurrence le droit à la liberté et à la sûreté.

Victimes d’un déni d’habeas corpus, parfois d’une double-peine et pouvant cumuler les statuts de non-éloignables et d’indésirables, les migrants en situation irrégulière se voient appliqué un droit à la liberté et à la sûreté amputé qui s’avère de facto discriminatoire.
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Angela Merkel au Parlement européen, des paroles aux actes ?

par Henri Labayle, CDRE

Le discours prononcé par Angela Merkel devant le Parlement européen, le 7 octobre 2015 aux cotés de François Hollande, est remarquable en tous points. Au delà du symbole d’une intervention du couple franco-allemand, qui n’était d’ailleurs peut être pas le meilleur signal à envoyer à ceux que l’on tentait de convaincre, cette prise de parole publique devant les représentants des peuples européens ne manque pas de sens.

Il était donc naturel  d’en souligner l’impact, partageant le sentiment d’un Jürgen Habermas « aussi surpris que réjoui » par le positionnement allemand face à la crise des réfugiés dans l’Union. Lire la suite